Question de Mme DEROMEDI Jacky (Français établis hors de France - Les Républicains) publiée le 01/11/2018

Mme Jacky Deromedi expose à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères qu'un comité lié à l'organisation des Nations unies (ONU), un groupe d'experts de cette organisation, aurait « condamné » la France pour avoir verbalisé en 2012 deux femmes qui portaient le voile islamique intégral, demandant à Paris de « compenser » le préjudice subi par les plaignantes et de réviser sa loi. Les médias en tirent à tort la conclusion que l'ONU a condamné la France, alors qu'il ne s'agit que d'un comité qui lui est adossé et dont l'impartialité a été mise en cause dans plusieurs circonstances. Les médias laissent entendre que ces conclusions d'un simple groupe d'experts auraient valeur normative et vaudraient condamnation par l'assemblée générale ou le conseil de sécurité de l'ONU. Or, aucun texte de droit international ne le prévoit. Par ailleurs, la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public a été déclarée conforme à la Constitution française par décision du Conseil constitutionnel n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010. Elle a également été déclarée conforme à la convention européenne des droits de l'homme par la Cour européenne des droits de l'homme le 1er juillet 2014 et, le 11 juillet 2017, la Cour européenne s'est prononcée sur la conformité à la convention d'une loi belge similaire. Elle lui demande de bien vouloir lui confirmer que le comité d'experts en cause n'a aucune autorité normative en France, ni même morale, et que notre pays n'est nullement contraint de se conformer à ses préconisations. Elle lui demande également de bien vouloir lui faire connaître les mesures qu'envisage de prendre le Gouvernement afin de faire valoir dans l'opinion publique internationale, les médias et les réseaux sociaux, l'opportunité de cette loi pour défendre véritablement les droits des femmes et le vivre-ensemble dans notre pays. Elle lui demande de bien vouloir lui faire connaître les textes de droit international qui ont institué un tel groupe d'experts et si le Gouvernement entend se retirer de cette instance, dans la mesure où son action négative paraît devoir se perpétuer non seulement cette année mais dans l'avenir. Il convient, en effet, de ne pas faiblir dans la défense de nos lois, de nos modes de vie et de notre souveraineté. D'autres pays que la France dont la Belgique et même l'Algérie (sur les lieux de travail) ont d'ailleurs interdit le port du niqab et paraissent devoir être exposés un jour aux mêmes réclamations de ce comité d'experts.

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Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 13/12/2018

La France a bien noté les constatations rendues publiques le 23 octobre 2018 par le Comité des droits de l'Homme de l'Organisation des Nations unies. Ce Comité, chargé de veiller à la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est un organe non juridictionnel à composition restreinte, comptant dix-huit experts indépendants ressortissants des États-parties, élus pour quatre ans et siégeant à titre individuel. Le Pacte exige que les experts soient « des personnalités de haute moralité et possédant une compétence reconnue dans le domaine des droits de l'homme » (article 28), sans que ces derniers aient systématiquement de compétences en droit. Le Comité est notamment compétent pour examiner des communications de particuliers s'estimant victimes de violations d'un des droits reconnus dans le Pacte. C'est dans ce cadre qu'il a été saisi par deux femmes françaises qui ont été condamnées pénalement en 2011 et 2012 sur le fondement de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. Dans ses constatations, le Comité estime que « l'interdiction générale à caractère pénal que la loi française impose à ceux qui portent le niqab en public a porté atteinte de manière disproportionnée au droit des deux plaignantes de librement manifester leur religion » et aurait ainsi violé leurs droits fondamentaux. Le Comité constate également une violation du principe de non-discrimination estimant que la loi en cause a des conséquences disproportionnées sur les auteures en tant que femmes musulmanes ayant fait le choix de porter le voile intégral. Ces constatations, qui s'inscrivent dans la lignée des précédentes constatations du Comité sur le sujet de la liberté de religion dans lesquelles le Comité a exprimé une vision extrêmement exigeante de ce droit, sont en opposition avec l'arrêt de Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) dans l'arrêt SAS contre France du 1er juillet 2014, dans lequel la CEDH a jugé que l'interdiction générale du voile intégral fondée sur la loi de 2010 était conforme aux articles 8 (vie privée), 9 (liberté de religion) et 14 (non-discrimination) de la Convention. Il importe de préciser que les constatations du Comité des droits de l'Homme, et des autres comités en matière de protection des droits de l'Homme, ne sont pas contraignantes. Cette position a été notamment exprimée lors de l'élaboration de l'Observation générale n° 33. Le Gouvernement considère notamment que le terme « constatation », traduit en anglais par « views » et en espagnol par « observaciones », décrivant les décisions du Comité, tel qu'il est employé à l'article 5 § 4 du Protocole facultatif instaurant les communications individuelles, signifie, sans la moindre ambiguïté, qu'il s'agit d'une recommandation faite à un État par le Comité chargé d'interpréter le Pacte et non d'une décision impérative qu'il y aurait lieu de mettre à exécution. Cette lecture est confortée par le fait qu'à aucun moment le Protocole facultatif n'a envisagé, contrairement à d'autres instruments, la question de l'exécution, laquelle n'avait pas lieu d'être puisqu'il s'agissait bien de recommandation et non de décision dans l'esprit des rédacteurs et des États qui ont adhéré au Protocole facultatif. En conséquence, le Gouvernement considère que l'État partie n'a pas d'obligation juridique contraignante d'exécuter les constatations rendues par le Comité dans une affaire donnée. Néanmoins, dans le cadre d'un dialogue constructif, la France fera valoir ses vues dans le rapport de suivi qu'elle lui transmettra. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a souligné, dans un communiqué le 23 octobre 2018, la pleine légitimité de cette loi dont l'objectif est de garantir les conditions du vivre-ensemble nécessaire au plein exercice des droits civils et politiques, et a rappelé qu'elle avait été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et comme ne portant atteinte ni à la liberté de conscience, ni à la liberté de religion et n'étant pas discriminatoire par la Cour Européenne des droits de l'Homme dans sa décision du 1er juillet 2014. La France est très attachée au respect de la liberté de religion ou de conviction, qui est une composante essentielle des droits de l'Homme, rappelée dans la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (article 10) et qui est mise en œuvre en France par le principe de laïcité. Ce principe est repris par le Conseil constitutionnel qui dispose, dans sa réserve interprétative sur la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public, que « l'interdiction de dissimuler son visage dans l'espace public ne saurait restreindre l'exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public ». La France est très engagée en faveur des droits des femmes à l'échelle internationale. L'égalité des femmes et des hommes a été érigée en grande cause du quinquennat et la France a l'ambition de mener une diplomatie féministe, tant au plan bilatéral que multilatéral. Elle est déterminée à lutter avec ses partenaires européens contre les initiatives qui fragiliseraient les droits des femmes et renforceraient les discriminations à leur égard. C'est le message qu'elle porte tant au sein de l'Assemblée générale des Nations unies, qu'au sein d'instances comme la Commission sur la condition de la femme (CSW), ou le Conseil de l'Europe où elle promeut la ratification de la Convention d'Istanbul. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est l'un des socles de la défense des droits de l'Homme à l'échelle internationale avec le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ensemble, ces deux Pactes mettent en œuvre les principes des droits de l'Homme contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme adoptée à l'initiative notamment de la France et dont est célébré cette année le 70e anniversaire. La France est très attachée à la promotion des droits de l'Homme à l'échelle internationale et continuera à les promouvoir. Elle réaffirme donc son attachement au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

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