Question de M. PELLEVAT Cyril (Haute-Savoie - Les Républicains) publiée le 08/02/2018

M. Cyril Pellevat attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur la situation du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, et attire son attention sur les très faibles moyens financiers et humains de ce tribunal. C'est surtout en matière d'effectifs humains que la situation est difficilement supportable à Thonon. Le tribunal de grande instance (TGI) de Thonon est en tête des tribunaux les plus démunis de France. Au Parquet, deux postes sur six ne sont pas pourvus. Le rythme y est intense : de dix à quinze audiences par semaine.
L'activité judiciaire est foisonnante, la juridiction thononaise étant toujours la plus chargée du ressort de la cour d'appel de Chambéry, et le principal pourvoyeur des affaires criminelles aux assises et de la maison d'arrêt de Bonneville.
Le tribunal de Thonon peut rendre 1 500 jugements par an. Or en 2016, il a reçu 6 500 procédures poursuivables. Les délais sont très longs, la justice est en conséquence peu efficace. La création d'un second poste de juge d'instruction constituerait une solution envisageable. La situation est devenue si critique que la suppression du tribunal est redoutée dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire.
Il lui demande de confirmer qu'aucun tribunal ne ferme, comme elle l'a indiqué en janvier, et si elle compte urgemment augmenter les moyens humains et financiers pour un meilleur fonctionnement de la justice au TGI de Thonon. De même, il relève l'hypothèse de la suppression de la cour d'appel de Chambéry. Plus de 250 avocats des cinq barreaux des deux Savoies ont fait grève devant le tribunal de Chambéry contre cette hypothèse. La suppression de la cour d'appel de Chambéry représenterait un trajet d'une heure pour certains habitants de Haute-Savoie qui devraient désormais aller à Grenoble. Il ne faut pas créer de déserts judiciaires. Il lui demande de confirmer également qu'aucune cour d'appel ne sera supprimée.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 21/03/2018

Réponse apportée en séance publique le 20/03/2018

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en février 2017, j'avais alerté le garde des sceaux du précédent gouvernement sur la situation du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains et attiré son attention sur les faibles moyens financiers et humains de ce tribunal, submergé par son activité. En effet, c'est surtout en matière d'effectifs humains que la situation est difficile.

Le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains est en tête des tribunaux les plus démunis de France. Le rythme y est intense : de dix à quinze audiences par semaine. L'activité judiciaire est foisonnante, la juridiction thononaise étant la plus chargée du ressort de la cour d'appel de Chambéry et le principal pourvoyeur des affaires criminelles aux assises et de la maison d'arrêt de Bonneville.

En 2017, le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains rendait quelque 7 557 décisions de justice, contre 5 695 en 2016. Le volume de l'activité contentieuse de ce tribunal est le plus important du département ; il est supérieur à celui du tribunal de grande instance d'Annecy, et c'est celui qui connaît la plus forte croissance démographique. Le supprimer est une hérésie !

Le territoire de la Haute-Savoie est l'un des plus attractifs de France : la population y a augmenté de plus de 20 % en moins de dix ans.

Il conviendrait de donner davantage de moyens à ce tribunal, pour une justice plus rapide et efficace. Comme vous le savez, nous avons craint la suppression de la cour d'appel de Chambéry. Pour certains habitants de Haute-Savoie, la suppression de cette cour d'appel aurait représenté un trajet de plus de deux heures, puisqu'ils auraient désormais dû se rendre à Grenoble.

Que ce soit pour le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains ou la cour d'appel de Chambéry, une suppression conduirait à un désert judiciaire que nous ne pouvons pas accepter.

Plus de 250 avocats des cinq barreaux des deux Savoie ont fait grève le 15 février dernier, et j'étais à leurs côtés. En Haute-Savoie, la mobilisation des avocats du barreau de Thonon-les-Bains, du Léman et du Genevois fut grande. Et c'est désormais les quinze barreaux de la Conférence des bâtonniers de la région Rhône-Alpes qui, représentés par Mme le bâtonnier Laurence Joly, ont décidé la semaine dernière la grève des désignations pénales à compter de cette semaine et pour une durée indéterminée. Ces grèves sont la conséquence du fait qu'aucune concertation n'ait vu le jour.

À plusieurs reprises, madame la garde des sceaux, vous nous avez assuré qu'aucune juridiction ne fermerait. L'avant-projet de loi de programmation pour la justice 2018–2022, que j'ai pu me procurer, semble en effet maintenir l'ensemble des tribunaux de grande instance et cours d'appel existants, et la Chancellerie ne parle plus de juridictions départementales ou de proximité.

En revanche, l'article 54 de l'avant-projet de loi précise que des tribunaux de grande instance, dont la liste sera fixée par décret, se verront attribuer des contentieux au civil et au pénal, dont la liste sera également fixée par décret : voilà qui ne me rassure pas sur l'avenir du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains – ni d'autres juridictions.

La départementalisation reste donc d'actualité, qui dépouillera les tribunaux de grande instance de leurs contentieux au profit des tribunaux de grande instance départementaux. Même si vous ne fermez pas les premiers, permettez-moi d'espérer que votre objectif n'est pas de les dévitaliser… Si tel n'est pas le cas, comptez-vous augmenter les moyens humains et financiers de ces juridictions, ou prendre d'autres dispositions en leur faveur ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous appelez mon attention, monsieur le sénateur Pellevat, sur la situation des effectifs du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, où vous estimez que la situation financière et humaine est très dégradée.

Je vous rappelle que, afin d'assurer le fonctionnement des juridictions, une circulaire de localisation des emplois est élaborée chaque année, à l'issue d'un dialogue avec les chefs de cour et au vu de l'activité des juridictions.

S'agissant du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, et au sens de cette circulaire, les effectifs de greffiers s'élèvent à cinquante et une personnes, toutes catégories confondues ; ces effectifs sont aujourd'hui au complet. Les trois postes d'encadrement sont également pourvus, par des agents très expérimentés.

Pour ce qui est des magistrats, la circulaire de localisation des emplois a fixé à vingt-deux le nombre de magistrats nécessaires pour accomplir les activités du tribunal : il y a six magistrats au parquet et seize aux sièges, effectifs qui, là encore, sont aujourd'hui tout à fait au complet et tiennent compte de l'activité soutenue du tribunal, que vous avez bien voulu souligner.

Toutefois, en l'état du dernier projet de nomination, diffusé le 19 février dernier, et sous réserve des avis du Conseil supérieur de la magistrature, deux postes au parquet et un poste au siège pourraient devenir vacants au 1er septembre prochain. Les chefs de cour disposeront néanmoins de magistrats placés au parquet et de trois magistrats placés au siège, qu'ils pourront déléguer provisoirement au sein des juridictions de leur ressort.

En tout état de cause, monsieur le sénateur, les services de la Chancellerie demeureront particulièrement attentifs à la situation du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains et aux effectifs de la cour d'appel de Chambéry lors de l'élaboration de la liste des postes offerts aux auditeurs de justice de la promotion 2016, qui prendront leurs fonctions au 1er septembre prochain.

Enfin, je voudrais dire un mot de la situation, que vous avez abordée, des cours d'appel. Je vous rappelle que M. le Premier ministre et moi-même avons présenté, le 9 mars dernier, les principaux axes de la réforme de la justice : à cette occasion, nous avons rappelé, une nouvelle fois et après les multiples concertations qui ont été engagées, que nous ne fermerions aucun lieu de justice ni aucune juridiction.

C'est donc avec grand plaisir que je vous redis, une nouvelle fois, que la cour d'appel de Chambéry continuera à statuer en appel, comme elle le fait depuis le traité de Turin de 1860. C'est également avec grand plaisir que je vous annonce qu'aucun tribunal d'instance ne fermera, et que notre attention soutenue est toujours tendue vers une justice de proximité, dont nous souhaitons même qu'elle puisse rendre à l'avenir plus rapidement et plus amplement des décisions au service des justiciables.

C'est dans ce sens-là, uniquement dans ce sens-là, que s'inscrivent les chantiers de la justice, pour lesquels, je le rappelle, plusieurs phases de consultation d'abord, de concertation ensuite, sur les propositions qui m'avaient été faites puis sur le projet de loi, ont été engagées, y compris avec les avocats, lesquels nous ont fait part d'un certain nombre d'observations dont nous avons tenu compte dans le texte transmis au Conseil d'État ; je crois que cela méritait d'être à nouveau rappelé.

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la garde des sceaux, je vous remercie pour vos réponses à cette question que j'ai bien évidemment préparée en concertation avec les avocats du barreau de Thonon-les-Bains.

Même si vous nous garantissez que, aujourd'hui, les effectifs sont là, la population est grandissante – elle va vraisemblablement atteindre le million d'habitants – et le nombre d'affaires ne fait qu'augmenter chaque année. Dans ces conditions, il faudra, non pas stabiliser les effectifs, mais tenir compte de la progression des affaires.

Nous comptons sur vous, madame la garde des sceaux, et les parlementaires seront très attentifs à la suite des débats, car, comme l'exprime le blason que je porte, nous tenons à nos tribunaux à Chambéry et Thonon-les-Bains !

 

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