Question de M. BOCQUET Éric (Nord - CRC) publiée le 19/06/2014

M. Éric Bocquet attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur la défense de la langue française et les conditions d'un développement harmonieux et mutuellement enrichissant de la diversité linguistique dans nos sociétés.

Dans quelques semaines, sera marqué le vingtième anniversaire de l'adoption de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française. Chacun s'en souvient, ce texte s'appuyait sur une disposition introduite en 1992 dans la Constitution, à l'article 2 : « La langue de la République est le français ».

Le décret d'application du 3 juillet 1996 a mis en place un dispositif d'enrichissement de la langue française. Il impose l'usage des termes en français dans les services et établissements publics de l'État dans les articles 11 et 12 du décret.

Depuis ces années, chacun peut faire le constat d'une accélération de l'évolution dans l'emploi d'un vocabulaire nouveau, essentiellement d'origine anglo-saxonne. La mondialisation économique et l'essor des nouvelles technologies ont grandement contribué à cette accélération.

Le débat évoqué ici n'a donc rien de superficiel ou d'anecdotique. L'évolution de notre langue est aussi le marqueur d'une évolution d'un mode de pensée, d'aucuns la qualifient de pensée unique, elle-même révélatrice d'un système économique unique.

L'enjeu n'est donc pas que linguistique, il est aussi fondamentalement politique, au sens le plus noble du terme. Il ne s'agit pas non plus d'engager une guerre linguistique mais bien de créer les conditions d'un développement harmonieux et mutuellement enrichissant de la diversité linguistique dans nos sociétés.

Il lui demande de lui faire part de ses réflexions sur ces sujets et également présenter les initiatives en cours ou à venir pour répondre à ces défis.

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Réponse du Ministère de la culture et de la communication publiée le 09/07/2014

Réponse apportée en séance publique le 08/07/2014

M. Éric Bocquet. Madame la ministre, dans quelques semaines, ce sera le vingtième anniversaire de l'adoption de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française. Chacun s'en souvient, ce texte s'appuyait sur une disposition introduite en 1992 dans la Constitution, à l'article 2 : « La langue de la République est le français. »

Le décret d'application du 3 juillet 1996 a mis en place un dispositif d'enrichissement de la langue française. Ses articles 11 et 12 imposent l'usage des termes en français dans les services et établissements publics de l'État.

Ce vingtième anniversaire peut être l'occasion d'un point d'étape sur la loi de 1994, dont Jacques Toubon, l'un de vos prédécesseurs, avait été à l'origine.

Depuis plusieurs années, chacun peut faire le constat d'une accélération de l'évolution dans l'emploi d'un vocabulaire nouveau, essentiellement d'origine anglo-saxonne. La mondialisation économique et l'essor des nouvelles technologies y ont également grandement contribué.

Le débat n'a donc rien de superficiel ou d'anecdotique. L'évolution de notre langue est aussi le marqueur d'une évolution d'un certain mode de pensée, ce que d'aucuns appellent parfois la « pensée unique », elle-même révélatrice d'un système économique que certains souhaiteraient également unique. Les mots sont bien les outils et les véhicules de l'expression d'une pensée.

L'enjeu n'est donc pas seulement linguistique ou défensif ; il est aussi fondamentalement politique, au sens le plus noble du terme. Il s'agit non pas d'engager une guerre linguistique, mais bien de créer les conditions d'un développement harmonieux et mutuellement enrichissant de la diversité linguistique dans nos sociétés.

Je souhaite connaître vos réflexions sur ce sujet, madame la ministre. Pourriez-vous également nous présenter les éventuelles initiatives en cours ou à venir pour répondre au défi de la défense et de la promotion de la langue française ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, vous appelez mon attention sur le sens et l'ambition de la politique, certes interministérielle mais d'abord pilotée par le ministère de la culture, en faveur de la langue française et de la diversité linguistique.

Comme vous le rappelez à juste titre, la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française est une grande loi. D'ailleurs, la date symbolique du 4 août n'a pas été choisie au hasard : la maîtrise de la langue, c'est véritablement l'abolition des privilèges ! Donner à tous nos concitoyens les outils de maîtrise de la langue française, c'est leur permettre d'accéder à l'égalité.

La défense et la promotion de la langue française s'inscrivent dans une perspective de valorisation de la diversité culturelle et linguistique dont notre pays est porteur. On a longtemps considéré que le français s'opposait aux langues régionales, aux langues de France. Aujourd'hui, par la politique culturelle que je mène, j'entends bien montrer que valorisation de la diversité linguistique et défense et promotion de la langue française sont parfaitement conciliables.

J'espère pouvoir répondre à vos interrogations sur les orientations et actions.

La loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française est un élément essentiel de notre pacte républicain. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité, avec Catherine Tasca, mettre à profit le vingtième anniversaire de son adoption pour organiser le 13 octobre prochain au Sénat une réflexion sur la portée réelle de ce texte, sur son rôle au regard de nos solidarités francophones et sur sa pertinence dans un contexte d'internationalisation des échanges et de bouleversement dans les conditions de transmission des savoirs.

Vous le savez, il y a eu un débat sur l'enseignement en langue anglaise dans certaines de nos universités et grandes écoles pour des élèves étrangers issus de pays non francophones. À mon sens, compte tenu des garanties qui ont été apportées, notamment sur le fait qu'une telle démarche s'inscrivait dans un processus d'apprentissage du français, la possibilité d'offrir à ces étudiants des cours en anglais à leur arrivée en France, en tout cas au début, doit être assurée. Cela fait partie, vous l'avez souligné, d'une politique ouverte et dynamique pour promouvoir l'enseignement de la langue française et sa diffusion partout dans le monde.

Par ailleurs, il existe un comité de terminologie, dans lequel l'Académie française et nos partenaires francophones jouent un rôle très actif. Ce dispositif interministériel nous permet d'enrichir la langue en permanence.

Il est indispensable de pouvoir décrire toutes les réalités techniques ou sociologiques du monde contemporain, ainsi que les évolutions sociétales. La stratégie d'influence de la France repose aussi sur sa capacité à représenter le monde contemporain et donc à en nommer les réalités. Ainsi, dans nombre de domaines scientifiques et techniques, nous avons des termes français précis et correctement définis qui permettent de maintenir notre langue en état d'exercice et d'en faire le vecteur privilégié de la transmission et du partage des savoirs.

La pluralité linguistique est constitutive de notre pays ; vous y êtes attaché.

J'ai souhaité conduire une réflexion pour définir une politique publique en faveur des langues régionales. Plusieurs des conclusions formulées l'année dernière par le comité consultatif que j'avais mis en place ont d'ores et déjà été mises en œuvre.

J'ai ainsi publié un code des langues de France qui permet de regrouper et d'organiser, un peu sur le modèle des codes Dalloz, l'ensemble des textes législatifs et réglementaires assurant la présence de ces langues dans la société, que ce soit dans l'enseignement, dans les médias ou dans la justice. Il s'agit là d'une avancée notable dans la reconnaissance des langues qui font la France.

Le 31 mars dernier, j'ai signé et adressé à l'ensemble des directeurs de mon ministère et aux principaux responsables d'institutions culturelles une circulaire relative à la valorisation des langues de France. Un principe de non-discrimination y est posé de manière très nette : il faut appliquer aux projets en langues régionales les dispositifs de droit commun, notamment s'agissant du soutien financier - soutien financier à la création, par exemple -, en vigueur pour les projets en langue française. Cela répond à une exigence d'égalité et de démocratie culturelle.

À travers ces différentes mesures - et je n'en citerai pas d'autres pour ne pas allonger mon propos -, il s'agit pour le Gouvernement tout entier de créer les conditions d'un développement harmonieux de la diversité linguistique dans notre pays.

Une vigilance constante est nécessaire pour veiller à l'application du principe constitutionnel qui fait du français la langue de la République, mais nous devons également donner à cette dernière les moyens d'accueillir et de valoriser son patrimoine linguistique riche et vivant.

Comme je l'avais indiqué devant l'Assemble nationale au mois de janvier dernier, il faut concilier la langue de la République et la République des langues.

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Je souhaitais vivement connaître votre appréciation sur le sujet. Les éléments d'information que vous apportez sont tout à fait satisfaisants.

Vous l'avez bien compris, il ne s'agit nullement d'une démarche défensive ; l'enjeu n'est pas d'ériger une ligne Maginot face à l'intrusion des langues étrangères. D'ailleurs, l'apprentissage d'autres langues permet de mieux comprendre la sienne, et les langues s'enrichissent mutuellement.

Le processus est donc permanent. Il s'agit non pas d'arrêter l'histoire de l'évolution, mais d'avoir tout de même en tête des préoccupations que nous sommes très nombreux à partager. Après tout, la Joconde aurait-elle connu le même succès si toutes les couleurs avaient été mélangées pour aboutir à une teinte tout à fait indéfinissable ? (Mme la ministre sourit.)

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