Question de Mme GOULET Nathalie (Orne - UDI-UC) publiée le 18/07/2014

Question posée en séance publique le 17/07/2014

Mme Nathalie Goulet. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

La plateforme nationale des interceptions judiciaires, la PNIJ, constitue un naufrage potentiel pour la qualité des enquêtes judiciaires, pour nos finances publiques et pour la sécurité des données personnelles.

Voilà quelques semaines, j'avais proposé la création d'une commission d'enquête sénatoriale sur ce sujet, mais, à vrai dire, elle n'a pas eu beaucoup de succès. N'étant pas une femme de renoncement, je reviens sur le sujet aujourd'hui.

Alors que l'on dénombrait 650 000 réquisitions judiciaires en 2012, 20 000 interceptions téléphoniques et 12 000 géolocalisations, un opérateur sûr et performant est nécessaire pour assister nos services de police et de gendarmerie. Or le dossier de la PNIJ a été mal engagé : appel d'offres restreint et contesté, intervention de la commission d'accès aux documents administratifs – CADA –, caviardage de documents, explosion des coûts. Évalué initialement à 20 millions d'euros, le coût de la PNIJ a en effet doublé, pour atteindre aujourd'hui 47 millions d'euros.

La plateforme ne fonctionne pas encore. On ignore à ce jour qui prendra en charge les données de géolocalisation, lesquelles ne sont pas encore intégrées au dispositif, ni qui du ministère de la justice ou du ministère de l'intérieur supportera les frais de fonctionnement – distribution des données, maintenance, évolutions et assistance –, ainsi que la mise à niveau des réseaux.

A-t-on étudié une solution d'intégration des systèmes existants à la nouvelle plateforme de dématérialisation des réquisitions ?

Les « grandes oreilles » de l'État seront gérées exclusivement par Thales. Là encore, il convient de s'interroger sur les libertés publiques et sur la protection des données personnelles.

Évitons de répéter les erreurs du dossier Écomouv ou du logiciel Louvois !

Je réitère mes questions, Madame la Garde des sceaux, au nom de la transparence des dépenses de l'État et de la sécurité juridique des enquêtes de police, lesquelles risquent de pâtir d'une succession sans bénéfice d'inventaire.

Madame la garde des sceaux, où en est la mise en place de cette plateforme ? Où en sont les surcoûts par rapport aux devis initiaux ? Comment sont assurés la sécurité des données personnelles et leur stockage ? Autant de questions auxquelles, jusqu'à présent, nous n'avons pas de réponse. Je vous remercie de bien vouloir me les apporter. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées de l'UMP. – Mme Leila Aïchi applaudit également.)

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 18/07/2014

Réponse apportée en séance publique le 17/07/2014

Mme Christiane Taubira,garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Nathalie Goulet, vous m'interrogez très précisément sur les délais de mise en œuvre de la plateforme et sur les coûts et surcoûts que celle-ci engendrera.

Je vous réponds très directement. S'agissant des délais, c'est une décision qui a été prise en septembre 2010. Cette décision avait prévu une mise en activité à l'automne 2013. En réalité, cetteplateforme sera opérationnelle en janvier 2015. L'une des raisons principales de ce retard tient au fait que nous avons dû revoir le cadre du marché public, parce qu'un certain nombre de charges n'avaient pas été prévues, notamment la protection et la sécurisation de la plateforme elle-même. Le coût de cet investissement a donc été revu à la hausse, passant de 42 millions d'euros en 2010 à 48 millions d'euros en 2012 dans le cadre du nouveau marché public. Une autre raison de ce retard est liée, bien entendu, aux conditions d'organisation, aux décrets nécessaires et aux six mois supplémentaires dont a eu besoin la CNIL.

En ce qui concerne le coût, les 48 millions d'euros d'investissements initiaux sont à mettre en regard des charges actuelles. Elles étaient de 25 millions d'euros en 2006, de 30 millions d'euros en 2012 et de 43 millions en 2013, ce qui témoigne de la montée en charge du recours à ces interceptions, qui sont nécessaires, et même indispensables pour certaines enquêtes, mais qui doivent être effectuées dans un cadre juridique stable. D'ailleurs, le code de procédure pénale précise très clairement qu'en cas d'information judiciaire, c'est le juge d'instruction qui autorise ces interceptions. Et en cas d'enquête préliminaire ou de flagrance dans des cas de délinquance ou de criminalité organisée, c'est le juge des libertés et de la détention, sur saisine du procureur, qui les autorise. Nous nous assurons que ce cadre juridique reste stable.

Outre les délais et les coûts, vous avez aussi évoqué dans votre intervention la question importante des libertés. Nous sommes aussi soucieux de cette question, et c'est pourquoi nous avons saisi la CNIL, qui a eu besoin de six mois supplémentaires pour statuer. Les décrets sont actuellement à l'étude au Conseil d'État.

J'ai aussi voulu mettre en place un comité de contrôle, dont le décret de création est lui aussi à l'étude auprès du Conseil d'État. Ce comité de contrôle sera composé de magistrats honoraires de la Cour de cassation, de parlementaires et de personnalités qualifiées de la société civile. Il aura principalement pour mission de veiller au respect des finalités de cette plateforme centrale et des procédures permettant sa mise en œuvre fonctionnelle et technique. Il aura aussi l'obligation de remettre un rapport annuel au garde des sceaux et à la CNIL. Surtout, nous allons veiller à ce qu'il ait tous les moyens d'assumer ses missions, notamment par un accès permanent à tous les lieux de la plateforme centrale.(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

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