Question de M. OUZOULIAS Pierre (Hauts-de-Seine - CRCE) publiée le 22/11/2018

M. Pierre Ouzoulias interroge M. le ministre de l'intérieur sur les officialisations de liens tels des jumelages entre des collectivités territoriales françaises et des collectivités territoriales du Haut-Karabagh (Artsakh) et notamment sur les contrôles de légalité interne a posteriori par les préfectures.

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Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 23/01/2019

Réponse apportée en séance publique le 22/01/2019

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une circulaire prise par les ministères de l'intérieur et de l'Europe et des affaires étrangères, le 24 mai 2018, vient de donner un cadre à l'action extérieure des collectivités territoriales françaises.

Selon une de ses dispositions, « les collectivités ne peuvent se lier, par convention ou non, sous quelque forme que ce soit, à des autorités locales étrangères établies dans un cadre institutionnel non reconnu par la France ».

Monsieur le ministre, je souhaiterais savoir dans quelles conditions votre ministère pourrait mettre en œuvre cette interdiction en ce qui concerne les chartes d'amitié signées par les collectivités territoriales de la France et de l'Artsakh.

Sauf meilleure appréciation juridique – que je suis prêt à entendre –, il me semble que ces chartes d'amitié constituent non pas des actes juridiques susceptibles d'être soumis à un contrôle de légalité, mais, en quelque sorte, des déclarations d'ordre politique par lesquelles ces collectivités proclament leur attachement à l'amitié entre les peuples et aux droits de ces derniers à disposer d'eux-mêmes.

Elles agissent ainsi dans le strict respect des engagements de la France et du droit international, qui reconnaît à chaque peuple le choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique.

Je pense donc, pour conclure, qu'il est discutable d'assimiler toutes les déclarations d'une collectivité, même sans aucune portée juridique, et donc ces chartes d'amitié, à des actes contractuels engageant la collectivité.

Aussi, je souhaiterais vivement que cette disposition très restrictive de votre circulaire soit appliquée sur le terrain avec discernement et circonspection.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, cette question aurait aussi pu être posée à Jacqueline Gourault, au regard des attributions de son ministère.

Toujours est-il que ni elle ni moi ne pouvons vous donner une réponse juridique précise sur votre analyse, que je ne conteste pas.

L'action extérieure des collectivités territoriales est régie par les articles L. 1115-1 et suivants du code général des collectivités territoriales.

Il s'agit, tout d'abord, de permettre au ministère de l'Europe et des affaires étrangères d'organiser une politique internationale – notamment en ce qui concerne la reconnaissance de pays étrangers – au nom de la République française et, ensuite, de laisser les collectivités locales faire vivre ces coopérations, ces actions diverses, parfois au travers de documents pouvant emporter, selon l'interprétation qui en est faite, engagement juridique.

Sur ce dernier point, je ne suis, hélas, pas en mesure de répondre en termes d'analyse juridique. Je peux toutefois vous faire part de l'état d'esprit qui nous anime.

Cette circulaire, portée par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, dans ce cadre d'organisation de la coopération décentralisée, précise que les collectivités territoriales ne peuvent se lier, sous quelque forme que ce soit, à des autorités locales étrangères établies dans un cadre institutionnel non reconnu par la France, ce qui est le cas de la république autoproclamée du Haut-Karabagh, dite aussi république d'Artsakh, qui n'est ainsi reconnue ni par la France ni par aucun autre État.

Tout acte présentant un caractère d'engagement juridique pris par une collectivité locale fait ainsi l'objet dans un premier temps, dans le cadre du contrôle de légalité des préfets, d'un recours gracieux. Si cet acte n'est pas retiré, il est alors soumis au contrôle du juge.

Vous nous demandez si une charte d'amitié constitue un acte juridique pouvant faire l'objet d'un recours devant le tribunal au titre de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités locales.

Il s'agit aujourd'hui d'un problème d'interprétation juridique. Les préfets, en application de cette circulaire, procèdent à des recours gracieux. Si jamais la collectivité concernée ne souhaitait pas donner suite, elle pourrait saisir le juge administratif, sur le fondement de l'article que je viens d'évoquer.

Aujourd'hui, nous ne disposons pas d'une jurisprudence sur cette question. Je ne suis donc pas en mesure de vous dire le droit. En l'espèce, cette compétence relève du juge administratif. Je ne puis que vous faire part des instructions données aux préfets pour appliquer cette circulaire. Seule une jurisprudence pourrait nous éclairer davantage.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour répondre à M. le ministre.

M. Pierre Ouzoulias. Vous vous en doutez, monsieur le ministre, je ne suis pas entièrement satisfait par votre réponse.

Vous reportez votre responsabilité sur une jurisprudence à venir. J'ai senti, dans la première partie de votre propos, une forme de mansuétude à l'égard de ces actes qui constituent plutôt des déclarations d'amitié.

J'aimerais simplement que les préfets, sur le terrain, regardent ces déclarations comme des actes qui n'engagent absolument pas la France. Je respecte, tout à fait, sur ce point précis, les engagements internationaux de la France.

J'aimerais donc que les préfets fassent preuve d'une certaine mansuétude, d'une certaine ouverture par rapport à des actes relevant de la tradition française – liberté et droit des peuples à décider d'eux-mêmes –, que nous portons depuis la Révolution de 1848.

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