Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SOC) publiée le 23/09/2010

M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur le projet de déclaration d'utilité publique d'une zone d'aménagement concerté dite « Carmes Madeleine » à Orléans dans le Loiret. Ce projet se traduirait par la démolition et par la destruction d'immeubles du XVIIème siècle et de caves du XIIIème siècle qui ont fait l'objet d'une demande de protection au titre des monuments historiques pour laquelle, alors que la délégation permanente de la commission régionale du patrimoine et des sites a rendu un avis favorable, le dossier a disparu de l'ordre du jour de la commission pour des raisons inexpliquées. Il lui rappelle que ce secteur est classé au Patrimoine de l'humanité défini par l'UNESCO. Il lui rappelle que les immeubles concernés sont situés au sein d'une zone de protection du patrimoine (ZPPAUP) dont le règlement interdit toute destruction d'îlots entiers. Cette destruction est en outre inutile, puisqu'il s'agit, dans le cas d'espèce, de permettre le passage dans la rue des Carmes à Orléans de voitures en plus de la future ligne de tramway. Or, cette rue peut tout à fait devenir piétonnière, un plan de circulation étant alors défini en conséquence pour les voitures, comme cela a été fait dans de nombreuses villes. Cette solution présenterait le grand avantage de permettre au tramway de circuler en site propre. Elle présenterait, en outre, l'avantage non négligeable d'être strictement conforme aux lois en vigueur concernant à la fois le transport public, l'environnement et la préservation du patrimoine.

Il lui rappelle que ce projet de zone d'aménagement concerté donne lieu à une enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique du projet par le préfet. Il s'étonne qu'il ait pu, dans ces conditions, donner au préfet du Loiret, préfet de la région Centre, des instructions ou lui faire part de préconisations quant à la déclaration d'utilité publique sur laquelle il revient à ce dernier de statuer, par un courrier en date du 24 août dont l'existence et le contenu ont été rendus publics, alors même que l'enquête publique n'avait pas encore commencé. Il lui rappelle que cet état de choses est de nature à porter atteinte aux compétences attribuées en propre au préfet et aux conditions d'objectivité et de neutralité dans lesquelles l'enquête publique doit se dérouler. On imagine mal, en effet, que sur des sujets aussi sensibles, et sur tout sujet d'ailleurs, le ministre puisse donner des instructions au préfet sur une position en préalable à l'enquête publique, c'est-à-dire en considérant comme nulles et non avenues les observations faites au cours de celle-ci ainsi que les conclusions des commissaires enquêteurs alors qu'il revient précisément au représentant de l'État de statuer au vu de ces observations et de ces conclusions.

Il lui demande en conséquence quelles dispositions il compte prendre, tant sur le fond que sur la forme, eu égard à l'ensemble des faits précités qui sont à l'évidence préjudiciables au regard de l'application des lois précitées et contraires à des principes de notre droit.

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Réponse du Ministère de l'espace rural et de l'aménagement du territoire publiée le 03/11/2010

Réponse apportée en séance publique le 02/11/2010

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, ma question porte sur le projet de déclaration d'utilité publique d'une zone d'aménagement concerté dite « Carmes Madeleine », à Orléans.

La mise en œuvre de ce projet se traduirait par la démolition et la destruction d'immeubles du xviie siècle et de caves du xiiie siècle qui ont fait l'objet d'une demande de protection au titre des monuments historiques. Alors que la délégation permanente de la commission régionale du patrimoine et des sites a rendu un avis favorable, le dossier a disparu de l'ordre du jour de la commission pour des raisons inexpliquées.

Je rappelle que ce secteur est classé au patrimoine mondial défini par l'UNESCO. Par ailleurs, les immeubles concernés sont situés au sein d'une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, une ZPPAUP, dont le règlement interdit toute destruction d'îlots entiers. Cette destruction est en outre inutile, puisqu'il s'agit, dans le cas d'espèce, de permettre dans la rue des Carmes le passage de voitures en plus de la seconde ligne de tramway. Or cette rue peut tout à fait devenir piétonnière, un plan de circulation étant alors défini en conséquence pour les voitures, comme cela a été fait dans de nombreuses villes.

Cette solution présenterait le grand avantage de permettre au tramway de circuler en site propre, ce qui constitue l'une des conditions de son efficacité. Autre atout non négligeable, elle serait strictement conforme aux lois en vigueur concernant à la fois le transport public, l'environnement et la préservation du patrimoine.

Ce projet de zone d'aménagement concerté donne lieu à une enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique du programme par le préfet. Je m'étonne que, dans ces conditions, M. le ministre de la culture et de la communication ait pu donner au préfet du Loiret, préfet de la région Centre, des instructions ou lui faire part de préconisations quant à la déclaration d'utilité publique sur laquelle il revient à ce dernier de statuer, par un courrier en date du 24 août dernier dont l'existence et le contenu ont été rendus publics par ses services, alors même que l'enquête publique n'avait pas encore commencé.

Cette situation est de nature à porter atteinte aux compétences attribuées en propre au préfet et aux conditions d'objectivité et de neutralité dans lesquelles l'enquête publique doit se dérouler. On imagine mal en effet que, sur des sujets aussi sensibles, et sur tout sujet d'ailleurs, le ministre puisse donner au préfet des instructions sur une position en préalable à l'enquête publique, c'est-à-dire en considérant comme nulles et non avenues les observations faites au cours de celle-ci ainsi que les conclusions des commissaires enquêteurs, alors qu'il revient précisément au représentant de l'État de statuer au vu de ces observations et de ces conclusions.

Par conséquent, monsieur le ministre, je vous demande quelles dispositions le Gouvernement compte prendre, tant sur le fond que sur la forme, eu égard à l'ensemble des faits que je viens de rappeler et qui sont à l'évidence préjudiciables au regard de l'application des lois en vigueur et contraires à des principes de notre droit.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, qui ne peut être présent ce matin.

La conciliation d'une volonté affirmée de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine et d'une politique ambitieuse d'aménagement du cadre de vie de nos concitoyens n'est pas sans soulever parfois, sur le terrain, des difficultés d'ajustement. La Haute Assemblée le sait bien, elle qui a joué un rôle décisif dans le débat qui s'est ouvert au moment de la discussion de la loi portant engagement national pour l'environnement, dite « Grenelle II », lorsque le rôle de l'architecte des Bâtiments de France a été remis en cause.

En soutenant, au sein de la commission présidée par M. Tuot, l'émergence du compromis qui a permis le maintien d'un rôle actif de l'architecte des Bâtiments de France dans l'examen des projets de construction et d'aménagement, le Sénat a jeté les bases d'une approche renouvelée des situations. Il a ainsi fait en sorte que la politique du patrimoine portée par le ministère de la culture et de la communication sorte renforcée d'un dialogue avec d'autres politiques, par exemple celle du développement durable, pour mieux faire apparaître et servir l'intérêt général.

Dans ce dialogue entre des objectifs parfois contradictoires, le ministre de la culture et de la communication veille au maintien d'un équilibre, pour que l'arbitrage ne se fasse pas toujours au détriment de la sauvegarde du patrimoine. Ainsi, sur la question des démolitions, qui est toujours délicate en milieu urbain et à laquelle je vous sais particulièrement attentif, monsieur le sénateur, il invite toujours les maîtres d'ouvrage à essayer d'éviter ou de limiter au maximum ces décisions, car ce n'est pas nécessairement en infligeant au bâti ancien des blessures que l'on réparera le mieux celles de la société. Le cadre de vie de demain peut prendre un meilleur essor en s'appuyant sur l'héritage du passé, plutôt qu'en créant un vide qui détruit les repères et bafoue les mémoires.

Monsieur le sénateur, c'est à l'aune de ces principes qu'il faut juger l'intervention du ministre de la culture et de la communication dans l'affaire sur laquelle vous intervenez. Que s'est-il passé, en effet ? Frédéric Mitterrand a été consulté par le préfet de la région Centre, préfet du Loiret, sur l'engagement d'une enquête préalable à la déclaration d'utilité publique d'une ZAC située au cœur de la ville historique d'Orléans : ses services avaient indiqué que la réalisation de cette ZAC comportait un projet de démolition d'un certain nombre de maisons anciennes situées le long de la rue des Carmes, ce qui était susceptible de faire échec à la légalité du projet.

Que faire dans un tel contexte ? Fallait-il considérer que l'obstacle était de nature à bloquer l'engagement de l'enquête ? M. le ministre ne l'a pas pensé, dès lors que cette enquête était seule susceptible de faire apparaître complètement l'intérêt général du projet, de permettre sa maturation et, en fin de course, de prendre un parti définitif, le cas échéant en le modifiant. Dans un dialogue constructif avec M. Serge Grouard, député-maire d'Orléans, un certain nombre de garanties ont été obtenues sur des opérations patrimoniales que la réalisation de la ZAC permettrait d'accomplir. M. le député-maire a bien voulu s'engager à la réalisation anticipée d'un certain nombre de ces opérations.

Dans ces conditions, le ministère de la culture et de la communication devait laisser la procédure d'enquête se dérouler. C'est pourquoi le ministre a donné instruction à M. le préfet de région de l'engager. Il va de soi que cette décision ne préjugeait en rien de l'utilité publique du projet de ZAC, laquelle suppose au demeurant la prise en compte de nombreux critères qui dépassent la compétence du ministère de la culture et de la communication, que le ministre a seul engagé par sa décision. Il souhaite que, si celle-ci est établie au terme de l'enquête, il apparaisse alors que, loin de se traduire par un recul, voire un abandon patrimonial, la ZAC de Carmes Madeleine offrira au riche patrimoine de la ville une occasion nouvelle de mise en valeur.

Enfin, monsieur le sénateur, Frédéric Mitterrand souhaite s'associer à l'hommage implicite que vous semblez avoir rendu à travers vos propos aux agents du ministère de la culture et de la communication qui, dans les directions régionales des affaires culturelles et les services départementaux de l'architecture et du patrimoine, accomplissent avec désintéressement et clairvoyance un travail difficile, situé à la charnière d'intérêts parfois divergents, comme cette affaire nous le montre.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.

La ZAC de Carmes Madeleine constitue la première application des conclusions de la commission Tuot. Il est très important de voir comment celles-ci seront mises en œuvre, car des pressions peuvent être exercées auprès de l'État pour que des intérêts autres que la protection du patrimoine soient pris en considération. Or, à cet égard, le ministre de la culture et de la communication est, depuis André Malraux, le garant de la politique de défense du patrimoine. Il lui revient donc de s'assurer que l'indépendance et les prérogatives des architectes des Bâtiments de France seront bien préservées. Vous l'avez souligné, monsieur le ministre, il s'agit d'un sujet auquel le Sénat est très attaché.

J'observe cependant que le ministre de la culture et de la communication ne m'a pas répondu sur plusieurs points.

Alors que la délégation permanente de la commission régionale du patrimoine et des sites a voulu engager une procédure de protection, comment se fait-il que celle-ci n'ait jamais été portée à l'attention de la commission elle-même ?

Aucune information ne m'a non plus été fournie sur le patrimoine mondial. Or huit associations nationales de défense du patrimoine ont indiqué leur grande attention à cette question.

J'aurais également souhaité obtenir des éclaircissements sur la déclaration d'utilité publique. Il s'agit pourtant d'une question fondamentale : est-il d'utilité publique de démolir dix-huit immeubles, dont certains sont historiques, pour permettre aux voitures de circuler, en plus du tramway, d'autant qu'il est très facile de procéder autrement, notamment en faisant passer le tramway dans une rue piétonne et en déviant les voitures sur d'autres voies ? Les exemples sont nombreux.

Enfin, les quelques garanties qui ont été présentées à la municipalité d'Orléans portent pour l'essentiel sur des bâtiments dont l'intérêt patrimonial n'est nullement contesté, mais qui se trouvent hors du périmètre concerné.

Je conclurai en évoquant un point qui me réjouit, car, vous le savez, il faut toujours être positif, monsieur le ministre. (Sourires. – M. le ministre acquiesce.) Le ministre de la culture et de la communication a apporté des précisions utiles, car il y avait pour le moins une ambiguïté dans les lettres qu'il a adressées. Il a affirmé avoir ordonné au préfet de mettre en œuvre la procédure de déclaration d'utilité publique. Entre nous, vous savez qu'il n'est nullement besoin d'une quelconque intervention pour mettre en œuvre une telle procédure : dès lors qu'elle est demandée, elle est de droit. Vous avez confirmé, monsieur le ministre, que, sur ce dossier, il n'avait donné aucune instruction au préfet. Celui-ci prendra donc sa décision en toute indépendance, au regard des résultats de l'enquête publique et du rapport du commissaire enquêteur.

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