Question de M. LAURENT Daniel (Charente-Maritime - UMP) publiée le 09/10/2014

M. Daniel Laurent attire l'attention de M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique sur les vives préoccupations des chambres de commerce et d'industrie (CCI) qui s'étonnent qu'à l'heure où le Gouvernement propose aux entreprises un pacte de responsabilité, il organise, dans le même temps, un démantèlement de l'économie sur les territoires.

Le 27 mai 2014, les présidents des CCI ont adopté une motion de défense des entreprises et pris la décision de suspendre tous leurs travaux en cours avec le Gouvernement, au niveau tant national que local. Ils ont décidé, par ailleurs, de ne plus promouvoir les politiques publiques, en particulier le pacte de responsabilité. Alors que, le 28 mai 2013, le Premier ministre signait, avec le réseau des CCI de France, un pacte de confiance, cette confiance s'est, depuis, érodée, en premier lieu à la suite de la baisse des ressources affectées aux CCI de l'ordre de 20 % en 2014.

Depuis, le Gouvernement envisage une nouvelle réduction de 32 % des ressources des CCI d'ici à 2017 et un prélèvement supplémentaire de 900 millions d'euros. Il envisagerait de revoir les contours de leur champ d'intervention dans des secteurs stratégiques comme la gestion d'équipements (aéroports, ports…) ou la formation continue. En privant les CCI des moyens de soutenir le développement des entreprises et des territoires, en leur supprimant des missions, le risque est d'aboutir à la fermeture des centres de formation d'apprentis (CFA) et à la réduction du nombre d'apprentis de 100 000 à 70 000 en trois ans.

Le risque est aussi de menacer la pérennité, d'ici à 2017, d'aéroports, de ports de pêche, de ports de commerce, de parcs d'exposition et palais des congrès, de zones d'activités, mais aussi d'arrêter les formations en direction des demandeurs d'emploi, des jeunes en contrat de professionnalisation, des salariés en reconversion professionnelle dans les bassins d'emploi en difficulté et, enfin, de supprimer 6 000 emplois sur les 26 000 collaborateurs très impliqués que compte le réseau des CCI. En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui faire des propositions du Gouvernement en la matière.

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Réponse du Ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique publiée le 22/10/2014

Réponse apportée en séance publique le 21/10/2014

M. le président. Monsieur le ministre de l'économie, M. Longuet et moi-même, qui avons trente-sept ans de présence au Parlement, sommes heureux de vous accueillir dans cet hémicycle, en vous souhaitant une longévité égale à la nôtre.(Sourires.)

La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 870, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Daniel Laurent. Monsieur le ministre, ma question, à laquelle s'associent ma collègue nouvellement élue Corinne Imbert et certainement de nombreux élus de nos territoires, porte sur les vives préoccupations des chambres de commerce et d'industrie, les CCI. Celles-ci s'étonnent qu'à l'heure où le Gouvernement propose aux entreprises un pacte de responsabilité il organise dans le même temps un véritable démantèlement de l'économie sur les territoires.

Le 27 mai 2014, les présidents des CCI ont adopté une motion de défense des entreprises et pris la décision de suspendre tous leurs travaux en cours avec le Gouvernement, aux niveaux tant national que local.

En effet, alors que, le 28 mai 2013, le Premier ministre signait avec le réseau des CCI de France un pacte de confiance, cette dernière s'est depuis érodée, en premier lieu à la suite de la baisse des ressources affectées aux CCI, de l'ordre de 20 % en 2014.

Depuis, le Gouvernement a inscrit au projet de loi de finances pour 2015 un prélèvement supplémentaire de 500 millions d'euros sur les fonds de roulement de certaines CCI.

Ainsi, dans mon département, la CCI Rochefort et Saintonge se verrait prélever 2 290 605 euros et celle de La Rochelle, 10 532 436 euros, alors que d'autres CCI de la région Poitou-Charentes n'auraient pas à subir de prélèvement sur leur fonds de roulement.

De plus, le projet de loi de finances pour 2015 réduit de 17 % les ressources fiscales des CCI : c'est, selon ce qui a été annoncé à leurs présidents, la première étape d'une diminution totale de 37 % qu'elles devront subir d'ici à 2017.

En privant les chambres consulaires des moyens de soutenir le développement des entreprises et des territoires, on risque d'aboutir à la fermeture des centres de formation d'apprentis, les CFA, et à la réduction du nombre d'apprentis de 100 000 à 70 000 en trois ans.

En Charente-Maritime, la CCI Rochefort et Saintonge ne sera plus en mesure de gérer le CFA-commerce de Saintes, qui forme 600 apprentis par an.

Nous le savons tous, nous manquons d'apprentis dans différents métiers. Or, au lieu d'encourager ces jeunes, vous diminuez les moyens des structures de formation !

Des équipements structurants sont aussi directement menacés, à l'image de l'aéroport de La Rochelle-Île de Ré, qui est géré par la CCI de La Rochelle. Cet aéroport départemental, qui accueille actuellement 215 000 passagers par an, est un équipement touristique et économique essentiel. Il en va de même pour les investissements dans les ports de pêche et de commerce, les parcs d'exposition, les palais des congrès et autres zones d'activité, toutes structures porteuses d'activités économiques et d'emplois.

Enfin, le service même aux entreprises, surtout dans les territoires ruraux comme le mien, est directement remis en cause, car les CCI n'auront plus les moyens d'organiser une présence sur le terrain, d'accompagner les créateurs d'entreprise et les porteurs de projet, de soutenir les clubs et associations...

Les mesures drastiques concernant les CCI inscrites au projet de loi de finances 2015 engendreront, en Charente-Maritime, une centaine de suppressions d'emplois. Au niveau national, ce sont 6 000 emplois, sur les 26 000 collaborateurs très impliqués que compte le réseau des CCI, qui sont menacés.

Si les chambres de commerce et d'industrie consentent à contribuer à l'effort national de réduction des déficits publics, il n'en demeure pas moins qu'il faut leur laisser le temps de mener à bien les réformes structurelles idoines, leur permettre de poursuivre leurs investissements et actions indispensables pour le développement économique de nos territoires.

Tout au long de la campagne sénatoriale que nous venons de vivre, nous avons pu mesurer le désarroi et l'inquiétude des élus et des acteurs socio-économiques quant à l'avenir, notamment au regard de l'incidence sur l'investissement public des baisses des dotations aux collectivités locales ou des incertitudes liées à la réorganisation territoriale, sans parler des modalités d'application de la réforme des rythmes scolaires, que M. Maurey vient d'évoquer.

Nos collègues de l'Assemblée nationale, qui examinent actuellement le projet de loi de finances, ont fait entendre sur tous les bancs les vives préoccupations exprimées dans nos territoires et ont formulé des propositions. Je ne reviendrai pas sur les débats qui ont eu lieu à la fin de la semaine dernière et hier soir, sinon pour dire que les amendements qui ont été adoptés ne changeront concrètement rien aux prélèvements opérés sur les fonds de roulement : ils restent pratiquement identiques.

Gageons qu'une solution satisfaisante sera trouvéein fine, permettant à l'État de faire face à ses contraintes budgétaires et aux CCI de poursuivre leurs missions, même si je n'ai guère d'illusions sur la volonté du Gouvernement. En tout cas, au Sénat, nous nous y emploierons autant que nous le pourrons.

En conséquence, monsieur le ministre, comment envisagez-vous l'avenir des chambres de commerce et d'industrie ? Quels sont les objectifs réels du Gouvernement en matière de gouvernance territoriale de l'ensemble des politiques économiques, qui sont déterminantes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron,ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Je veux tout d'abord, monsieur le président, vous remercier de votre message d'accueil.

Monsieur le sénateur Daniel Laurent, je tenais à être présent ce matin, car la question que vous avez posée est importante. En effet, au-delà des aspects financiers, les CCI assument, comme vous l'avez fort bien souligné, des missions essentielles pour nous tous. Je les ai d'ailleurs moi-même rappelées lorsque je suis allé devant l'assemblée générale des chambres de commerce et d'industrie le 19 septembre dernier pour leur expliquer le sens des décisions que nous prenions.

Le rôle des CCI est effectivement majeur en matière d'apprentissage, de services aux entreprises, ainsi que d'aménagement de nos territoires, au travers des aéroports de proximité et de nombreux autres services. Elles jouent aussi un rôle pédagogique important en termes de mise en œuvre de l'ensemble de notre action économique. Nous nous sommes d'ailleurs appuyés sur elles à plusieurs reprises, par exemple lorsqu'il s'est agi d'expliquer le CICE - crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi - ou le pacte de responsabilité.

Il n'est pas question ici de remettre en cause le rôle des CCI et leur importance sur le territoire.

Néanmoins, l'esprit de responsabilité, que nous partageons, monsieur le sénateur, nous oblige, au regard de la situation de nos finances publiques et alors que nous appelons tous de nos vœux la baisse des dépenses publiques, à considérer que celle-ci doit s'appliquer de la manière la plus équitable possible à l'ensemble des acteurs de cette dépense publique ; or les CCI en font partie.

Qui plus est, celles-ci ont perçu, pendant plusieurs années, des ressources fiscales qui excédaient leurs besoins. Je rappellerai quelques chiffres qui doivent être gardés en mémoire.

Entre 2002 et 2012, la ressource des CCI a augmenté de 41 % avant de commencer à diminuer en 2014. Elle a augmenté tandis que la dépense de l'État était gelée en volume depuis 2003 et en valeur depuis 2011. Par voie de conséquence, les fonds de roulement des CCI ont sensiblement gonflé jusqu'en 2012.

Ce constat, je n'en accable pas les CCI actuelles ni leurs dirigeants ; je dis simplement « en creux » que nous aurions dû commencer à réguler les finances des CCI et à leur demander des efforts bien plus tôt.

Ceux que nous leur demandons aujourd'hui sont doublement nécessaires : ils ont conduit le Gouvernement à proposer dans le projet de loi de finances, d'une part, un prélèvement sur leurs fonds de roulement de 500 millions d'euros en 2015 et, d'autre part, une diminution du plafond de la taxe pour frais de chambre- la fameuse TFC - de 213 millions d'euros pour cette même année, ce qui représente une baisse de 4 % par rapport au niveau de TFC perçue en 2014.

À ce titre, je voudrais lever plusieurs malentendus.

Tout d'abord, la baisse du plafond de TFC, ce n'est pas « plus d'argent pour l'État »,c'est moins d'argent prélevé sur les entreprises. La diminution progressive que nous comptons mettre en œuvre me paraît parfaitement cohérente avec l'ensemble de la politique économique conduite par le Gouvernement : réduction des déficits, d'une part, relance de l'activité, d'autre part.

Par ailleurs, cette taxe finance les activités de service public administratif auprès des entreprises ainsi que la formation. On ne parle ni de la taxe d'apprentissage, qui finance le fonctionnement des structures d'apprentissage, ni des structures et activités telles qu'aéroports, ports, parkings, palais des congrès, formation professionnelle continue, accompagnement des entreprises, etc., qui ne sont pas financées par la TFC ; on ne touche ni aux ressources ni aux fonds de roulement de ces activités.

Ainsi, devant la menace que j'ai déjà entendue selon laquelle plusieurs centres de formation des apprentis pourraient être fermés en représailles des efforts demandés, je réitère l'invitation que j'ai faite aux CCI de faire preuve d'esprit de responsabilité et de chercher plutôt à faire porter l'effort sur des frais de fonctionnement, sur des regroupements de structures. Si des efforts ont été réalisés durant les deux ou trois années précédentes, beaucoup peut encore être fait dans d'autres domaines par les CCI pour réduire leurs dépenses. Si elles partagent avec nous cette priorité en faveur de l'apprentissage, cela doit se refléter dans les choix qu'elles opéreront.

Enfin, nous avons veillé à tenir compte de la réalité des situations locales. Ainsi, malgré le niveau très important atteint par la plupart des fonds de roulement des CCI, le Gouvernement prévoit de ne ponctionner qu'une partie du fonds excédant quatre mois. Au total, une trentaine de CCI ne seraient pas concernées.

Les modalités que doivent revêtir ces efforts sont actuellement, vous l'avez rappelé, débattues au Parlement, et le Sénat aura lui-même à en discuter.

Je regrette que les CCI aient, en quelque sorte, préféré le jeu du pire et n'aient pas souhaité s'organiser entre elles. Il est évident qu'une péréquation régionale aurait été beaucoup plus adaptée dans la mesure où les situations locales sont très différentes. Il est dommage que les CCI n'aient pas fait ce choix. Elles doivent selon moi revenir à la concertation.

L'effort global qui leur est demandé ne saurait être diminué, mais je pense que l'on peut, de la manière la plus intelligente possible, encore améliorer la copie- et ce sera le fruit des débats qui sont menés actuellement et qui se poursuivront au cours des prochaines semaines, notamment ici. L'effort d'ensemble est une nécessité et notre responsabilité est partagée.

Je réaffirme, en conclusion, monsieur le sénateur, notre volonté de poursuivre le travail que nous menons avec les CCI, dont les missions d'intérêt général sont effectivement au cœur de notre économie.

M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.

M. Daniel Laurent. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais vous imaginez bien qu'elle ne va pas complètement satisfaire les CCI.

Nous sommes conscients que la crise économique majeure, dramatique, dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui nous impose de faire des économies.

Toutefois, je constate que les ressources importantes dont ont bénéficié les CCI ont été utilisées à bon escient, dans l'intérêt de nos territoires.

La France est extrêmement diverse. Je représente ici, comme de nombreux autres sénateurs, la France des territoires ruraux. Dans ces territoires, il faudra maintenir des politiques de proximité efficaces, qui soient utiles aux entreprises, qui favorisent l'implantation des petits commerces, et cela, bien sûr, dans l'intérêt des collectivités. Or cette action passe par les CCI.

Il est donc indispensable de continuer à les aider et, surtout, de ne pas amputer leurs budgets, faute de quoi elles ne pourront plus fonctionner, elles ne pourront plus mener les actions significatives qui sont les leurs en faveur des jeunes.

Si j'interviens en ce sens aujourd'hui, c'est parce que c'est important pour notre avenir et pour nos territoires ruraux. Merci, monsieur le ministre, de nous entendre, de nous écouter et d'être efficace dans vos décisions !

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