Question de M. de VILLEPIN Xavier (Français établis hors de France - UC) publiée le 02/09/1999

M. Xavier de Villepin attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la deuxième session de la commission préparatoire pour la Cour pénale internationale, qui doit se tenir entre le 26 juillet et le 13 août 1999. Les Etats-Unis souhaitent continuer à envoyer leurs troupes dans des opérations menées dans le cadre des Nations unies, mais ils insistent pour que la protection de leurs personnels engagés dans des activités officielles sur ordre de leur gouvernement soit assurée. L'administration américaine demande donc une formule juridiquement contraignante, qui préciserait que la Cour pénale internationale ne pourrait intervenir qu'en cas de défaillance des juridictions nationales. La France serait-elle favorable à un tel amendement, qui permettrait de protéger d'une façon générale les militaires engagés dans des actions des Nations unies ? Il semble bien que ces dispositions, si elles étaient admises, permettraient à la délégation américaine de signer l'accord sur la Cour et engagerait l'administration pour obtenir une ratification devant le Congrès.

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Réponse du ministère : Affaires étrangères publiée le 11/11/1999

Réponse. - Le statut de la Cour pénale internationale a été adopté à Rome le 17 juillet 1998 à l'issue d'un vote demandé par la délégation américaine : 120 pays ont alors voté pour ce texte, 7 ont voté contre (Etats-Unis, Chine, Inde, Mexique, Bahreïn, Qatar, Israël), 21 se sont abstenus (groupe arabe). La France a, pendant les négociations, exprimé la volonté de préserver ses personnels civils et militaires déployés sur des théâtres extérieurs de plaintes abusives, infondées, formulées pour des raisons politiques : gêner l'action extérieure de nos pays ou contester une action décidée par le Conseil de sécurité. Toutefois, lors de la conférence de Rome, les Etats-Unis ont affiché une position allant au-delà de cette préoccupation légitime, en refusant qu'un agent américain en mission officielle puisse être traduit devant la Cour pénale internationale. Or toute exonération de ce type serait nécessairement étendue à tous les Etats et priverait la Cour d'une grande partie de sa compétence. La France a pour sa part contribué à la recherche d'une solution permettant la plus large participation des Etats à la Cour. La délégation française a tout d'abord introduit dans le statut des garanties judiciaires pour éviter les mises en cause abusives. C'est en particulier l'objectif de la Chambre préliminaire, institution nouvelle composée de juges qui supervisera l'action du procureur pendant la phase d'instruction et aura la possibilité d'écarter des charges avant le procès, empêchant ainsi que des actes d'accusation " à sens unique " n'arrivent à la phase de jugement. Une autre garantie est fondée sur le système de complémentarité qui répartit les compétences entre la Cour pénale internationale et les tribunaux nationaux. Celui-ci laisse aux Etats la responsabilité première dans la prévention et la répression des crimes. La Cour ne pourra intervenir qu'en cas de défaillance avérée des juridictions nationales : en vertu du statut, la Cour n'est compétente que si les juridictions nationales refusent ou sont incapables de juger des criminels. Ce mécanisme constitue également un garde-fou important. Enfin, une troisième garantie est contenue dans les principes du droit pénal définis dans le statut. Sous l'impulsion de la France, le statut écarte notamment toute notion d'omission ou de non-assistance à personne en danger ; la Cour n'a pas à être et ne sera pas le juge des éventuelles défaillances de la communauté internationale. Des pays comme la France et les Etats-Unis, fournisseurs de troupes aux opérations humanitaires ou de maintien de la paix, sont plus exposés que d'autres à des man uvres mettant en cause l'intégrité personnelle de leurs agents civils et militaires mais visant en fait à affaiblir leur politique extérieure. Ces risques concernent en particulier les crimes de guerre qui, contrairement aux crimes contre l'humanité et au crime de génocide peuvent recouvrir des actes isolés. Les crimes contre l'humanité et le génocide se définissent au contraire par leur caractère massif et systématique. La France a donc proposé une solution, soutenue par l'Union européenne : elle consiste à maintenir les crimes de guerre dans la compétence obligatoire de la Cour tout en prévoyant un mécanisme facultatif autorisant les Etats qui le souhaitent à décliner la compétence de la Cour pendant sept ans pour les crimes de guerre. Cette période d'observation permettra de constater si les autres garanties inscrites dans le statut fonctionnent et, si nécessaire, de demander des aménagements. Cette solution, adoptée à Rome, constitue l'article 124 du statut. La France et ses partenaires de l'Union européenne souhaitent vivement que les Etats-Unis puissent s'associer au statut. Ils examineront avec attention le texte qui pourrait être proposé par les Etats-Unis, dans la mesure où ce texte ne porterait pas atteinte à l'intégrité même du statut. Par ailleurs, la France et ses partenaires ont déjà accepté, pendant les négociations de Rome, de nombreuses dispositions destinées principalement à recueillir l'adhésion américaine ; ainsi, l'article 98 du statut autorise la conclusion d'accords sur le stationnement de forces à l'étranger qui interdiraient à l'Etat d'accueil de transférer un militaire de l'Etat d'origine vers la Cour sans l'accord de l'Etat d'origine. En outre, en vertu de l'article 10 du statut, adopté à la demande des Etats-Unis, les Etats se sont engagés à élaborer un texte additionnel au statut, intitulé " Eléments des crimes ", qui précisera les définitions des crimes relevant de la compétence de la Cour, et guidera les juges dans leur application du statut. La France s'est particulièrement engagée dans cet exercice, pourtant éloigné de sa tradition juridique, dans un souci de dialogue avec les Etats-Unis. La France a pour sa part accepté le statut dans son équilibre général, y compris l'article 124, et le Gouvernement français entend soumettre aux parlementaires un projet de loi de ratification du statut dans les mois qui viennent.

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