Question de M. WATRIN Dominique (Pas-de-Calais - CRCE) publiée le 03/05/2018

M. Dominique Watrin attire l'attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur le fait que depuis quelques mois, on constate des difficultés croissantes dans l'approvisionnement des pharmacies, quand il ne s'agit pas tout simplement de ruptures de stocks, pendant parfois plusieurs mois.
Il lui demande s'il n'est pas envisageable de confier la production des médicaments stratégiques au secteur public, dans un premier temps autour du laboratoire de Nanterre (Agence générale des équipements et produits de santé) et, à plus long terme, en constituant un vrai service public du médicament.

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Réponse du Ministère des solidarités et de la santé publiée le 20/06/2018

Réponse apportée en séance publique le 19/06/2018

M. Dominique Watrin. Madame la ministre, on constate des difficultés croissantes dans l'approvisionnement des pharmacies, y compris celles des centres hospitaliers, quand il ne s'agit pas tout simplement de ruptures de stock, pendant parfois plusieurs mois. Cette pénurie frappe aussi les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, avec une hausse des difficultés d'année en année : selon l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l'ANSM, 391 cas de ruptures de stock ont été dénombrés en 2015, 405 en 2016 et 530 en 2017 !

Parmi les causes de ces difficultés, on compte bien sûr l'explosion de la demande mondiale dans un contexte où les grands laboratoires fusionnent jusqu'à se trouver en situation de quasi-monopole : dès lors, les possibilités de recours et les capacités de production baissent. De même, la dépendance au marché mondial a des effets sur la fourniture en matières premières pour les médicaments qui ne sont pratiquement plus fabriqués en France.

Dans cette situation de pénurie, le laboratoire Mylan par exemple, qui produit l'antibiotique Augmentin®, d'utilisation courante à l'hôpital, a annoncé qu'il cesserait sa production à destination de la France pour se tourner vers l'export d'ici à la fin de cette année, mais qu'il resterait possible de lui acheter des antibiotiques au prix de l'export, c'est-à-dire pour un montant cinq à six fois supérieur.

Un autre cas existe, celui des médicaments dérivés du sang, dont les immunoglobulines polyvalentes. L'insuffisance du stock des laboratoires LFB et CSL Behring a obligé parfois à retarder l'instauration de cures, l'ANSM demandant aux prescripteurs de hiérarchiser les indications, afin d'utiliser les stocks restants pour les indications les plus prioritaires.

Cette situation conduit aussi les instances à autoriser des spécialités équivalentes destinées initialement aux marchés turc et brésilien, avec des notices qui ne sont pas en français et sans étiquette de traçabilité. Les vaccins sont également fortement concernés, et cela avant même l'élargissement des obligations vaccinales que vous avez mis en place, madame la ministre.

Dans ces conditions, c'est toute la chaîne du médicament qu'il faut repenser, non seulement pour faire en sorte que les laboratoires respectent leurs engagements, mais également pour limiter les surcoûts pour nos hôpitaux.

Nous vous demandons donc, madame la ministre, s'il n'est pas envisageable de confier la production des médicaments stratégiques au secteur public, dans un premier temps autour de l'Agence générale des équipements et produits de santé, l'AGEPS, et de son laboratoire de Nanterre, et, à plus long terme, en constituant un véritable service public du médicament.

Il me semble que nous devrions réfléchir à une indépendance sanitaire, comme nous réfléchissons à notre indépendance énergétique et alimentaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Dominique Watrin, l'approvisionnement en médicaments est un objectif de santé publique majeur, en particulier pour les médicaments d'intérêt thérapeutique. Dans certains cas, l'indisponibilité est susceptible d'entraîner un problème de santé publique, avec mise en jeu du pronostic vital et des pertes de chance importantes pour les patients ; je pense notamment à certains médicaments anticancéreux.

Afin de répondre à ces difficultés, vous m'interrogez sur la possibilité, dans un premier temps, de confier la production des médicaments stratégiques au secteur public et, à plus long terme, de constituer un service public du médicament.

L'Agence générale des équipements et produits de santé, l'AGEPS, que vous mentionniez, met aujourd'hui en œuvre la politique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris en matière d'équipements et de produits de santé. Cet établissement se compose de plusieurs pôles, dont le pôle Établissement pharmaceutique de l'assistance publique des hôpitaux de Paris. Ce dernier joue un rôle essentiel dans la recherche, le développement, la production et la mise à disposition des patients des médicaments indispensables, qui répondent à des situations rares ou à des indications orphelines.

Il s'agit de situations non prises en charge par l'industrie pharmaceutique ou de médicaments nécessitant une adaptation galénique pour répondre aux besoins de populations particulières, comme les enfants et les personnes âgées.

Toutefois, cet établissement pharmaceutique public n'a pas pour mission de produire des médicaments en grande quantité destinés à couvrir le marché français. Conformément à l'article R. 5124-69 du code de la santé publique, l'AGEPS ne peut fabriquer des médicaments qui disposent déjà d'une autorisation de mise sur le marché exploitée dans le secteur concurrentiel. Dès lors, l'Agence n'a pas pour mission de suppléer les laboratoires du secteur privé en cas de rupture d'approvisionnement en médicaments produits par ces derniers.

Par ailleurs, la production de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur par un établissement public ne garantirait pas des ruptures liées en particulier à un problème d'approvisionnement en matières premières qui se situe le plus souvent à l'échelon mondial. Ainsi, un anticoagulant est fabriqué à partir de saumons pêchés dans la zone de Fukushima ; la zone de pêche ayant été interdite pendant des années après l'accident survenu à la centrale nucléaire, ce fait a eu une incidence sur l'ensemble de la production mondiale. C'est aussi le cas des médicaments dérivés du sang, notamment les immunoglobulines polyvalentes.

Monsieur le sénateur, votre proposition ne résoudrait pas les problèmes d'approvisionnement en matières premières. Elle ne résoudrait pas non plus les difficultés liées aux problèmes de chaîne de production qui peuvent aussi se produire au sein d'un établissement pharmaceutique public, notamment quand il y a contamination ou arrêt d'une chaîne. En d'autres termes, elle ne répondrait pas à la totalité des problématiques rencontrées aujourd'hui.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, pour répondre à Mme la ministre.

M. Dominique Watrin. Madame la ministre, si vous avez reconnu qu'il s'agissait d'un sujet grave, il n'en reste pas moins que je demeure un peu sur ma faim en ce qui concerne les propositions.

Certes, on peut contester celle que nous venons d'avancer, mais, face aux pénuries d'approvisionnement, tout de même assez fortes, entraînées par le système, ne faudrait-il pas, par exemple, revenir tout simplement aux règles élémentaires du code des marchés publics selon lesquelles un laboratoire n'arrivant pas à honorer ses engagements assume financièrement la charge du surcoût entraîné, ce qui n'est plus le cas dans le cadre d'un contingentement décidé par l'ANSM ? Voilà une première mesure que l'on pourrait prendre !

Une autre question subsiste ; elle vise les mesures pour relocaliser en France et en Europe la fabrication des matières premières. Je concède que vous n'êtes certainement pas la seule ministre concernée par ce sujet. À tout le moins, l'ANSM ne pourrait-elle pas imposer aux laboratoires étrangers les normes drastiques qu'elle impose aux laboratoires français ?

Enfin, madame la ministre, la colère monte sur ce sujet et je pense que vous en êtes consciente. Voici les propos d'un médecin rapportés dans Le Quotidien du médecin, lequel exprimait son ras-le-bol face aux pénuries – je vous fais grâce des noms des médicaments qu'il cite parce qu'ils sont imprononçables pour le néophyte que je suis : « Chaque jour, un nouveau médicament [est] en rupture, c'est la gabegie totale et les labos ne nous informent pas. On se fait engueuler par les patients qui ne trouvent pas leur traitement. Ils nous reprochent de ne pas être au courant. »

Sur ce sujet particulièrement délicat et – vous l'avez reconnu, madame la ministre – qui peut être grave, il me semble qu'il va falloir travailler à de tout autres mesures.

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