Question de Mme MORIN-DESAILLY Catherine (Seine-Maritime - UC) publiée le 22/05/2019

Question posée en séance publique le 21/05/2019

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Président de la République a rencontré Mark Zuckerberg et a annoncé des mesures sur la régulation des réseaux sociaux.

Celles-ci font suite à une mission effectuée auprès de Facebook. Le rapport publié ce mois-ci a été salué par l'entreprise comme « un modèle pour la régulation des contenus en Europe ».

Ces mesures prônent une simple corégulation de ces plateformes. Surprenant, très surprenant, au moment où des voix s'élèvent des deux côtés de l'Atlantique pour dire l'impossibilité d'une autorégulation ou d'une corégulation de cette société. C'est le cas de la sénatrice Elizabeth Warren ou encore de Chris Hughes, un des cofondateurs de Facebook, qui va lui-même jusqu'à réclamer son démantèlement.

Ce rapport évite soigneusement d'aborder la question du modèle économique de cette société.

C'est à moitié étonnant, puisqu'il a, pour partie, été élaboré par un certain Benoît Loutrel, ancien directeur de l'Arcep, un temps parti vendre ses services à Google, et qui est depuis revenu au cœur de l'appareil d'État.

C'est en revanche très regrettable, si l'on considère les graves dérives éthiques, économiques et politiques dont s'est rendu coupable Facebook avec l'affaire Cambridge Analytica, affaire à laquelle a été lié un certain Steve Bannon. Il est illusoire de penser que la société peut remettre elle-même en cause son propre modèle basé sur toujours plus de données collectées, et donc toujours plus de gains.

Mes questions sont simples.

Compte tenu des enjeux pour la souveraineté de la France, quelles mesures comptez-vous prendre pour mettre un terme à ces pratiques régulières de pantouflage, puis de rétropantouflage de notre haute administration, notamment avec les Gafam ?

N'est-il pas temps de sortir de la complaisance pour prendre des mesures de régulation réellement contraignantes sur le cœur même de l'activité de ces sociétés, comme annoncent vouloir le faire, d'ailleurs, nos voisins allemands, depuis toujours beaucoup plus lucides et exigeants que nous sur le sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe de l'Union Centriste, du groupe communiste, républicain citoyen et écologiste, ainsi que du groupe socialiste et républicain.)

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Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique publiée le 22/05/2019

Réponse apportée en séance publique le 21/05/2019

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs (Exclamations amusées sur plusieurs travées.), madame la présidente Morin-Desailly, l'émergence d'acteurs de la taille de Google, de Facebook ou encore d'Amazon met la puissance publique face à des enjeux absolument inédits.

Inédits, car la taille des acteurs est inédite : Facebook, c'est 2,3 milliards d'utilisateurs ! Inédits, car le numérique ne connaît pas, par nature, de frontières. Inédits, car la complexité technologique des outils de ces acteurs est sans cesse croissante.

Pour autant, et vous l'avez rappelé, les questions posées par ces acteurs sont très concrètes et ont impact sur nos concitoyens dans leur quotidien.

Je suis persuadé d'une chose, madame la présidente, c'est que l'émergence de ces acteurs impose une obligation de résultat aux démocraties pour une raison simple : si les seuls États qui savent efficacement réguler les grands acteurs de l'internet – réseaux sociaux et plateformes – sont les pouvoirs autoritaires, alors, nos citoyens se tourneront vers des solutions autoritaires. Encore faut-il que nos solutions soient utiles.

C'est pourquoi nous sommes allés auditer au cœur du réseau social Facebook pour voir ce qu'il faisait. Sachez que nous n'avons jamais abandonné nos prérogatives d'État. Le réseau social devra appliquer ce qui figure dans la proposition de loi de la députée Laetitia Avia en mettant à niveau son système de régulation interne. Je le répète, nous n'abandonnons aucune des prérogatives de l'État.

Nous devons donc en appeler à la responsabilité individuelle. Il n'est pas possible aujourd'hui que l'on puisse impunément insulter, injurier sur internet, sans que la justice vienne vous demander des comptes. Cela nécessite de poser des règles claires, et l'État le fera, comme nous l'avons déjà fait en défendant les idéaux français et européens, notamment sur la directive sur le droit d'auteur que vous défendez également.

Nous continuerons, madame la députée… (Exclamations amusées.) Nous continuerons, madame la présidente, à mener ce combat en gardant en tête toutes les prérogatives de l'État.

M. le président. La parole est à Mme la sénatrice Catherine Morin-Desailly, pour la réplique. (Sourires.)

Mme Catherine Morin-Desailly. Vous ne m'avez absolument pas convaincue, monsieur le secrétaire d'État. Vous êtes dans le statu quo industriel, alors que les meilleurs experts du numérique, les ingénieurs de la Silicon Valley, sont en train de nous alerter, notamment via la célèbre gazette Wired ou encore l'influent site d'actualité économique Business Insider.

En tout état de cause, fallait-il absolument dérouler le tapis rouge à Mark Zuckerberg, qui s'est, je le rappelle, parjuré devant le Congrès américain – c'est le New York Times qui l'a révél頖, et que le parlement britannique n'hésite pas à qualifier de gangster, à la suite du rapport de mon homologue Damian Collins ? Nous ne le pensons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, ainsi que des travées du groupe Les Républicains.)

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