Question de M. DESESSARD Jean (Paris - ECOLO) publiée le 17/01/2014

Question posée en séance publique le 16/01/2014

Concerne le thème : Devenir des élections prud'homales

M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, je profite de mon intervention pour vous souhaiter une bonne année 2014, au cours de laquelle nous allons – c'est du moins ce que j'ai cru comprendre – « accélérer ». Pour notre part, nous sommes prêts à faire face à une telle accélération !

Le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale prévoit d'autoriser le Gouvernement à agir par ordonnance pour déterminer le mode de désignation des conseillers prud'hommes. En réalité, cette ordonnance doit permettre au Gouvernement de supprimer l'élection de ces conseillers.

Vous proposez de remplacer cette élection au suffrage universel, profondément ancrée dans l'histoire sociale de notre pays, depuis 1806, par une désignation des conseillers prud'homaux au prorata des résultats obtenus par les partenaires sociaux aux élections professionnelles. Vous avez évoqué, dans une lettre aux partenaires sociaux datée de novembre 2013, les raisons de cette suppression : ces élections coûtent trop cher et ne mobilisent pas assez les électeurs.

Néanmoins, une telle évolution pose plusieurs problèmes, notamment pour ce qui concerne le corps électoral. En effet, si les chômeurs involontairement privés d'emploi peuvent voter aux élections prud'homales lorsqu'ils en font la demande, ils sont en revanche totalement exclus des élections professionnelles, qui concernent les seuls salariés. Cette mise à l'écart du processus électif contribuera à les éloigner encore plus du monde du travail. La légitimité des organisations syndicales pourrait également se trouver affaiblie du fait d'une telle exclusion.

Le même problème se pose pour les précaires : pour voter aux élections professionnelles, il faut avoir travaillé au minimum trois mois dans l'entreprise, tandis que, pour les élections prud'homales, il suffit de relever du droit du travail ou d'en avoir relevé, si l'on est chômeur. À cet égard, le corps électoral pour les élections prud'homales est également restreint.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous intégrer ces différents éléments, à savoir la prise en compte des chômeurs et des précaires, dans le cadre de la suppression d'une élection d'envergure nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

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Réponse du Ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social publiée le 17/01/2014

Réponse apportée en séance publique le 16/01/2014

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de répondre à la série de questions que vous vous apprêtez à me poser. Je compléterai mes propos au fur et à mesure, ce sujet comportant un grand nombre de facettes.

Tout d'abord, monsieur Desessard, l'avant-projet de loi que vous évoquez n'a pas encore été adopté en conseil des ministres. Ces sujets sont donc sur la table, mais ne correspondent pas à une décision gouvernementale, et encore moins à un projet de loi.

Ensuite, il n'est absolument pas envisagé de remettre en cause l'existence même des juridictions prud'homales, qui sont extrêmement utiles. La présence aussi bien des employeurs que des représentants des salariés constitue un élément fondamental de l'équilibre des jugements de ces juridictions. Il est donc question non pas de remettre en cause le paritarisme, mais, au contraire, d'éviter que ces conseils ne se dévaluent dans l'esprit des salariés et de ceux qui sont censés participer aux élections.

Par ailleurs, même si la question du coût n'est pas mineure, je préfère m'attarder sur celle de la participation, qui n'a jamais cessé de se dégrader d'une élection à l'autre. Il s'agissait peut-être d'une élection populaire il y a trente ans, mais le dernier scrutin a donné lieu à une participation inférieure à 25 %, ce qui marque une dégradation très profonde par rapport aux consultations antérieures. Ainsi, quels qu'aient été les efforts des uns et des autres pour populariser cette élection - ils ont été très importants lors du dernier scrutin -, le problème reste aujourd'hui entier. Une juridiction aussi importante conserve-t-elle sa légitimité quand aussi peu de monde participe à l'élection des représentants des salariés ?

Monsieur le sénateur, vous abordez également la question du corps électoral, qui se pose en effet. Permettez-moi d'y répondre en quelques secondes. Les organisations syndicales sont légitimes pour représenter aussi bien les salariés que les chômeurs. Vous ne pouvez leur ôter cette légitimité ! Leur seule présence au sein des conseils de prud'hommes permet de prendre en compte les intérêts de toutes les catégories de personnes, que celles-ci travaillent ou soient à la recherche d'un emploi.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour la réplique.

M. Jean Desessard. Les élections prud'homales sont organisées simultanément, le même jour, sur l'ensemble du territoire. Elles peuvent donc susciter une mobilisation médiatique. Vous nous dites, monsieur le ministre, qu'on va les supprimer parce qu'il n'y a pas assez de participants ! Quel pourcentage de participation est-il nécessaire pour maintenir les élections européennes ? Vous le voyez, on ne peut pas raisonner ainsi.

La question posée, c'est celle de la mobilisation de l'ensemble des salariés, y compris des précaires, et des chômeurs. On ne peut pas invoquer l'abstention pour supprimer une élection ! Si l'on décide de raisonner ainsi, on est conduit à remettre en cause certaines élections, notamment celles des conseillers généraux.

Mme Nathalie Goulet. Ou les élections sénatoriales ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Par ailleurs, nous avons toujours une divergence de vues concernant le statut, qui ne devrait pas en être un, je vous l'accorde, des chômeurs de longue durée et des précaires. Selon vous, leur situation n'est pas normale et ils n'ont donc pas à être enfermés dans un « statut ». Certes ! Toutefois, dans la mesure où ces chômeurs existent, et où ils restent parfois longtemps dans cette situation, il convient de leur donner des droits, comme à tous. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

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