Question de Mme PHINERA-HORTH Marie-Laure (Guyane - RDPI) publiée le 11/02/2021

Mme Marie-Laure Phinera-Horth attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la nécessité de créer une juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) en Guyane.
Actuellement, la JIRS de Fort-de-France est compétente pour les Antilles et la Guyane. Or, outre que le territoire guyanais se trouve dans le bassin amazonien dont les spécificités sont totalement différentes de celles du bassin caraïbéen, la Guyane est désormais confrontée à un trafic exponentiel de stupéfiants en provenance des pays voisins, avec une montée de la délinquance et de la criminalité liée à ce narco-trafic. La création d'une JIRS amazonienne en Guyane apparaît de plus en plus nécessaire ; celle-ci aurait pour mission de lutter sur le terrain et à l'échelle transfrontalière contre le trafic de stupéfiants qui détruit la société guyanaise et dont les effets s'exportent vers l'hexagone, la Guyane étant devenue une des grandes portes d'entrée de la cocaïne en Europe. Elle souhaite donc connaître les intentions du Gouvernement sur la possibilité de création d'une JIRS en Guyane et sur tous les moyens judiciaires pouvant être mis en place pour lutter contre les narco-trafics.

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Réponse du Ministère auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance - Industrie publiée le 14/04/2021

Réponse apportée en séance publique le 13/04/2021

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, auteure de la question n° 1511, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Ma question, qui s'adresse au garde des sceaux, porte sur la nécessité de créer une juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) en Guyane.

Il existe actuellement huit JIRS, lesquelles ont été créées par une loi de 2004. Ces juridictions regroupent des magistrats du parquet et de l'instruction qui disposent d'une compétence et d'une expérience particulières en matière de lutte contre la criminalité organisée et de délinquance financière. Leurs moyens techniques renforcés leur permettent ainsi de mener à bien leurs enquêtes, notamment en matière de trafic de stupéfiants et d'infraction commise en bande organisée.

Actuellement, la JIRS de Fort-de-France est compétente pour les Antilles et la Guyane. Or, outre que le territoire guyanais se trouve dans le bassin amazonien, dont les spécificités sont totalement différentes de celles du bassin caribéen, la Guyane est désormais confrontée à un trafic exponentiel de stupéfiants en provenance des pays voisins, en particulier du Suriname, et à une montée de la délinquance et de la criminalité liée à ce narcotrafic.

La création d'une JIRS amazonienne en Guyane apparaît de plus en plus nécessaire ; celle-ci aurait pour mission de lutter sur le terrain et à l'échelle transfrontalière contre le trafic de stupéfiants, qui détruit la société guyanaise et dont les effets s'exportent vers l'Hexagone, la Guyane étant devenue l'une des grandes portes d'entrée de la cocaïne en Europe. Une telle structure permettrait d'être très efficace sur le terrain, car on déploierait des moyens qui doivent être proportionnels aux défis transfrontaliers qui se posent à notre État au niveau sud-américain.

La situation n'est plus la même qu'en 2004. Le rattachement de la Guyane à la JIRS de Fort-de-France est donc désormais totalement inadapté au regard des mutations survenues dans la grande région amazonienne en termes de trafics transfrontaliers.

Le ministère de la justice sait s'adapter en fonction des évolutions. Il l'a prouvé, par exemple en recréant une cour d'appel de plein exercice à Cayenne en janvier 2012. Je souhaite donc connaître les intentions du Gouvernement sur la possibilité de créer une JIRS en Guyane et sur les moyens judiciaires qui seront mis en œuvre pour lutter contre les narcotrafics.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Madame la sénatrice, comme vous l'avez parfaitement rappelé, la Guyane, département frontalier du Brésil et du Suriname, est située dans le ressort de la juridiction interrégionale spécialisée de Fort-de-France, compétente pour connaître d'affaires de criminalité organisée et financière de grande complexité, tant dans les Caraïbes qu'en Guyane. Cette organisation se traduit par une prise en charge effective de la délinquance organisée guyanaise, notamment le narcotrafic, dont vous dénoncez à juste titre les ravages.

La lutte contre ces trafics illégaux est une priorité de la politique pénale du ministère de la justice. Le garde des sceaux, au nom de qui je m'exprime ce matin, partage vos légitimes préoccupations.

Très concrètement, vous avez raison : le nombre d'affaires de Guyane suivies par la JIRS de Fort-de-France a nettement augmenté depuis 2004.

Le nombre total de dossiers guyanais traités ou en cours de traitement par cette juridiction depuis 2004 s'élève au nombre de vingt-sept – dix-huit dossiers de criminalité organisée et neuf dossiers économiques et financiers –, soit 14 % de son portefeuille. Les dossiers guyanais en cours représentent aujourd'hui 21 % de l'ensemble du portefeuille de cette juridiction, soit quinze dossiers : huit dossiers de criminalité organisée et sept dossiers économiques et financiers. Le nombre de dossiers en provenance de la Guyane donnant lieu à saisine de la juridiction est passé d'une moyenne de 1,25 entre 2004 et 2017 à une moyenne de 4,3 au cours de la période 2018-2020.

Cette évolution de la délinquance apparaît toutefois correctement prise en charge à ce stade par la juridiction interrégionale spécialisée de Fort-de-France, qui a su s'adapter aux défis que connaît la Guyane en matière de criminalité organisée. En effet, la Guyane bénéficie de l'expertise spécifique et des moyens, renforcés depuis 2019, de la JIRS de Fort-de-France – affectation supplémentaire d'un magistrat du parquet, d'un juge d'instruction et d'un assistant spécialisé douanier –, laquelle définit sa politique pénale en prenant précisément en compte les spécificités de la criminalité organisée guyanaise et en s'attachant à renforcer la coopération internationale sur la zone, grâce, notamment, à l'appui du magistrat de liaison basé au Brésil, compétent sur le Suriname.

Enfin, le périmètre de compétence d'une juridiction interrégionale spécialisée s'inscrit, par construction, sur un espace interrégional. Une création se limitant au seul département de la Guyane serait donc contradictoire avec l'objet même de cette organisation judiciaire, qui vise à mutualiser les moyens en donnant une taille critique au ressort de chaque juridiction afin d'en améliorer l'efficacité.

Pour toutes ces raisons, il n'est pas, à ce stade, envisagé de créer une telle juridiction spécifique en Guyane, qui viendrait amoindrir la juridiction interrégionale spécialisée de Fort-de-France, laquelle est compétente en Guyane et dans les Antilles françaises. Toutefois, vous le savez, le ministère de la justice reste vigilant à toutes les évolutions de la délinquance qui nécessiteraient une adaptation de son organisation judiciaire dans les territoires, en outre-mer comme en métropole.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, pour la réplique.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais j'estime qu'une réflexion doit être menée : nous ne sommes pas sur le même continent. Quand les Guyanais vont-ils donc obtenir une certaine autonomie afin de lutter contre ce narcotrafic ?

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