Question de M. VALLINI André (Isère - SER) publiée le 01/04/2021

M. André Vallini attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la position de la France vis-à-vis du processus diplomatique en cours visant à encadrer l'usage d'armes explosives à large rayon d'impact en zones peuplées.

Ces armes, même dirigées contre une cible militaire, tuent et blessent les civils, endommagent les habitations mais aussi les infrastructures nécessaires au fonctionnement des services essentiels (électricité, eau, assainissement, soins de santé, etc.) situés dans les zones où elles explosent. L'utilisation d'armes explosives en zones peuplées constitue ainsi un danger grave pour les populations civiles, à court et long terme.

Elles tuent et quand elles ne tuent pas elles blessent gravement, elles handicapent souvent à vie. Et elles obligent souvent des familles à fuir leurs habitations détruites.

Depuis 1989, plus de 2 millions de civils ont été tués dans des conflits armés. Aujourd'hui, plus de 60 civils sont tués chaque jour dans le monde. Alors que le conflit syrien perdure depuis 10 ans, la protection des populations civiles reste une préoccupation majeure : depuis 2011 en Syrie, 85 % des victimes sont des civils, 117 000 civils sont décédés selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), 6,7 millions de déplacés à l'intérieur du pays et 5,5 millions réfugiés à l'étranger selon les Nations unies.

Depuis 2015 au Yémen, 145 000 civils ont été tués et 4 millions déplacés selon les Nations unies. 16 millions de Yéménites (la moitié de la population) sont confrontés à la faim en 2020, toujours selon les Nations unies. Pour le secrétaire général des Nations unies, cette guerre entraînera la disparition de toute une génération de Yéménites.

De nombreux États, le secrétaire général des Nations unies ainsi que plusieurs agences des Nations unies, le comité international de la Croix rouge (CICR) et l'Union européenne ont reconnu officiellement que l'utilisation de ces armes en zones peuplées pose un problème humanitaire grave et spécifique.

Les 1er et 2 octobre 2019 a eu lieu à Vienne la première conférence internationale sur la protection des civils lors des conflits en zones urbaines. Au cours des discussions, 84 États, dont la France, se sont positionnés en faveur d'une déclaration politique internationale pour mettre un terme aux souffrances causées aux civils.

Or, aujourd'hui la France, qui se devrait de jouer un rôle moteur dans ces négociations, ne le fait pas.

Lors des dernières discussions à Genève, deux groupes d'États se sont en effet clairement distingués. Le premier regroupe les États acceptant l'encadrement et la limitation des armes explosives lourdes et imprécises en zones peuplées (États d'Amérique latine, Afrique du Sud, Namibie, Autriche, Irlande, Suisse, Norvège, etc.). Le second regroupe les États souhaitant s'en tenir au droit existant et ne souhaitant pas « stigmatiser ces armes » : pour la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Belgique, le droit international humanitaire suffit.

En 2017, lors de la campagne présidentielle, répondant à une enquête d'Handicap International sur le sujet des bombardements en zones peuplées, le président de la République, alors candidat, avait pourtant indiqué qu'il souhaitait des engagements politiques fermes pour éviter l'utilisation d'armes explosives en zones peuplées. Pourtant, le Gouvernement refuse toujours de répondre à l'appel conjoint lancé par le président du CICR et le secrétaire général des Nations unies.

Il souhaiterait donc savoir si le Gouvernement va engager résolument la France dans la voie d'une déclaration politique forte qui encadrera strictement l'usage des armes explosives les plus destructrices en zones urbaines.

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Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 21/10/2021

La France partage les préoccupations humanitaires concernant les souffrances des civils dans les conflits armés. Ces souffrances sont liées aux méthodes employées par certaines parties au conflit, dont l'usage indiscriminé d'armes explosives dans des zones habitées, et de ce fait non conforme aux règles du droit international humanitaire (DIH). Cet usage est de nature à provoquer des victimes civiles et la destruction de biens civils, notamment des infrastructures essentielles, empêchant durablement le retour des populations déplacées et le rétablissement de conditions de vie normales. La France soutient la mobilisation de la communauté internationale visant à réduire les souffrances civiles dans les conflits armés contemporains. La France est profondément attachée au DIH, et place donc le respect et la promotion de ces normes au cœur de son action diplomatique. Ainsi, notre pays participe activement au processus d'élaboration d'une déclaration politique internationale visant à renforcer la protection des civils dans les conflits armés en zones urbaines, depuis le lancement du processus en octobre 2019. La France souhaite que cette déclaration politique apporte des solutions efficaces et concrètes pour contribuer effectivement à la réduction des souffrances civiles. Ces souffrances civiles résultent de la violation inacceptable des principes du DIH par certaines parties aux conflits armés. Il est essentiel de rappeler que l'emploi d'armes explosives, en particulier dans des zones où des civils sont présents en grand nombre, n'échappe pas aux règles fondamentales du DIH, lequel prohibe les attaques dirigées contre la population civile et les biens de caractère civil. Ces règles imposent d'opérer une distinction entre civils et combattants et entre biens civils et objectifs militaires, de veiller constamment à épargner les civils en application du principe de précaution dans l'attaque, et d'observer un principe de proportionnalité dans la conduite des hostilités. Ces principes, s'ils étaient universellement respectés par toutes les parties aux conflits, États comme acteurs non-étatiques, limiteraient efficacement et durablement les pertes, les dommages et incidents causés par les conflits armés en zone urbaine et permettraient, ainsi, de réduire les souffrances civiles. La France appelle donc les États, dans le cadre de la déclaration politique en cours d'élaboration, à réaffirmer leur soutien inconditionnel au DIH, à s'engager à l'appliquer de manière rigoureuse, et à respecter les obligations qui leur incombent, notamment celle de veiller constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens à caractère civil. Pour cela, des procédures strictes en matière d'organisation de la chaîne de commandement, de règles d'engagement, de ciblage ou encore de formation de leurs forces armées doivent être mises en œuvre. La France souhaite également que, dans le cadre de cette déclaration politique, les États reconnaissent et prennent en compte les défis inhérents à l'urbanisation croissante des conflits. À cette fin, ils doivent s'engager d'une part à mettre en œuvre, sur le terrain, des mesures concrètes, strictement adaptées au milieu urbain et contribuant à un emploi maîtrisé de la force et d'autre part à mieux protéger les populations civiles et leur cadre de vie. Il s'agit plus particulièrement de définir et d'adopter des concepts doctrinaux, des modes d'action et des parcours de formation spécifiques et rigoureusement adaptés à la conduite d'opérations en zones habitées ; d'appliquer des règles strictes relatives à l'emploi d'armes et de munitions déclinant les principes du DIH et tenant compte de la présence de la population sur les lieux de l'action, ainsi que de l'obligation d'épargner la population civile tout comme les biens civils, notamment les infrastructures essentielles. Enfin, pour la France, cette déclaration doit ouvrir la voie à un renforcement de la coopération et de l'échange de savoir-faire techniques et tactiques entre les États et leurs forces armées. La mise en œuvre, la promotion et le partage des meilleures pratiques dans ces domaines contribueront à mieux traduire les principes du DIH dans la réalité des opérations militaires et à améliorer de façon concrète la protection des civils. Interrompues en 2020 en raison de la crise sanitaire internationale, les négociations de la déclaration politique ont repris récemment. La France a pris part aux dernières consultations et souhaite que les négociations puissent se poursuivre dans le respect des règles du multilatéralisme. Elle entend continuer à y participer activement, conformément à son engagement en faveur du DIH.

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