Question de M. NAVARRO Robert (Hérault - SOC) publiée le 18/11/2010

M. Robert Navarro attire l'attention de M. le Premier ministre sur le jugement rendu le 12 octobre 2010 par le tribunal administratif de Montpellier ordonnant à la mairie de Villeneuve-lès-Maguelone de retirer ses panneaux bilingues français/occitan aux entrées de la ville.

Il estime que cette affaire montre que la France doit enfin ratifier la charte européenne des langues minoritaires ou régionales, qui avait été signée par M. Lionel Jospin, alors Premier ministre, le 7 mai 1999. Le président de la République de l'époque avait refusé d'engager le processus de ratification, arguant de l'incompatibilité de la charte avec la constitution française, qu'il aurait été nécessaire d'adapter. Depuis, la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République a été votée en juillet 2008 et un nouvel article a été ajouté à la Constitution, le 75-1, qui dispose que « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Par ailleurs, d'après la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, chaque citoyen peut parler, écrire et imprimer librement.

Il estime donc qu'il est désormais possible que la France ratifie la charte européenne des langues minoritaires ou régionales, comme le Conseil économique et social des Nations Unies le suggère également.

Par ailleurs, il estime urgent de revoir la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française - dont une grande partie a d'ailleurs été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel – ainsi que le décret d'application n° 95-240 du 3 mars 1995 pris pour l'application de cette loi. Les arrêtés relatifs à la signalisation des routes et des autoroutes (24 novembre 1967 et 7 juin 1977) et le code de la route doivent être modifiés en conséquence.

Il souhaite savoir si le Gouvernement est prêt à engager une réforme à ce sujet.

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Transmise au Ministère de la culture et de la communication


Réponse du Secrétariat d'État chargé de la fonction publique publiée le 19/01/2011

Réponse apportée en séance publique le 18/01/2011

M. Robert Navarro. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur un jugement qui a été rendu le 12 octobre dernier par le tribunal administratif de la ville de Montpellier et que je regrette. Celui-ci a ordonné à la mairie de Villeneuve-lès-Maguelone, commune du département de l'Hérault, de retirer ses panneaux bilingues français-occitan aux entrées de la ville.

J'interroge donc le Gouvernement sur le traitement en France des langues régionales ou minoritaires.

Plusieurs propositions de loi destinées à protéger et à favoriser les langues régionales sont actuellement déposées, notamment celle de mon ami Roland Courteau que j'ai cosignée.

L'exemple de Villeneuve-lès-Maguelone montre que la France doit enfin ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour que des initiatives de ce type ne soient plus sanctionnées.

Comme son nom l'indique, cette charte est destinée à protéger et à promouvoir les langues régionales ou minoritaires dans les différents États signataires. Or la France ne l'a pas ratifiée, à l'inverse de la plupart des membres de l'Union européenne ; même un pays comme l'Ukraine, qui a parfois connu des gouvernements autoritaires, l'a fait. Alors que Lionel Jospin, alors Premier ministre, l'avait signée, le Président de la République de l'époque avait refusé d'engager le processus de ratification, considérant que cette charte était incompatible avec la Constitution de notre pays.

Depuis, un nouvel article a été ajouté à la Constitution, qui précise que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».

Monsieur le secrétaire d'État – et en vous interrogeant, c'est au Président de la République, Nicolas Sarkozy, que je m'adresse –, ne pensez-vous pas qu'il est désormais temps que notre pays fasse le pas suivant et ratifie la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, outil indispensable à la sauvegarde et à la promotion des langues régionales en France ? Il s'agit là de notre patrimoine, que nous devons protéger et valoriser !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Georges Tron, secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur, vous interrogez Frédéric Mitterrand sur la question de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Le ministre de la culture et de la communication, dont je vous prie d'excuser l'absence ce matin, est profondément attaché au patrimoine et à la pluralité linguistique de notre pays. De là à rouvrir le débat sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, à partir du jugement rendu par le tribunal administratif de Montpellier ordonnant à une commune de retirer des panneaux indicateurs bilingues, il y a là un pas que le Gouvernement ne saurait franchir : un obstacle rédhibitoire s'y oppose.

Je vous rappelle en effet que le Conseil constitutionnel a rendu, le 15 juin 1999, un avis contraire à cette ratification, pour des raisons de principe. Dans son préambule, la charte comporte des dispositions visant à reconnaître à chaque personne « un droit imprescriptible » à « pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique », qui plus est sur des territoires déterminés, ce qui, selon le Conseil constitutionnel, porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français.

L'amendement constitutionnel adopté en 2008, qui a permis l'insertion dans notre loi fondamentale de l'article 75-1 précisant que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », exprime la simple reconnaissance d'un état de fait et n'a pas à lui seul d'effet normatif. Il ne saurait donc apporter de rectificatif à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, invoquée et confirmée au demeurant par plusieurs décisions de justice, notamment le jugement du tribunal administratif de Montpellier que vous avez rappelé.

Par conséquent, c'est sans doute vers d'autres voies qu'il convient de s'orienter pour envisager la visibilité et le développement des langues dites « régionales » dans notre pays. Que la charte européenne n'ait pas été ratifiée n'empêche pas leur présence dans l'espace public.

Rappelons que l'appareil législatif et règlementaire actuel offre des possibilités qui ne sont pas toujours exploitées : je pense, en particulier, aux actes officiels des collectivités territoriales, qui peuvent être publiés en langue régionale dès lors qu'ils le sont aussi en français, seule langue qui a valeur juridique. Nombreuses sont, par ailleurs, les occasions de manifester un bilinguisme français-langue régionale, quelle qu'elle soit.

Pour ce qui touche directement à la loi de 1994 relative à l'emploi de la langue française, le Gouvernement est prêt à déplorer avec vous qu'elle soit souvent comprise comme un instrument de lutte contre la diversité du patrimoine linguistique français. Telle n'était évidemment pas l'intention proclamée du législateur, comme en témoignent les débats ayant présidé à l'adoption de ce texte.

On pourrait notamment souhaiter que soit parfois pris en considération l'article 21 aux termes duquel « les dispositions de la présente loi s'appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s'opposent pas à leur usage ».

Cependant, à législation constante, de nombreuses marges de manœuvre existent. C'est dans le cadre d'un principe de responsabilité partagée entre l'État et les communes, départements et régions que le Gouvernement entend placer son action.

Pour sa part, le ministère de la culture et de la communication a illustré concrètement ce principe en engageant un dialogue au sein du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel. Les langues régionales feront l'objet de rencontres programmées dans l'enceinte de ce Conseil avec, pour perspective, leur meilleure intégration dans la vie sociale, dans le cadre constitutionnel existant.

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro.

M. Robert Navarro. Monsieur le secrétaire d'État, je prends acte de votre réponse. Je vois que toutes les voies ne sont pas bouchées. Nous allons continuer à nous battre pour la reconnaissance encore plus importante de nos langues régionales. (M. Didier Guillaume applaudit.)

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