Question de Mme PRIMAS Sophie (Yvelines - Les Républicains) publiée le 07/06/2018

Mme Sophie Primas attire l'attention de Mme la ministre du travail sur les contrats à durée déterminée d'usage usités dans la branche hôtels, cafés, restaurants, contrats prévus pour faire face à la fluctuation de l'activité auxquels recourent particulièrement les traiteurs. Par deux arrêts en date du 23 janvier 2008, la chambre sociale de la Cour de cassation a remis en cause les bases légales de ce dispositif, en considérant que la qualification conventionnelle de contrat d'extra dépendait de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère « par nature temporaire » de l'emploi. Or la preuve du caractère « par nature temporaire » de l'emploi est bien souvent impossible à démontrer. En effet, le recours aux extras est une nécessité liée à un besoin temporaire, comme une réception ou un mariage. À titre d'exemple, les traiteurs sont souvent dans l'impossibilité de disposer d'une vision claire et à long terme de leur activité. Aussi, faute de pouvoir apporter la preuve du caractère « par nature temporaire » de l'emploi et même si l'employeur respecte strictement les dispositions conventionnelles, les juridictions requalifient la relation de travail en contrat à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI), la relation de travail à temps partiel en temps complet. Ces décisions, qui aboutissent à des condamnations de plusieurs centaines de milliers d'euros, risquent de mener au dépôt de bilan des entreprises déjà fragilisées par le contexte économique. Parallèlement, dans un rapport d'évaluation publié au mois de décembre 2015, l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) a proposé de transformer le contrat déterminé d'usage en contrat à durées déterminées successives, ce qui sécuriserait l'équilibre économique et social des secteurs concernés. Par conséquent, elle lui demande de bien vouloir lui indiquer les mesures que le Gouvernement compte prendre afin de répondre au durcissement des règles entourant les contrats à durée déterminée d'usage et permettre ainsi aux entreprises du secteur de développer sereinement leur activité.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 25/07/2018

Réponse apportée en séance publique le 24/07/2018

Mme Sophie Primas. Madame la garde des sceaux, je souhaite aujourd'hui attirer l'attention du Gouvernement, comme je l'ai fait à de nombreuses reprises, sur les contrats à durée déterminée d'usage, les CDDU, très utilisés dans la branche hôtels, cafés, restaurants et, particulièrement, par une petite section de cette branche : les traiteurs. Ces contrats visent à faire face à la fluctuation de l'activité, mais, plus encore, à son imprédictibilité.

Par deux arrêts en date du 23 janvier 2008, la chambre sociale de la Cour de cassation a remis en cause les bases légales de ce dispositif, en considérant que la qualification conventionnelle du contrat d'« extra » dépendait de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère « par nature temporaire » de l'emploi. Or la preuve de ce caractère « par nature temporaire » de l'emploi est souvent impossible à apporter.

À défaut de cette preuve, et même si l'employeur respecte strictement les dispositions conventionnelles, les juridictions requalifient la relation de travail de CDD en CDI, et de temps partiel à temps complet. Ces décisions, aboutissant à des condamnations de plusieurs centaines de milliers d'euros, mettent à mal le dispositif économique de ces entreprises, et j'insiste sur le cas des traiteurs, qui sont, à l'heure actuelle, économiquement fragiles.

Parallèlement, dans un rapport d'évaluation publié en décembre 2015, l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, a proposé de transformer le contrat déterminé d'usage en contrat « à durées déterminées successives », ce qui sécuriserait juridiquement l'équilibre économique et social des secteurs concernés.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous avions déposé, avec ma collègue Pascale Gruny, un amendement visant à définir, dans le code du travail, la notion d'« emploi par nature temporaire ». Malheureusement, cette disposition est tombée avec l'échec de la CMP réunie sur le texte.

Aussi j'en appelle à vous aujourd'hui, une fois de plus, pour essayer de trouver une solution à cette situation, qui devient périlleuse pour les entreprises.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Sophie Primas, le contrat à durée déterminée d'usage, ou CDDU, permet à un employeur d'un secteur d'activité défini, soit par voie réglementaire, soit par une convention collective, de recruter un « extra ». Le recours à ce type de contrat répond à des besoins ponctuels et immédiats, pour des postes spécifiques et pour une durée limitée dans le temps.

Comme pour les contrats à durée déterminée, le CDDU ne doit pas avoir pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Selon la jurisprudence, en cas de contentieux entre un salarié et son employeur, il revient à l'employeur de justifier que le recours à des contrats successifs avec un même salarié est justifié par des raisons objectives que traduit l'existence d'éléments concrets établissant le caractère temporaire des emplois occupés. Le juge doit fonder son appréciation au cas par cas et peut requalifier, le cas échéant, le CDDU en CDI.

Lorsque le juge requalifie un CDDU en CDI, il remet en cause, non pas l'emploi en tant que tel, mais la relation de travail unissant un même salarié, constamment réemployé sous CDD, et son employeur. Dans ce cas, la relation de travail n'est manifestement pas temporaire. Elle traduit, au contraire, des besoins durables, auxquels l'emploi d'un salarié en CDI devrait pouvoir répondre.

Dans les faits, le juge n'intervient que pour des situations d'espèce dans lesquelles le recours au CDDU serait abusif.

Une réforme des CDDU visant à introduire un nouveau cadre pour des contrats successifs à durée déterminée serait, en tout état de cause, toujours soumise à la règle selon laquelle le contrat ne saurait pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. Cette règle apporte une garantie essentielle pour lutter contre la précarisation de l'emploi des travailleurs salariés.

La vraie question est celle de l'adéquation du cadre de recours au CDD aux caractéristiques propres d'un secteur ou d'une branche. Pour cette raison, l'ordonnance du 22 septembre 2017 a ouvert la faculté aux partenaires sociaux de la branche de négocier cette adaptation, s'agissant, par exemple, de la durée du délai de carence entre deux contrats, de leur durée ou du nombre de leurs renouvellements.

C'est cette ouverture à la négociation qui constitue, nous semble-t-il, la réponse pertinente au problème soulevé.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour répondre à Mme la ministre.

Mme Sophie Primas. Je voudrais vraiment attirer votre attention, madame la ministre, sur le secteur auquel je pense ici : non pas tout le secteur de la restauration, mais la toute petite partie qui concerne les traiteurs.

L'activité des traiteurs est extrêmement fluctuante. Elle peut être très forte au printemps, en fin d'année ou encore à la rentrée, du fait des séminaires d'entreprise. Et puis, soudain, plus rien !

Par conséquent, le recours aux extras apparaît obligatoire pour ces entreprises connaissant des fluctuations et, encore une fois, une forte imprédictibilité dans leur activité.

J'y insiste de nouveau, je ne fais pas référence à la restauration dans son ensemble. En effet, année après année, les services des ministères – ce sont souvent les mêmes personnes – ont beaucoup de mal à comprendre ce point. Ils mènent des négociations avec les grands syndicats de la restauration, mais ne s'occupent pas beaucoup de cette activité particulière des traiteurs. Le syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers traiteurs, le SYNHORCAT, essaie aujourd'hui d'entrer en négociation avec eux.

Depuis trois ans, des condamnations sont prononcées, assorties de sanctions de 120 000, 130 000 ou 140 000 euros, soit des montants très élevés pour des entreprises qui ont déjà du mal à sortir la tête de l'eau au regard des conditions économiques actuelles. Cela met en péril des activités. Je vous remercie donc de votre attention sur ce dossier.

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