Question de M. VESTRI René (Alpes-Maritimes - UMP) publiée le 07/10/2010

M. René Vestri rappelle à Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, que l'actualité économique et judiciaire récente a permis d'apprendre qu'une sentence arbitrale rendue en faveur de M. Bernard Tapie lui avait octroyé 45 millions d'euros au titre du préjudice moral, à l'issue de ses démêlés avec l'ancien CDR (Consortium de réalisation), structure publique chargée de liquider le passif du Crédit Lyonnais. Il rappelle que dans l'affaire d'Outreau, les personnes détenues à tort ont été indemnisées de sommes allant de 650 000 à 1 million d'euros pour cette erreur judiciaire. Cette indemnisation portait sur trois champs, à savoir, la faute lourde de l'État, le préjudice matériel et la détention préventive. Il ne pense pas que l'on puisse comparer les affres et les souffrances morales voire physiques subies par M. Tapie et les accusés à tort de l'affaire d'Outreau car il n'y a pas lieu de le faire : dans les deux cas, il y a eu tourment et une forme de justice a été rendue. Des 650 000 à un million d'euros pour les accusés à tort d'Outreau pour solde de tout compte aux 45 millions d'euros versés à M. Tapie pour le seul préjudice moral de ce qui reste tout de même une affaire politico-judiciaire, ne devrait-on pas s'interroger sur une réévaluation des indemnités dues à certains justiciables dont les vies et les familles ont été "broyées". Aussi devant cette disproportion flagrante, il souhaiterait que lui soit précisé les moyens utilisés par les services de la justice pour évaluer le préjudice moral d'un accusé à tort et s'il existe un barème dont on pourrait vérifier la pertinence puisqu'il engage de manière conséquente les deniers publics.

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Réponse du Secrétariat d'État chargé de la fonction publique publiée le 15/12/2010

Réponse apportée en séance publique le 14/12/2010

M. René Vestri. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'actualité économique et judiciaire récente nous a permis d'apprendre qu'une sentence arbitrale rendue en faveur de M. Bernard Tapie avait octroyé à ce dernier 45 millions d'euros au titre du préjudice moral, à l'issue de ses démêlés avec l'ancien Consortium de réalisation, ou CDR, structure chargée de liquider le passif du Crédit Lyonnais.

Permettez-moi de vous rappeler que, dans l'affaire d'Outreau, les personnes détenues à tort ont été indemnisées pour cette erreur judiciaire de sommes allant de 650 000 euros à 1 million d'euros. En effet, le montant total de l'indemnisation a été tenu secret afin d'éviter que la jurisprudence ne crée une inflation des indemnisations de détention. Cette indemnisation portait sur trois champs, à savoir la faute lourde de l'État, le préjudice matériel et la détention préventive.

Or je ne pense pas que l'on puisse comparer les affres et les souffrances morales voire physiques subies par M. Tapie à celles des victimes du procès d'Outreau, car il n'y a pas lieu de le faire : dans les deux cas, il y a eu tourment et une forme de justice a été rendue.

Si l'on compare le montant des indemnités accordées aux accusés à tort d'Outreau, estimé entre 650 000 euros et 1 million d'euros pour solde de tout compte, aux 45 millions d'euros d'indemnités perçus par M. Tapie pour le seul préjudice moral de ce qui reste tout de même une affaire politico-judiciaire, ne devrait-on pas, monsieur le secrétaire d'État, s'interroger sur une réévaluation des indemnités dues à certains justiciables victimes du système judiciaire, dont les vies et les familles ont été « broyées » ?

En conséquence, monsieur le secrétaire d'État, devant cette disproportion flagrante, pourriez-vous préciser les moyens utilisés par les services de la justice pour évaluer le préjudice moral d'une personne accusée à tort et indiquer s'il existe un barème dont on pourrait vérifier la pertinence puisqu'il engage de manière importante les deniers publics ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Georges Tron, secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de M. le garde des sceaux, Michel Mercier, retenu à son ministère pour une réunion importante.

Vous avez appelé l'attention du Gouvernement sur les modalités d'évaluation du préjudice moral des personnes victimes d'un fonctionnement défectueux du service de la justice. Il est sain de s'interroger, comme vous le faites sur cette problématique. Il faut en effet que l'État accepte de considérer qu'il peut y avoir une faille dans la façon dont la justice est rendue et que, de ce fait, il y a une obligation – je partage votre point de vue sur ce sujet – d'indemniser et de dédommager les victimes. Cela étant, un préjudice moral est réellement difficile à évaluer.

Dans l'affaire dite « d'Outreau », vous comprendrez, monsieur le sénateur, qu'il ne me soit pas possible de commenter le montant des indemnisations accordées. En effet, les protocoles d'accord comportent une clause de confidentialité, laquelle interdit toute divulgation de leur contenu à quelque personne que ce soit. Cette clause démontre qu'il y a une volonté réelle de protéger les victimes.

Toutefois, monsieur le sénateur, soyez assuré que, lorsque le ministère de la justice et des libertés propose une indemnisation à raison du fonctionnement défectueux du service de la justice, il établit sa proposition au cas par cas, en tenant compte en particulier des circonstances de l'affaire et de la jurisprudence en la matière, c'est-à-dire des problématiques de même nature qui se sont posées dans le passé. Cette libre appréciation démontre la volonté de prendre en compte la diversité des situations, et c'est bien ainsi.

Le ministère de la justice et des libertés veille à ce que les indemnisations proposées réparent si possible l'intégralité des préjudices subis et rétablissent les justiciables dans leurs droits.

Il faut toutefois garder à l'esprit que les compensations financières, quel que soit leur montant, ne permettront malheureusement pas, dans la plupart des cas, d'effacer les drames humains subis par certaines victimes. Tous ceux qui ont été confrontés à la dureté de telles situations en sont par expérience malheureusement profondément convaincus.

Mme la présidente. La parole est à M. René Vestri.

M. René Vestri. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse. Vous tenez en effet compte de ce qui s'est passé.

Nous avons tous été choqués par les différences d'application de la loi et avons éprouvé un profond sentiment d'injustice à cet égard. Espérons que, à l'avenir, des réformes permettront d'atténuer les écarts constatés : entre 1 million d'euros et 45 millions d'euros, il y a une distance difficile à apprécier.

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