Question de M. MONTAUGÉ Franck (Gers - SOCR) publiée le 26/07/2018

M. Franck Montaugé appelle l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur la situation préoccupante des activités de « relation clients particuliers » du groupe Engie en France. En 2007, le groupe Engie comptait trente-deux centres de « relation clients » et externalisait 20 % de ses activités clientèle sur le territoire national. Aujourd'hui, dix-neuf sites ont été fermés et 85 % de l'activité est externalisée, dont 30 % à l'étranger. En dix ans, ce sont plus de 1 000 emplois qui auront été supprimés en France. Or, cette hémorragie d'emplois s'est encore accélérée ces deux dernières années avec la mise en œuvre d'un processus de délocalisation au Cameroun et au Sénégal, après le Maroc, le Portugal et l'île Maurice. Près de 3 000 emplois sont menacés par cette stratégie de délocalisation vers les pays à bas coûts de main-d'œuvre.
Or, ces délocalisations ne conduisent pas à des économies de coûts substantielles : environ 7 millions d'euros d'économies annuelles générées à comparer aux 1,4 milliard d'euros de bénéfices réalisés par le groupe en 2017, ce qui représente très peu dans le cadre d'un marché de 11 millions de clients générant 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires. C'est même encore moins - 5,8 millions d'euros - si l'on retranche le coût des mesures d'accompagnement.
En revanche, cette stratégie fait fi de la dimension humaine du sujet. Elle prévoit par exemple la formation du personnel à l'étranger par ceux-là mêmes qui demain verront leur emploi en France supprimé !
Ces milliers d'emplois menacés sont pourtant souvent indispensables à l'économie locale française et à la cohésion de ses territoires. Certains d'entre eux seront considérablement affaiblis par la disparition de ces centres de « relation clients » et de leurs emplois.
Lors d'une audition le 6 juin 2018 par la commission des affaires économiques du Sénat, la directrice générale d'Engie a indiqué aux commissaires qu' « il n'y pas d'avenir pour la relation clients ».
Il lui demande comment comprendre cette déclaration ; quel sens l'État, actionnaire principal à hauteur de 24,1 % du capital et 28,1 % des droits de vote, lui donne en termes de stratégie d'entreprise ; et s'il faut comprendre qu'Engie s'apprête à vendre ce portefeuille clientèle dans le cadre par exemple de l'entrée de nouveaux partenaires au capital en compensation du retrait de l'État comme pourrait le permettre in fine le projet de loi portant plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises.
Le Gouvernement n'est pas non plus intervenu pour essayer de rétablir le dialogue social rompu entre la direction « relation clients » du groupe et les représentants du personnel.
Bien qu'aspirant à se désengager du capital d'Engie, le Gouvernement dit vouloir garder une « action spécifique » afin de peser sur les orientations du groupe. Mais dans quel but s'il se désintéresse du sort des 1 500 salariés concernés et des conséquences territoriales de ces décisions ?
Pour toutes ces raisons, il lui demande quelles mesures il compte prendre pour préserver l'emploi de ces activités de « relation clients » en France et, à l'instar de son partenaire européen italien, pour relocaliser ces activités en France.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministre de l'économie et des finances publiée le 01/08/2018

Réponse apportée en séance publique le 31/07/2018

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis dix ans, le groupe national Engie a fermé dix-neuf de ses trente-deux sites de relation clients, supprimé 1 000 emplois et externalisé 85 % de ses activités clientèle, dont 30 % à l'étranger. Cette hémorragie s'est encore accélérée depuis deux ans par des délocalisations au Cameroun et au Sénégal, après le Maroc, le Portugal et l'île Maurice. Près de 3 000 emplois sont actuellement menacés par cette stratégie de délocalisation vers des pays à bas coûts de main-d'œuvre.

Ces délocalisations permettront des économies dérisoires, de l'ordre de 7 millions d'euros, à comparer au 1,4 milliard d'euros de bénéfices réalisés par le groupe en 2017, ceci dans le cadre d'un marché de 11 millions de clients générant 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires. De surcroît, cette stratégie fait fi de la dimension humaine du sujet. Elle prévoit par exemple la formation du personnel à l'étranger par ceux-là mêmes qui, demain, verront leur emploi en France supprimé ! Ces milliers d'emplois sont pourtant souvent indispensables à l'économie locale française et à la cohésion des territoires. Certains de ces territoires seront considérablement affaiblis par la disparition des centres de « relation clients » et de leurs emplois.

Lors d'une récente audition par la commission des affaires économiques du Sénat, Mme Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie, a indiqué aux commissaires qu'« il n'y a pas d'avenir pour la relation clients ». Comment faut-il comprendre cette déclaration, madame la secrétaire d'État ? Quelle appréciation l'État, actionnaire principal à hauteur de 24,1 % du capital et qui détient 28,1 % des droits de vote, porte-t-il sur cette stratégie d'entreprise ?

Faut-il comprendre qu'Engie s'apprête à vendre ce portefeuille de 11 millions de clients dans le cadre, par exemple, de l'entrée de nouveaux partenaires au capital en compensation du retrait de l'État, comme pourrait le permettre in fine le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit PACTE ?

Enfin, quelles mesures l'État compte-t-il prendre pour préserver l'emploi de ces activités de relation clients en France et pour les relocaliser en France ?

M. Fabien Gay. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur Franck Montaugé, vous m'interrogez sur la politique d'externalisation des activités de service client du groupe Engie, dont l'État est l'actionnaire de référence. Sachez que nous sommes particulièrement attentifs à la dimension sociale de la transformation en cours de ce groupe. À cet égard, il faut signaler que le groupe a signé en avril 2016, avec trois fédérations syndicales européennes, un accord impliquant qu'une offre d'emploi au sein du groupe soit proposée à tout salarié concerné par des réorganisations. Cet accord prévoit, en outre, un important effort de formation.

Sur le sujet spécifique du service client, la décision d'Engie d'externaliser une partie de son service résulte d'une intensification de la concurrence sur ses marchés, en lien avec la dérégulation des marchés de l'énergie. Le groupe a traversé une crise profonde jusqu'en 2016, à l'image des énergéticiens européens. Ces entreprises possédant un large portefeuille de clients sont confrontées à la nécessité de réduire leurs coûts, tout en proposant un service davantage en ligne avec les standards actuels, reposant sur les technologies numériques et une approche multicanale. Elles procèdent à une externalisation croissante des formes traditionnelles d'interaction avec la clientèle, éventuellement au travers d'opérateurs basés à l'étranger proposant des prestations moins onéreuses sur une plage calendaire et horaire élargie, et parallèlement au déploiement d'outils avancés de CRM, ou Customer Relationship Management, intégrant l'apport de nouvelles technologies faisant appel notamment à l'intelligence artificielle.

Ce double mouvement d'externalisation des activités à faible valeur ajoutée et de recours croissant à des éditeurs de solutions et des entreprises de services numériques spécialisées s'inscrit dans la transformation numérique des processus. Les entreprises françaises spécialisées dans la relation clients tiennent donc, avec cette transformation, l'occasion de rebondir.

Le groupe Engie a ainsi tout récemment confié à des sociétés françaises l'intégration de la relation clients numérique multicanale dans son système d'information. Dans ce contexte, les professionnels concernés et le Gouvernement travaillent au renforcement des atouts de nos entreprises et plus généralement à l'attractivité de notre pays.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour répondre à Mme la secrétaire d'État.

M. Franck Montaugé. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'État, mais où est la dimension humaine dans la position que vous venez d'exprimer en tant que représentante de l'actionnaire majeur qu'est l'État français ?

M. Fabien Gay. Il n'y en a pas !

M. Franck Montaugé. Où est la dimension territoriale dans la politique que vous venez de nous exposer ? Une fois de plus, hélas, je constate que la question de la rentabilité du capital prime toute autre considération, et c'est bien dommage !

En réalité, l'État est aujourd'hui en situation de faire cesser les délocalisations et il peut, s'il le veut - c'est bien la question politique que je souhaitais poser ce matin -, amorcer la relocalisation de ces emplois en France. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication que vous avez évoquées, madame la secrétaire d'État, pourraient tout à fait être mises en œuvre sur le territoire national, préservant l'emploi et l'économie de ces territoires, à l'inverse de ce qui est fait aujourd'hui.

En 2017, en Italie, treize grandes entreprises ont signé avec le gouvernement italien un protocole limitant à 20 % les délocalisations des centres d'appels. Engie pourrait mettre en œuvre en France un code de bonne conduite comparable, avec l'ensemble des acteurs concernés : les personnels et leurs représentants, les élus...

En tout cas, c'est ce que nous proposons à l'État actionnaire de mettre en œuvre. Il en a les moyens s'il en a la volonté politique.

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