Question de Mme TAILLÉ-POLIAN Sophie (Val-de-Marne - GEST) publiée le 03/06/2021

Mme Sophie Taillé-Polian attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur à propos des modes d'interpellations dans les quartiers populaires, qui occasionnent régulièrement des violences policières.
Le 22 février 2020, un agent de la brigade anti-criminalité semble avoir fait usage de façon disproportionnée d'un lanceur de balle de défense (LBD) lors d'une visite d'immeuble dans la commune de Brunoy, dans l'Essonne, causant la perte d'un œil à un citoyen.
Dans l'enquête du journal Libération en date du 4 mai 2021, il est démontré par les images de vidéosurveillance et de reconstitution qu'un jeune homme de 19 ans a été grièvement blessé au visage alors qu'il ne présentait aucun danger pour les forces de police et que, par conséquent, rien ne justifiait l'usage de l'arme du policier auteur du tir. Ainsi, ces faits contreviennent aux règles d'encadrement relatives à l'utilisation des lanceurs de balles de défense, dont les tirs doivent être distancés de 25 voire 30 mètres.
De plus, les propos accablants des policiers qui ont été révélés témoignent de l'impunité dont peuvent bénéficier les auteurs de faits de violences à l'égard de la population. En dix ans, les mesures disciplinaires réprimant les violences ont été divisées par près de trois.
Cette gestion du maintien de l'ordre favorise les tensions entre une partie de la population et ces agents du service public. Il est nécessaire de retisser des liens de confiance solides entre les forces de l'ordre et la population en mettant fin à ce genre de pratiques qui mettent en danger l'intégrité, voire la vie de citoyens et ce, principalement dans les quartiers populaires.
Elle souhaite davantage de régulation et de contrôle de l'usage qui est fait des LBD lors des interventions suite à des « violences urbaines ». En l'état actuel de la législation encadrant l'utilisation du LBD, celle-ci se cantonne uniquement au maintien de l'ordre.
L'utilisation de ces armes, ne faisant pas l'objet d'une stricte surveillance, a pour conséquence des risques accrus de violences, notamment dans des lieux de vie et passage en milieu urbain.
Elle souhaite que la transparence la plus totale soit faite sur cette affaire et que des sanctions soient prises à l'encontre de l'auteur du tir. Elle l'interpelle sur l'urgence de faire évoluer le maintien de l'ordre, notamment en interdisant le LBD dont la dangerosité a été dénoncée par de nombreuses associations et collectifs ces dernières années.

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Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 21/04/2022

Les policiers assurent, avec professionnalisme, dévouement et courage, le respect des lois et la protection de nos concitoyens, dans des situations fréquemment difficiles et dangereuses, parfois au péril de leur vie. Ils sont exposés à des violences physiques et verbales croissantes, à des mises en cause incessantes. Représentants de la force publique, ils se doivent d'être d'une fermeté et d'une détermination sans faille. Garants de l'ordre public républicain, ils se doivent également d'être exemplaires. Le respect des règles déontologiques, la maîtrise et le discernement dans l'action sont des impératifs pour la police nationale. Le respect des personnes est au cœur de cette exigence : il doit être mutuel car les atteintes portées aux forces de l'ordre sont des atteintes contre l'Etat et par suite contre la collectivité nationale. Ce souci éthique, qui est au cœur de la formation initiale et continue des policiers, s'appuie sur une politique disciplinaire rigoureuse. Lorsque des incidents surviennent, quand par exemple l'usage légitime des armes ou de la contrainte est mis en doute, a fortiori lorsque des drames sont à déplorer, ils font systématiquement l'objet d'enquêtes administratives ou judiciaires, menées notamment par l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Ainsi, les faits qui se sont déroulés le 22 février 2020 à Brunoy (Essonne) ont fait l'objet d'une enquête judiciaire diligentée par l'IGPN sous la direction du parquet d'Evry. Le policier impliqué a été mis en examen pour des faits de violences volontaires avec arme ayant occasionné une infirmité permanente. Il est placé sous contrôle judiciaire avec, notamment, une interdiction d'exercer sur la voie publique, de détenir et de porter une arme. L'instruction est toujours en cours. Par ailleurs, une enquête administrative pré-disciplinaire a été ouverte par l'IGPN dès le 28 février 2020. A l'issue, le 25 mai 2021, il a été proposé que l'agent soit renvoyé devant le conseil de discipline. La hiérarchie de ce fonctionnaire (direction générale de la police nationale) a décidé de suivre cette recommandation. Tout écart portant atteinte à la déontologie et à l'image des forces de l'ordre est combattu avec fermeté et tout manquement avéré expose son auteur à des sanctions disciplinaires et, le cas échéant, à des poursuites pénales. L'action des services de police est en effet rigoureusement encadrée et contrôlée, par des corps d'inspection, des autorités administratives indépendantes et des organes et juridictions nationaux et européens. Les forces de l'ordre sont en outre placées, dans l'exercice de leurs missions de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle. Le contrôle médiatique, associatif et citoyen n'a en outre cessé de prendre de l'importance ces dernières années. Il doit aussi être rappelé que tout manquement aux règles professionnelles et déontologiques peut être dénoncé par un particulier auprès des autorités de police, d'autorités indépendantes ou de l'autorité judiciaire (plate-forme de signalement IGPN accessible sur internet, etc.). Les fautes individuelles, isolées par définition, rares et sévèrement sanctionnées, ne sauraient faire oublier le comportement très majoritairement irréprochable des policiers. S'agissant des armes de force intermédiaire, dont les lanceurs de balles de défense (LBD), elles permettent de faire face à des situations dégradées pour lesquelles la coercition physique est insuffisante mais qui nécessitent une riposte immédiate, par exemple pour faire face à des groupes armés ou violents. La montée des violences à l'encontre des forces de l'ordre et la radicalisation des mouvements de contestation en font des outils indispensables. Dans bien des situations, elles évitent le recours aux armes à feu létales et abaissent le niveau de risque, tant pour l'intégrité physique des personnes ciblées que pour celle des tiers ou des forces de l'ordre. Le code de la sécurité intérieure liste de manière exhaustive ces armements et définit les conditions dans lesquelles ils peuvent être utilisés. L'emploi des armes de force intermédiaire, dont celui des lanceurs de balles de défense, n'est naturellement pas anodin et il obéit à des règles de droit et à des conditions d'utilisation rigoureuses (précautions d'emploi, conduite à tenir après emploi, etc.). Il relève du cadre juridique général de l'usage de la force et n'est donc possible que lorsque les conditions requises par la loi l'autorisent (légitime défense, attroupement, etc.). Il est soumis, en particulier, aux principes d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité. Par ailleurs, l'emploi des LBD est subordonné à une formation spécifique et les fonctionnaires et militaires autorisés à les employer doivent disposer d'une habilitation individuelle. Assorti de ces garanties, l'emploi de ces armes permet une réponse graduée et proportionnée lorsque l'emploi légitime de la force s'avère nécessaire. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs rejeté plusieurs requêtes tendant à ce qu'il ne soit plus fait usage de LBD lors de manifestations. Par ailleurs, il convient de rappeler qu'un nouveau Schéma national du maintien de l'ordre a été présenté par le ministre de l'intérieur le 11 septembre 2020. S'il confirme l'intérêt de l'emploi des moyens et armes de force intermédiaire, tout en adaptant leur emploi (avec par exemple la présence, en maintien de l'ordre, auprès de tout tireur de LBD agissant en unité constituée, d'un superviseur), un travail continu de recherche de solutions moins vulnérantes pour les armes employées en maintien de l'ordre est également engagé. Des instructions ont également été données visant à utiliser une caméra individuelle pour circonstancier les tirs effectués avec un LBD. Les instructions relatives à l'usage et à l'emploi des armes de force intermédiaire en vigueur (instruction commune police-gendarmerie des 27 juillet - 2 août 2017) sont par ailleurs en cours de révision pour prendre en compte les évolutions apportées par le Schéma national du maintien de l'ordre. L'emploi de ces armes fait l'objet de contrôles et d'un suivi rigoureux. Sur un plan statistique, le traitement relatif au suivi de l'usage des armes (TSUA) et la comptabilisation des blessés permettent de noter que du 1er janvier 2018 au 15 juin 2021, 37 528 munitions ont été tirées avec un lanceur de balles de défense, occasionnant 99 blessures importantes (ITT de plus de 8 jours), soit une survenance de blessures sérieuses dans 0,3 % des cas. Le LBD n'est donc pas une arme dangereuse par nature. Pour autant, le ministre de l'intérieur ne sous-estime pas le danger potentiel lié à l'usage des armes de force intermédiaire. Il connaît les préoccupations que ces équipements peuvent susciter et les blessures qu'ils ont pu provoquer, quoi qu'il convienne de rappeler que cette arme n'est pas létale : aucun décès n'est directement lié aux LBD. Mais leur utilisation, même par des agents qualifiés et dont le sang-froid et le professionnalisme sont reconnus, présente, comme toute arme, des risques. Des progrès sont encore nécessaires et le développement des caméras individuelles de nouvelle génération y contribuera. A la demande du Président de la République, toutes les patrouilles de police et de gendarmerie en seront progressivement équipées depuis juillet 2021. Elles permettent tant de pacifier certains contrôles que d'établir ou de rétablir la réalité des faits lorsqu'une intervention est mise en cause, alors que la diffusion d'images tronquées et trompeuses sur les réseaux sociaux ou dans certains médias est devenue courante. Si la légitimité intrinsèque de l'Etat et son autorité doivent toujours prévaloir, il n'en est pas moins essentiel que l'action des représentants de la force publique soit reconnue et comprise par nos concitoyens, notamment lorsque des actes inappropriés sont commis par certains agents. Il en va du lien de confiance entre la police et la population, qui est un enjeu de démocratie mais aussi d'efficacité. La transparence de l'action des forces de sécurité intérieure contitue à cet égard un des axes de réflexion issus du « Beauvau de la sécurité ». L'emploi des armes de force intermédiaire et notamment des LBD est indispensable et le Gouvernement continuera à prendre toute mesure utile pour assurer l'ordre public et doter les policiers et les gendarmes de tous les moyens leur permettant d'assurer leur sécurité et celle de la population. Si le recours à la force doit toujours être nécessaire et proportionné, il ne saurait être question en effet de faire preuve d'angélisme ou de laxisme, ni de désarmer les policiers, soumis au quotidien à la violence, parfois extrême, et alors que leur action est soutenue par une très large majorité des Français qui aspirent à la sécurité et à la tranquillité publiques.

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