Question de M. LAURENT Pierre (Paris - CRC) publiée le 23/10/2014

M. Pierre Laurent attire l'attention de M. le secrétaire d'État, auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire sur les responsabilités de la France dans les crimes d'État et crimes contre l'humanité perpétrés durant les guerres coloniales dont celle d'Algérie ainsi que sur la nécessité d'ouvrir toutes les archives à ce sujet.
La reconnaissance des faits intervenus le 17 octobre 1961 par le Sénat, qui a adopté le 23 octobre 2012 une résolution en ce sens, doit enfin conduire à l'ouverture des archives sur cet événement et, au-delà, de toutes les archives concernant les guerres coloniales et leur cortège de répression et de massacres, dont ceux de Charonne et la disparition de Maurice Audin.
Concernant ce dernier point force est de constater que les engagements pris pour transmettre toutes les informations existantes à son épouse n'ont pas été tenus.
Sur ce sujet comme sur d'autres, il lui demande s'il ne serait pas souhaitable que les archives de l'État soient soumises à des règles communes en matière d'archives conformes au fonctionnement d'un État démocratique.
Cela impliquerait que soient versées aux Archives nationales celles de la préfecture de police de Paris, des ministères de la défense et des affaires étrangères, quitte à ce que leurs fonds relèvent de dispositions particulières, précises et justifiées et que les archives des anciens ministres, Premiers ministres et Présidents de la République relatives à leurs fonctions ne soient pas privatisées par les intéressés mais versés dans leur ensemble aux Archives nationales.
Cela aurait aussi le mérite de contribuer à faire la lumière sur les actions de la France et de son armée dans les pays africains notamment, où elle a participé à de nombreux renversements de pouvoir plus ou moins sanglants. La fin de rapports coloniaux ou néo–coloniaux avec ces pays passe par là, le développement de nouvelles relations de coopération aussi.
Dans la même logique, il lui demande s'il ne faudrait pas que la notion d'archives « incommunicables » telle qu'elle apparaît dans la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives soit abrogée.
Car pour être fidèles à leur mission scientifique, les historiens ont besoin de pouvoir accéder librement aux archives, échapper aux contrôles des pouvoirs ou des groupes de pression et travailler ensemble, avec leurs homologues des deux rives de la Méditerranée.
À quelques semaines du 60e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération algérienne, il lui demande s'il ne serait pas également temps que la France reconnaisse toutes ses responsabilités dans les nombreux crimes d'État et crimes contre l'humanité commis en son nom durant ce conflit.

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Transmise au Secrétariat d'État, auprès du ministère de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire


Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire publiée le 08/01/2015

Dans un premier temps, l'honorable parlementaire met en lumière la problématique, de nature juridique, de l'engagement de la responsabilité d'un État pour crime d'État ou crime contre l'humanité. Il convient tout d'abord de souligner le fait que la notion de crime d'État ne trouve pas de traduction juridique, ne constituant dès lors pas une incrimination pénale reconnue en droit français. En outre, la responsabilité de l'État dans la commission d'actes qualifiables de crimes contre l'humanité ne saurait être juridiquement établie. Ainsi, en vertu de l'article 121-2 du code pénal, l'État ne peut être tenu pénalement responsable des infractions commises pour son compte par ses organes ou représentants. D'une manière plus générale, il est utile de rappeler que la notion de crime contre l'humanité a été introduite en deux temps en droit français. D'abord, par la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, cette incrimination ne concernait alors que les faits commis durant la Seconde Guerre mondiale. Puis, elle a été généralisée avec l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, le 1er mars 1994. Or, à supposer qu'une telle qualification soit recherchée à l'encontre d'une personne physique représentant l'État, le principe de légalité des délits et des peines et son corollaire, le principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, font obstacle à ce que les dispositions du code pénal relatives au crime contre l'humanité s'appliquent aux faits commis antérieurement à la date de leur entrée en vigueur, soit le 1er mars 1994. De plus, la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 juin 2003, a jugé qu'il ne pouvait être avancé l'existence d'une norme coutumière internationale reconnaissant le crime contre l'humanité, en ce que cette dernière ne saurait pallier l'absence de texte pour créer ab initio une incrimination. Enfin, il est à noter que plusieurs lois, prises en vue de faciliter la réconciliation entre l'État français et les territoires anciennement placés sous souveraineté française, ont amnistié les faits commis par toutes les parties durant les événements ayant conduit à leur indépendance. Dans un second temps, est soulevée la question de l'ouverture des archives du ministère de la défense. Il convient de préciser qu'en vertu de l'article R. 212-1 du code du patrimoine, ces dernières ne sont pas confiées au service interministériel des archives de France, mais sont gérées de manière autonome par le service historique de la défense, créé le 1er janvier 2005 et rattaché à la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère. Cependant, bien que l'organisation des archives soit répartie entre différents ministères, une coordination interministérielle de leur gestion existe. Cette coordination est assurée par le comité interministériel aux archives de France, instance créée en 2012 et placée auprès du Premier ministre. En ce qui concerne l'accès aux archives publiques, si l'article L. 213-1 du code du patrimoine pose un principe de libre communicabilité de ces dernières, l'article L. 213-2 de ce même code en limite la portée. Ainsi, certains fonds d'archives ne peuvent être communiqués qu'à l'expiration d'un délai et ce, afin d'assurer la protection de la vie privée des personnes et de garantir certains intérêts fondamentaux de la Nation. À titre d'exemple, les documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense ne sont communicables de plein droit qu'à l'expiration d'un délai de cinquante ans à compter de la date du document le plus récent inclus dans le dossier. Il convient de rappeler que ces délais ont été réduits aux termes de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives. Dans le cas particulier des archives classifiées de l'affaire Maurice Audin, le ministre de la défense a fait procéder à la déclassification de tous les documents encore protégés par le secret de la défense nationale et a transmis à Madame Audin une copie de toutes les archives de la défense relatives à la disparition de son mari. Concernant l'accès aux archives des autorités politiques que sont le président de la République, le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement, il répond à des dispositions particulières prévues à l'article L. 213-4 du code du patrimoine. Ainsi, la consultation des archives publiques de ces autorités est soumise à leur accord durant la période où elles ne sont pas communicables. Cette dérogation au droit commun de la communication est justifiée par la spécificité de ces archives, qui peuvent contenir de nombreux documents de nature privée. Par ailleurs, au titre des limitations au principe de libre accès aux archives publiques, la loi du 15 juillet 2008 susmentionnée met en place un régime particulier concernant la communication des documents contenant des informations scientifiques ou techniques sur les armes de destruction massive qui pourra être refusée sans limitation de durée. Toutefois, cette incommunicabilité doit être proportionnée au risque lié à la divulgation de telles informations et n'interdit pas la communication partielle de certaines archives, en occultant le cas échéant les éléments relatifs au nucléaire. La notion d'archives incommunicables est ainsi limitée juridiquement et son maintien répond dès lors à l'exigence de se protéger contre la prolifération des armes de destruction massive. En tout état de cause, l'examen des dispositions entourant la gestion et l'ouverture des archives publiques permet de constater qu'existent des garanties quant à leur consultation. Ces garanties relèvent d'un juste équilibre permettant d'accéder de plein droit aux archives publiques, si aucun intérêt légalement protégé ne vient s'y opposer.

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