Question de M. MASSON Jean Louis (Moselle - NI) publiée le 20/09/2018

M. Jean Louis Masson attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le fait que le comité des droits de l'homme de l'organisation des Nations unies a formulé un avis contraire à la jurisprudence française sur le port du voile islamique. Il lui demande si cet avis est contraignant du point de vue du droit international. Par ailleurs, afin d'éviter que la Cour de cassation s'aligne sur l'avis susvisé (crèche Baby Loup), il lui demande si le Gouvernement envisage de proposer une mesure législative entérinant la jurisprudence actuelle laquelle est souhaitée par une forte majorité de Français.

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Transmise au Ministère de l'Europe et des affaires étrangères


Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 31/01/2019

Le Comité des droits de l'Homme a en effet adopté le 16 juillet 2018 des constatations dans l'affaire F.A.c. France (affaire dite « Baby Loup »). Pour mémoire, le Comité est un organe non juridictionnel à composition restreinte. Il compte dix-huit membres, experts indépendants, élus pour quatre ans par les États parties. Il est notamment compétent pour examiner des plaintes présentées par des particuliers s'estimant victimes de violations des droits de l'Homme. C'est dans ce cadre que Mme F.A. a adressé sa communication au Comité. Dans ces constatations, le Comité a estimé que le licenciement pour faute grave sans indemnité de rupture de l'auteure de la communication fondé sur son refus d'ôter son voile constitue une mesure disproportionnée, en violation de l'article 18 du Pacte (liberté de religion). Il relève que « le port d'un foulard ne saurait en soi être considéré comme constitutif d'un acte de prosélytisme » et que « l'information fournie par l'État français ne permet pas de conclure que l'interdiction du port du foulard, dans les circonstances du cas d'espèce, pouvait contribuer aux objectifs de la crèche ou à ce qu'une communauté religieuse ne soit pas stigmatisée ». Le Comité a également jugé que la restriction du règlement intérieur affecte de façon disproportionnée les femmes musulmanes, telles que l'auteure, faisant le choix de porter un foulard, ce qui constitue une violation de l'article 26 du Pacte (non-discrimination). Il importe de souligner que ces constatations portent sur le cas individuel de l'auteure de la communication, au regard des dispositions du Pacte international des droits civils et politiques, instrument universel de protection des droits de l'Homme. Il convient de préciser que le gouvernement français considère que les constatations du Comité des droits de l'Homme (et des autres comités en matière de protection des droits de l'Homme) ne sont pas contraignantes. Cette position a été exprimée lors de l'élaboration de l'Observation générale n° 33. Le Gouvernement considère notamment que le terme « constatation », traduit en anglais par « views » et en espagnol par « observaciones », décrivant les décisions du Comité, tel qu'il est employé à l'article 5 § 4 du Protocole facultatif instaurant les communications individuelles signifie, sans la moindre ambiguïté, qu'il s'agit d'une recommandation faite à un État par le Comité chargé d'interpréter le Pacte et non d'une décision impérative qu'il y aurait lieu de mettre à exécution. Cette lecture est d'ailleurs confortée par le fait qu'à aucun moment le Protocole facultatif n'a envisagé, contrairement à d'autres instruments, la question de l'exécution, laquelle n'avait pas lieu d'être puisqu'il s'agissait bien de recommandation et non de décision dans l'esprit des rédacteurs et des États qui ont adhéré au Protocole facultatif. En conséquence, le Gouvernement considère que l'État partie n'a pas d'obligation juridique contraignante d'exécuter les constatations rendues par le Comité dans une affaire donnée. Néanmoins dans le cadre d'un dialogue constructif avec le Comité, le Gouvernement lui adressera, dans le délai imparti de six mois, des éléments de réponse sur les suites qu'il entend y donner.  Dans l'arrêt d'Assemblée plénière du 25 juin 2014 rendu dans l'affaire « Baby Loup », la Cour de cassation a jugé qu'en appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement de la crèche, la Cour d'appel avait pu déduire que la restriction à la liberté de manifester sa religion, édictée par le règlement intérieur de la crèche Baby Loup, ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché. On peut relever que, dans la continuité des principes posés par les articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail, qui permettent de restreindre l'expression des libertés, notamment de religion, dans l'entreprise à condition que ces restrictions soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a introduit un nouvel article L. 1321-2-1, qui dispose que « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché » et autorise clairement l'inscription du principe de neutralité dans un règlement intérieur, sous réserve que cette inscription soit justifiée et proportionnée.

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