Question de Mme CANAYER Agnès (Seine-Maritime - Les Républicains-A) publiée le 13/05/2021

Question posée en séance publique le 12/05/2021

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Canayer. « Ne soyez jamais les hommes de la Révolution mais les hommes du gouvernement […] et faites que la France date son bonheur de l'établissement des préfectures. » Ces mots sont ceux qu'adressa aux nouveaux préfets Napoléon Bonaparte, futur Napoléon Ier, dont le Président de la République commémorait, le 5 mai dernier, le bicentenaire de la mort. Deux cents ans plus tard, nous saluons toujours la création des préfectures, premier pas vers la déconcentration.

Pourtant, monsieur le Premier ministre, dès le lendemain de cette commémoration, vous annonciez devant l'ensemble des préfets et sous-préfets la fin de ce corps d'État.

Cette fonctionnalisation des préfets est incompréhensible.

Elle est incompréhensible, car elle déconstruit l'État et son autorité, une autorité plus que jamais essentielle en ces temps troublés par l'insécurité, la violence et les différentes crises que nous subissons.

Elle est incompréhensible, car elle rompt le lien de proximité entre l'État et les territoires, une proximité qui est la clé de voûte de l'action de l'État déconcentré – le couple préfet-maire a démontré toute son efficacité depuis le début de la crise sanitaire.

Représentants de l'État dans les territoires, les préfets ne sont pas de simples administrateurs. Ils sont le lien entre l'État et les élus locaux. Préfet est un métier ; on le devient grâce au corps préfectoral !

M. Christian Cambon. Très bien !

Mme Agnès Canayer. La loi 4D, tardive et timide, devra s'appuyer sur ce corps bicentenaire pour construire une nouvelle étape de la décentralisation. Car, sans déconcentration, il n'y aura ni différenciation, ni décomplexification, et encore moins de décentralisation !

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous affirmer, ici, au Sénat, que le corps préfectoral ne disparaîtra pas ? Pouvez-vous nous assurer que cette réforme n'ouvre pas la porte à l'arbitraire dans la fonction publique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)


Réponse du Premier ministre publiée le 13/05/2021

Réponse apportée en séance publique le 12/05/2021

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean Castex, Premier ministre. Je voudrais d'emblée vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'a d'ailleurs rappelé Mme la sénatrice Canayer, que vous avez devant vous le Premier ministre qui a promu le couple maire-préfet à la faveur du premier déconfinement.

Vous avez devant vous un Premier ministre qui a eu l'immense honneur d'être secrétaire général de préfecture et sous-préfet d'arrondissement chef-lieu dans sa vie professionnelle – un vrai bonheur ! Je voudrais d'ailleurs dire au Sénat combien je m'associe à l'hommage rendu à l'occasion de cette question à l'administration préfectorale, sous-préfets et préfets, pour son action partout en France, depuis Napoléon sans doute, mais dans les temps actuels particulièrement, au service de la République face à la crise que nous connaissons, matin, midi, soir et nuit, sept jours sur sept et dans des conditions parfois extrêmement difficiles.

Dois-je rappeler à la Haute Assemblée que j'ai remis les préfets au cœur de la gestion de la crise sanitaire, avec les directeurs généraux des agences régionales de santé, comme vous l'avez constaté dans vos départements ?

Dois-je vous rappeler que mon Gouvernement a placé les préfets aux avant-postes d'un des axes essentiels de la politique de l'État pour le pays, à savoir la relance ? J'ai même créé, avec le soutien de la ministre de la transformation et de la fonction publiques, de nouveaux postes de sous-préfets à la relance…

Je voudrais donc rappeler très solennellement devant vous, comme je l'ai d'ailleurs fait voilà quelques jours devant l'ensemble des préfets et sous-préfets – mais par visioconférence, crise sanitaire oblige –, que la réforme indispensable de la haute fonction publique que nous conduisons, loin de porter atteinte à ces éminentes et indispensables fonctions, vise au contraire, non seulement à les conforter, mais à en accroître l'attractivité.

D'une certaine manière, vous l'avez dit dans votre question, madame la sénatrice Canayer : ce que nous cherchons à valoriser au maximum, c'est la filière préfectorale. C'est le métier qu'il nous faut à tout prix conforter ! Si cela passait par des corps ou des statuts, voilà longtemps que cela se saurait ! (M. Pierre Laurent proteste.) Ce n'est pas là la marque d'une gestion des ressources humaines moderne et dynamique. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Nous allons donc revaloriser ce beau métier, cet indispensable métier, en relançant la déconcentration – je vous renvoie à la réponse que Mme Gourault vient de faire.

J'ai déjà pris une circulaire extrêmement importante pour renforcer les prérogatives des préfets et sous-préfets en matière de ressources humaines et de gestion budgétaire, tout en déconcentrant des crédits depuis Paris.

Dans la loi de finances pour 2021, texte examiné dans cette assemblée, l'essentiel des effectifs nets de l'État, hors éducation nationale, a été créé dans les échelons déconcentrés.

Nous allons évidemment instaurer une filière de la préfectorale, car celle-ci suppose expérience, parangonnage, compétences spécifiques. Ce n'est pas parce que, fidèles à l'ordonnance de 1945, nous allons redonner toute sa place à l'interministérialité de la haute fonction publique que nous allons nier la spécificité du métier préfectoral – ce sera même le contraire ! Nous allons renforcer ce métier.

Dans cette réforme, un objectif me tient particulièrement à cœur, au-delà de l'administration préfectorale. L'État déconcentré est trop éclaté, trop dilué… (Mme Françoise Gatel acquiesce.) Nous devons le rassembler autour de l'autorité préfectorale.

Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'à l'heure actuelle, hors éducation nationale, 85 % des fonctionnaires de la République exercent leur activité dans les territoires et 92 % des hauts fonctionnaires à Paris. On ne peut pas fonctionner comme cela durablement !

Tous les élèves sortant du futur Institut du service public, successeur de l'École nationale d'administration (ENA), seront donc affectés dans leur premier poste sur des fonctions opérationnelles. Aucun ne rejoindra plus les fonctions de contrôle des grands corps de l'État ou des fonctions juridictionnelles. Priorité au terrain !

L'administration préfectorale, je vous le dis, sera restaurée dans son prestige – il est déjà immense – et renforcée dans ses attributions et dans le beau métier qu'elle représente. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.

Mme Agnès Canayer. Vous affirmez vouloir renforcer et moderniser la fonction préfectorale, monsieur le Premier ministre, et nous vous rejoignons sur ce point. Mais vous substituez à une fonction publique loyale une fonction publique inféodée ! (M. le Premier ministre proteste.)

M. Bruno Retailleau. C'est le spoil system !

Mme Agnès Canayer. En touchant aux piliers de l'État, vous risquez de fragiliser tout l'édifice ! Les préfectures sont plébiscitées par 79 % des élus locaux. Votre réforme, pour nous, va à contresens ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

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