Question de M. MAZUIR Rachel (Ain - SOC) publiée le 23/10/2014

M. Rachel Mazuir appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la situation de dizaines de milliers de Suisses qui résident en France sans avoir préalablement fait de démarches déclaratives auprès de leur commune.
Les communes du pays de Gex, dans le département de l'Ain (environ 90 000 habitants), sont concernées par ce phénomène qui ne cesse de s'amplifier, tous les ans, à leur détriment.
Les Suisses sont, en effet, déclarés comme étant résidents secondaires, alors qu'ils résident en France de façon permanente. Ils y trouvent plusieurs avantages indéniables, comme le fait de pouvoir se loger à moindre coût (le prix d'un studio à Genève équivaut à une petite maison dans le pays de Gex) et le bénéfice, pour leurs enfants et eux-mêmes, d'infrastructures développées (transports en commun, établissements d'enseignement, équipements sportifs, etc). Toutefois ils continuent de percevoir leurs avantages suisses, notamment en termes de santé et d'assurance chômage.
Ces « clandestins » grèvent le budget des communes françaises concernées et faussent leurs données démographiques, sur lesquelles elles se basent, pourtant, pour planifier leurs futurs investissements. Ils génèrent donc des dépenses de service public qui ne sont ni comptabilisées dans le calcul de la compensation financière franco-genevoise (CFG), ni dans celui des dotations de l'État au nombre d'habitants. Cette perte financière est estimée à plus de quinze millions d'euros. Plusieurs solutions sont avancées et méritent d'être étudiées par le Gouvernement français. Une proposition de loi avait été examinée à l'Assemblée Nationale, en avril 2014 ; elle visait à rendre obligatoire la déclaration domiciliaire pour toute personne vivant en France. Le maire devait, dans ce cas, relever l'identité, la date de naissance et l'adresse des personnes composant le foyer et délivrer un récépissé, faisant office de justificatif à présenter pour l'accomplissement de chaque formalité (inscription des enfants à la crèche, raccordement aux différents réseaux). Pour diverses raisons d'ordre budgétaire, éthique et pratique, ce texte de loi a été rejeté, tant par le Gouvernement que par les députés de la majorité. Il lui demande d'abord si le Gouvernement pourrait inciter les services fiscaux à se rapprocher des services communaux pour mettre en place une politique de contrôle des résidences secondaires. Dans la pratique certains maires ont développé ce partenariat : en procédant au relevé des compteurs d'électricité, ils ont pu distinguer, au regard de la consommation effective, les vrais, des faux résidents secondaires. Ces derniers ont ensuite été conviés à se rendre à la mairie pour modifier leur situation. La plupart ont coopéré mais le maire ne dispose d'aucun moyen d'action pour contraindre les réfractaires. Compte tenu des pertes financières importantes, qui résultent de cette situation, pour les communes limitrophes de la Suisse, il souhaite enfin connaître les mesures qu'entend prendre le Gouvernement pour y remédier dans les meilleurs délais.

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Transmise au Ministère de la décentralisation et de la fonction publique


Réponse du Ministère de la décentralisation et de la fonction publique publiée le 05/11/2014

Réponse apportée en séance publique le 04/11/2014

M. Rachel Mazuir. Monsieur le président, j'ai souhaité attirer l'attention du Gouvernement sur la situation de dizaines de milliers de Suisses qui résident en France sans avoir préalablement fait de démarche déclarative auprès de leur commune. Le département de l'Ain n'est à mon avis pas le seul concerné, mais la situation y prend une tournure particulière.

Dans le département de l'Ain, les communes du pays de Gex, qui comptent environ 80 000 habitants- j'insiste sur le mot « environ » puisque personne n'est en mesure d'indiquer le chiffre exact -,sont concernées par ce phénomène qui ne cesse de s'amplifier tous les ans à leur détriment. On pense que les résidents suisses représentent à peu près 15 % de la population de Ferney-Voltaire et 10 % de celle de Divonne-les-Bains.

Les Suisses sont déclarés comme« résidents secondaires », alors qu'ils résident en France de façon permanente. Ils y trouvent évidemment quelques avantages indéniables, comme le fait de pouvoir se loger à moindre coût - le prix d'un studio à Genève équivaut à une petite maison sympathique dans le pays de Gex - et le bénéfice pour leurs enfants et pour eux-mêmes d'infrastructures comme les transports en commun, les établissements d'enseignement ou les équipements sportifs. Ils continuent parallèlement de percevoir leurs avantages suisses, notamment en termes de santé et d'assurance chômage.

Ce phénomène n'est pas nouveau, mais l'ampleur qu'il a prise pose des problèmes qui nuisent à la qualité des relations entre les habitants français et les résidents suisses dans le Pays de Gex.

Je me permets de citer l'exemple, qui n'est pas anodin, de M. Gilbert Catelain, citoyen suisse membre de l'Union démocratique du centre, ou UDC, et candidat au Grand Conseil genevois. Je cite ses propos, parce qu'il les a tenus publiquement ; dans le cas contraire, je ne le ferais pas. L'intéressé a déclaré sa résidence officielle à Genève, mais il habite une maison de taille respectable à Chevry. Interviewé par des journalistes dans le cadre d'une émission de la chaîne télévisée suisse RTS, il a prétendu que cette maison appartenait à sa femme et qu'il n'y résidait qu'occasionnellement- bien sûr ! Je précise que M. Catelain a défendu à grand renfort d'affiches électorales, avant de la voter, une motion contre la présence des étrangers à Genève. Le thème de cette motion était ainsi formulé :« Maîtriser son destin, cela signifie maîtriser son immigration ». Je ne rapporterai pas les propos qu'il a tenus à l'égard des travailleurs frontaliers, car ils dépassaient la mesure. Ces précisions devraient vous aider à situer le personnage...

Mme Catherine Procaccia. La question !

M. Rachel Mazuir. M. Catelain n'aime guère les étrangers chez lui, mais le fait d'en être un en France ne le dérange pas trop !

Je reviens au problème d'ensemble : ces« clandestins » grèvent le budget des communes françaises concernées et faussent les données démographiques sur lesquelles les collectivités locales se fondent pour planifier leurs futurs investissements. Ils sont une source de dépenses de service public qui ne sont comptabilisées ni dans le calcul de la compensation financière franco-genevoise ni dans celui des dotations de l'État proportionnelles au nombre d'habitants. Cette perte financière est estimée aujourd'hui à près de 15 millions d'euros. J'ajoute que la présence de ces résidents suisses pèse plus lourd, en pourcentage de la population, dans le pays de Gex qu'en Haute-Savoie.

Plusieurs solutions sont avancées et mériteraient d'être étudiées par le Gouvernement français. Une proposition de loi a été examinée par l'Assemblée nationale en avril dernier : elle visait à rendre obligatoire la déclaration domiciliaire pour toute personne vivant en France. Le maire devait, dans ce cas, relever l'identité, la date de naissance et l'adresse des personnes composant le foyer et délivrer un récépissé, faisant office de justificatif à présenter pour l'accomplissement de chaque formalité telle que l'inscription des enfants à la crèche et le raccordement aux différents réseaux - eau, assainissement, électricité. Pour diverses raisons d'ordre budgétaire, éthique et pratique, ce texte de loi a été rejeté tant par le Gouvernement que par les députés de la majorité.

Mme Catherine Procaccia. La question !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Rachel Mazuir. Ce cas n'est pas courant, et je voudrais donc expliquer pourquoi je pose cette question, monsieur le président.

Les maires de la majorité gouvernementale des communes du pays de Gex - ils sont peu nombreux - étaient bien sûr favorables à cette proposition de loi, estimant que les dépenses budgétaires découlant de la mise en œuvre de ce processus auraient été vite amorties. Serait-il possible que le Gouvernement incite les services fiscaux à se rapprocher des services communaux pour mettre en place une politique de contrôle des résidences secondaires ?

Dans la pratique, certains maires ont développé ce partenariat en procédant au relevé des compteurs d'électricité. Ils ont pu distinguer, au regard de la consommation effective, les vrais résidents secondaires des faux. Ces derniers ont ensuite été conviés à se rendre à la mairie pour modifier leur situation. Certains ont coopéré, d'autres non, comme on pouvait s'en douter.

Mme Catherine Procaccia. Vous avez doublé votre temps de parole !

M. Rachel Mazuir. Quel est votre problème, madame ? Votre tour viendra !

M. le président. Monsieur Mazuir, ne perdez pas de temps, achevez votre propos !

M. Rachel Mazuir. Je souhaite donc savoir quelles mesures il serait possible de prendre pour résoudre dans les meilleurs délais cette difficulté.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu,ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, l'attention du Gouvernement a été attirée lors du congrès de l'Association nationale des élus de la montagne, l'ANEM, sur les charges particulières pesant sur certaines communes frontalières de la Suisse, du fait de la présence permanente de ressortissants helvétiques qui se déclarent résidents secondaires desdites communes - ou omettent de le faire, comme vous venez de le rappeler.

Depuis cette réunion qui s'est tenue voilà trois semaines, nous avons essayé de faire le point sur l'ensemble des mesures qui peuvent actuellement être mises en œuvre.

Tout d'abord, ces résidents ne sont parfois que« prétendument secondaires », puisqu'ils sont bien pris en compte pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, et la détermination de la fiscalité locale.

Pour le calcul de la DGF, toutefois, le problème est réel. En effet, en application de l'article L. 2334-2 du code général des collectivités territoriales, la population prise en compte correspond à la population totale authentifiée annuellement par les services de l'INSEE, majorée d'un habitant par résidence secondaire et d'un habitant par place de caravane située sur une aire d'accueil des gens du voyage conventionnée par l'État. Actuellement, force est de reconnaître que cette majoration est peut-être insuffisante, notamment dans les régions frontalières.

Les communes qui comptent moins de 10 000 habitants font l'objet d'un recensement tous les cinq ans. Les chiffres de population légale de la commune, établis par l'INSEE et authentifiés par décret chaque année, sont calculés à partir de ces recensements, en s'appuyant sur les évolutions du nombre de logements, établies à partir des fichiers de la taxe d'habitation - c'est le seul fait générateur disponible - et de la taille moyenne des ménages.

L'article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales dispose que la dotation de base, dont les modalités de calcul reposent sur le critère de la population retenue pour le calcul de la DGF, prend ainsi en compte l'accroissement de la population liée à la présence de ces personnes, quand bien même celles-ci déclareraient indûment leur résidence comme secondaire.

S'agissant de la fiscalité locale, il n'est pas fait de distinction entre la résidence principale et la résidence secondaire en matière de taxe d'habitation et de taxe foncière. Les ressources des collectivités ne sont donc pas affectées. Mieux, certains abattements et dégrèvements au titre de la taxe d'habitation ne s'appliquent pas à la résidence secondaire. Ces éléments jouent donc plutôt en faveur des collectivités locales.

Concernant les modalités de calcul de la dotation de compensation franco-genevoise, je vous rappelle d'abord son objet. En effet, en application de l'article 17 et de l'article 25, paragraphe A, de la convention fiscale du 9 septembre 1966, les travailleurs frontaliers ayant élu domicile en France et exerçant une activité professionnelle dans le canton de Genève sont imposables sur le territoire helvétique et font l'objet d'un prélèvement à la source sur leur traitement. Afin d'écarter tout risque de double imposition et de régler la situation des collectivités locales subissant une charge spécifique liée à la présence de travailleurs frontaliers, un accord a été conclu le 29 janvier 1973.

La compensation n'a donc pas pour vocation première de traiter de la résidence, à titre principal ou secondaire, de ressortissants helvétiques sur le territoire français, mais plutôt de résoudre les difficultés dues au fait que ces travailleurs paient leur impôt sur le revenu à Genève et non en France, comme c'est habituellement la règle dans les conventions sur l'imposition des travailleurs frontaliers - vous allez sans doute me dire que nous subissons vraiment une double peine !

Aux termes de cet accord entre la France et la Confédération helvétique, la République et Canton de Genève rétrocède aux départements de l'Ain et de la Haute-Savoie et à plusieurs communes situées en zone frontalière une compensation financière équivalant à 3,5 % de la masse salariale brute des travailleurs frontaliers français exerçant leur activité dans le canton. Ce versement a pour objet d'aider les collectivités à financer les équipements supplémentaires rendus nécessaires par la présence de ces salariés, alors même qu'elles ne bénéficient pas des retombées de la fiscalité directe économique. En 2011, cela représentait pour ces deux départements près de 189 millions d'euros- un montant tout à fait substantiel donc -,d'autant que cette recette est très dynamique du fait de l'augmentation du nombre de frontaliers et de l'évolution de la parité entre l'euro et le franc suisse.

Notez enfin que cette ressource qui a été obtenue n'est pas prise en compte dans les indicateurs de richesse des départements et des communes bénéficiaires de l'Ain et de la Haute-Savoie et qu'elle n'entre donc pas en ligne de compte dans le calcul des contributions aux dispositifs de péréquation. Je précise que les choses ne pourraient être étudiées de ce point de vue que sur le revenu moyen.

Monsieur le sénateur, vous appelez de vos vœux le renforcement des dispositifs de lutte contre la fraude. Vous citez même une proposition de loi de Virginie Duby-Muller sur la création d'une obligation de domiciliation, texte examiné et rejeté l'an passé à l'Assemblée nationale.

Le secrétaire d'État alors en charge de ce dossier, M. André Vallini, avait souligné le risque constitutionnel inhérent à la création d'un fichier aussi vaste regroupant l'ensemble de la population française. C'est pour cette seule raison que la proposition de loi a été rejetée. La position du Gouvernement sur ce point ne peut pas avoir changé.

Sous les mêmes réserves constitutionnelles et eu égard à la nécessité de respecter la réglementation applicable en matière de protection des données personnelles, la transmission directe d'informations fiscales nominatives à destination des maires des communes frontalières pourrait se révéler délicate à organiser.

En revanche, il existe entre les services fiscaux une coopération renforcée prévoyant l'échange d'informations afin de prévenir les tentatives de contournement de la législation fiscale que vous avez décrites. Ces dispositions, soutenues par le Gouvernement, s'inscrivent plus globalement dans le plan national de lutte contre la fraude aux finances publiques dont l'un des axes prévoit de partager des bonnes pratiques avec les autorités étrangères.

Depuis la réunion des élus de la montagne, nous avons décidé de confier à nos services le soin de porter un regard spécifique et très précis sur ces questions.

Soyez assuré, monsieur le sénateur, que nous continuerons de suivre ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Rachel Mazuir.

M. Rachel Mazuir. Madame la ministre, je prends acte de votre réponse. Je ne veux pas prolonger le débat, car je sais que l'une de nos collègues est particulièrement pressée...

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