Question de M. DARCOS Xavier (Dordogne - RPR-R) publiée le 02/10/1999

M. Xavier Darcos attire l'attention de Mme le ministre de la culture et de la communication sur la situation de la salle Pleyel, dont l'avenir est compromis à la suite de sa vente par le Crédit lyonnais en 1998. Construite en 1927 par Gustave Lyon, associé de Camille Pleyel, fils du musicien français, la salle Pleyel contribue au rayonnement de la France dans le monde entier. Centre d'accueil dans le temps d'interprètes prestigieux comme Munch, Haskil, Rampal, André, Argerich ou Luisada..., la salle Pleyel contribue également à la diffusion du répertoire instrumental ou symphonique ; des oeuvres de Berg et de Boulez y ont été données en création mondiale. En outre, la salle Pleyel permet à de jeunes musiciens issus des conservatoires nationaux de musique de Paris ou de Lyon et recrutés sur concours de pratiquer leur instrument en formation symphonique dans de grandes associations de caractère bénévole : associations des concerts Lamoureux, Pasdeloup ou Colonne. Or, depuis un an, ces associations sont confrontées à des charges considérables d'occupation locative que la faiblesse de leurs subventions ne leur permet plus de supporter. Il lui demande, en conséquence, si elle envisage de procéder au classement de la salle Pleyel afin de la préserver d'éventuelles opérations immobilières qui, dans l'avenir, pourraient la transformer en galerie marchande ; il lui demande également si elle envisage de revoir à la hausse les subventions de ces associations afin de leur permettre de poursuivre leur mission pédagogique et de formation professionnelle auprès de jeunes musiciens français.

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Réponse du ministère : Culture publiée le 27/10/1999

Réponse apportée en séance publique le 26/10/1999

M. Xavier Darcos. Madame le ministre, je souhaite attirer votre attention, une fois encore, sur la situation de la salle
Pleyel, dont l'avenir est compromis à la suite de sa vente, en 1998, par le Crédit lyonnais à un entrepreneur privé.
Construite en 1927 par Gustave Lyon, associé de Camille Pleyel, la salle Pleyel contribue au rayonnement de la France
dans le monde entier. Elle accueille depuis longtemps des interprètes prestigieux, comme Charles Münch, Clara
Haskil, Jean-Pierre Rampal, Martha Argerich ou Jean-Marc Luisada. La salle Pleyel est, à ce jour, l'un des rares
auditoriums parisiens susceptibles de recevoir des orchestres internationaux. Cette vocation fait, du reste, partie du
cahier des charges de la salle.
La salle Pleyel contribue également à la diffusion du répertoire instrumental ou symphonique : des oeuvres de Berg et
de Boulez y ont ainsi été données en création mondiale.
Enfin, la salle Pleyel permet à de jeunes musiciens, issus des conservatoires nationaux de musique de Paris ou de
Lyon et recrutés sur concours, de pratiquer leur instrument en formation symphonique dans de grandes associations, à
l'instar des concerts Lamoureux, Pasdeloup ou Colonne.
Or, depuis un an, ces associations sont soumises à des charges considérables que la faiblesse de leurs subventions
ne leur permet plus de supporter.
Dans une question écrite en date du 8 juillet dernier, je vous avais demandé si vous envisagiez de procéder au
classement de la salle Pleyel, afin de la préserver d'éventuelles opérations immobilières qui, dans l'avenir, pourraient
aboutir à sa transformation en galerie marchande ; je vous avais également interrogée sur la révision à la hausse du
montant des subventions dont bénéficient ces associations, qui leur permettrait de poursuivre l'accomplissement de leur
mission pédagogique et de formation professionnelle auprès des jeunes musiciens français.
A mon collègue parlementaire Bruno Bourg-Broc, qui partageait les mêmes préoccupations, vous avez répondu, le 13
septembre dernier, que vous étudiiez la possibilité d'une protection de la salle Pleyel au titre de la loi du 31 décembre
1913 sur les monuments historiques. Je souhaite donc que vous m'apportiez des précisions sur l'état d'avancement de
cette réflexion. Il est urgent de prendre une décision, car une procédure de classement est souvent longue. A défaut du
consentement de son propriétaire, le classement par l'Etat d'un bien privé ne peut être prononcé que par un décret en
Conseil d'Etat.
Je voudrais compléter ma question en rappelant, comme je l'ai fait à plusieurs reprises auprès de votre cabinet, les
termes de la lettre que vous a adressée, le 12 juillet dernier, le président de l'association des concerts Lamoureux,
lequel sollicitait, avec M. Yutaka Sado, chef permanent de l'orchestre Lamoureux, une audience de votre part au mois
de septembre dernier.
Je cite les termes de cette lettre : « La situation de notre orchestre est devenue gravissime. L'addition des problèmes
liés à un très faible niveau de subventions par le ministère de la culture et la ville de Paris - moins de 1 million de francs
- et la soudaine augmentation des tarifs de la salle Pleyel nous conduisent aujourd'hui à annuler huit des treize
concerts prévus pour la saison 1999-2000. C'est un événement sans précédent dans l'histoire de l'orchestre Lamoureux
qui, depuis sa création en 1881, n'a jamais cessé son activité, sauf quelques mois au cours de la Seconde Guerre
mondiale. »
Madame la ministre, j'estime que l'absence de réponse à cette lettre, dont je me suis assuré qu'elle avait bien été
enregistrée auprès de votre cabinet, doit être considérée comme un triple affront.
C'est tout d'abord un affront à l'égard de l'orchestre Lamoureux, dont le président est présent dans ces tribunes. Cette
formation - j'insiste sur ce point - est constituée de plus de cent musiciens âgés de moins de trente ans, tous
bénévoles, issus des meilleurs conservatoires de France et recrutés par le biais d'un concours de haut niveau.
Or, ces jeunes, les meilleurs dans leur classe d'âge, sont aujourd'hui démotivés et désorientés. C'est la raison pour
laquelle je souhaite rendre publiquement hommage à leur persévérance et à leur attachement indéfectible pour
l'orchestre Lamoureux, l'une des rares formations symphoniques françaises à consacrer autant d'efforts à la formation
professionnelle des jeunes. Je précise, du reste, que les plus doués d'entre eux rejoignent chaque année les meilleurs
orchestres nationaux ou internationaux.
C'est aussi un affront fait à M. Yutaka Sado, ce jeune chef japonais de trente-huit ans qui, malgré un cachet dérisoire,
s'est passionné pour l'orchestre Lamoureux, accomplissant un travail de bénédictin avec quatre répétitions pour chaque
concert, auquel assistent en moyenne 1 700 personnes, ce qui représente un taux d'occupation très élevé pour la salle
Pleyel. Ce « chef de génie », comme l'a récemment qualifié la presse, continuera-t-il à travailler dans de telles
conditions, alors que l'orchestre Giuseppe Verdi de Milan vient de l'engager ?
Cette absence de réponse constitue enfin un affront eu égard au rayonnement de la culture française. Je trouve
consternant que l'orchestre Lamoureux ne puisse plus continuer à se produire, alors que tant de deniers publics sont
par ailleurs gaspillés par l'Etat.
A titre d'exemple, et je n'en ai choisi qu'un seul, j'ai relevé, dans le rapport de la Cour des comptes de 1998, que le
ministère de la culture avait contribué au financement d'un ballet de onze danseurs encadrés par un inspecteur général
et une maîtresse de ballet, « alors que les danseurs ne dansaient pas ». Le coût annuel salarial de cette formation
s'élevait à 3 millions de francs !
Pour sa part, l'orchestre Lamoureux bénéficiait, en 1983, d'une subvention de 515 000 francs du ministère de la culture
et d'une dotation de 494 000 francs versé par la Ville de Paris, soit plus d'un million de francs. En 1999, la subvention
globale de cet orchestre atteignait tout juste 975 000 francs, alors que les salles de répétitions sont désormais
payantes à hauteur de 80 000 francs par concert depuis la privatisation de la salle Pleyel et que les remises
importantes accordées par le Crédit lyonnais à l'orchestre Lamoureux en raison de la mission de service public qu'il
accomplit ont été supprimées.
Pour que l'orchestre Lamoureux continue à exister, il faudrait que la participation de votre département ministériel
double dans les prochains mois, madame la ministre, ce qui permettrait ainsi de compenser les lacunes de la
privatisation de la salle Pleyel, qui a été si mal gérée par les pouvoirs publics.
En conséquence, je souhaiterais connaître vos intentions à l'égard non seulement de l'orchestre Lamoureux, mais aussi
des orchestres symphoniques qu'accueille la salle Pleyel, lesquels sont aujourd'hui confrontés à des difficultés durables
et imméritées.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, à la suite de
l'acquisition de la salle Pleyel par un investisseur privé, j'ai lancé le projet de la création d'un auditorium symphonique
qui soit à la hauteur des ambitions artistiques et culturelles de notre pays, qui permette de fournir à plusieurs
formations musicales un lieu privilégié de répétition, et de diffusion pérenne et qui fonctionne dans des conditions
techniques et financières satisfaisantes.
Vous êtes revenu, dans des termes qui m'ont semblé assez provocateurs, sur les conditions dans lesquelles s'est
déroulée la privatisation de la salle Pleyel. Je rappelle que la Ville de Paris conduisait les négociations relatives à la
cession de la salle Pleyel, l'Etat s'engageant à financer les travaux. Nous n'avons pu acquérir la salle Pleyel, car un
investisseur privé a fortement surenchéri et a été considéré comme un meilleur acquéreur par l'organisme de défaisance
chargé de la vente de certains actifs du Crédit lyonnais pour remédier aux difficultés financières rencontrées par cette
banque.
Cette opération a donc été menée dans les conditions que je viens de décrire.
Pour autant, la salle Pleyel reste un lieu majeur de diffusion de la musique, à propos duquel j'ai défini un certain nombre
d'orientations sur lesquelles je reviendrai. Je voudrais simplement indiquer, en cet instant, que, eu égard aux problèmes
posés par la situation actuelle, j'ai souligné, lors d'une déclaration faite à la presse le 23 février 1999, mon attachement
à la réalisation d'un nouvel auditorium symphonique.
J'ai précisé, le même jour, que je saisissais du dossier le maire de Paris et le président de la région d'Ile-de-France. Je
caressais l'idée qu'il soit possible de réaliser un nouvel équipement dans le cadre du prochain contrat de Plan. En effet,
le ministère de la culture et de la communication, déjà très présent auprès de grandes institutions musicales
parisiennes, ne peut supporter seul cet équipement, dont le coût de construction est aujourd'hui estimé à 410 millions
de francs.
D'ores et déjà, le maire de Paris m'a fait officiellement connaître son opposition à une participation financière à cette
réalisation, proposant une solution alternative consistant en la reprise du théâtre de la Gaîté lyrique. Or ce théâtre ne
permet pas d'accueillir dans ses murs un auditorium avec tous les équipements annexes destinées à l'ensemble des
usages qui sont ceux aujourd'hui de la salle Pleyel, voire au-delà.
Quant à la région d'Ile-de-France, approchée, elle a fait savoir qu'elle conditionnait toute aide de sa part à une
participation de la Ville de Paris.
Devant cette nouvelle donne, j'ai donné instruction à mes services de se mettre à la recherche d'autres partenaires,
publics ou privés, dont la mobilisation pourrait permettre, dans des conditions économiques adéquates, la mise en
oeuvre de ce projet. J'aurai l'occasion, dans peu de temps d'ailleurs, d'y revenir.
Je pense cependant que des décisions pourront être prises avant la fin du premier semestre 2000, s'agissant du mode
de financement de cet équipement, des modalités de gestion et du calendrier de réalisation.
Dans l'attente de ces décisions, je veillerai à favoriser l'accès à la salle Pleyel des formations symphoniques. Vous
avez cité l'association des concerts Lamoureux, mais plusieurs associations symphoniques sont également
concernées.
La situation nouvelle d'une gestion purement privée de cette salle engendre des surcoûts de location pour les
associations symphoniques parisiennes, lesquelles sont et demeurent un outil essentiel d'insertion pour les jeunes
musiciens. Elle entraîne dès aujourd'hui des dysfonctionnements dans les partenariats avec les orchestres. Elle induit
également des incertitudes quant aux conditions de résidence qui pourraient être proposées à l'orchestre de Paris
au-delà de septembre 2002, date à laquelle la convention qu'il a passée avec la salle Pleyel parvient à son terme - j'en
parlais récemment avec le président de la commission des affaires culturelles du Sénat, M. Adrien Gouteyron.
Or, la salle Pleyel, riche de sa tradition musicale, de la grande qualité architecturale et historique du bâtiment, et du
caractère exceptionnel de sa jauge, doit à l'évidence continuer d'assumer, même dans un cadre de gestion
commerciale plus marqué, une responsabilité particulière à l'égard des ensembles symphoniques parisiens, alors
surtout que la métropole parisienne est aujourd'hui dépourvue d'un grand équipement moderne voué à la musique
symphonique.
C'est pourquoi j'étudie actuellement les moyens les plus adéquats pour préserver cette vocation de la salle Pleyel, y
compris le recours aux instruments de la protection prévus par la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments
historiques. Ce dossier est à l'étude depuis plusieurs semaines ; j'espère qu'il aboutira dans les meilleurs délais.
En toute hypothèse, j'exerce une vigilance particulière en ce qui concerne les contraintes supplémentaires imposées à
l'orchestre de Paris et aux associations symphoniques parisiennes ; nous traitons les dossiers de façon à soutenir les
programmations qu'elles ont pu établir.
En effet, les institutions musicales de grande qualité qui contribuent à la formation, à la connaissance des artistes et à
l'information du public méritent d'être soutenues non seulement par le ministère de la culture, mais aussi, comme c'est
le cas partout en France, par les collectivités territoriales, en l'occurrence celle de Paris.
Je souhaite continuer à traiter ce dossier en bonne relation avec la Ville de Paris, qui est elle aussi concernée, même si
nous n'avons pas aujourd'hui trouvé d'accord sur le financement de la nouvelle salle, le maire étant opposé, notamment,
au choix du site retenu à la suite de l'étude de la mission que j'avais mise en place, celui de La Villette, pourtant situé
dans la Cité de la musique, et qui avait été retenu dès l'origine de ce projet.
Je souhaite donc que nous puissions aboutir sur ce dossier, car les ensembles symphoniques éprouvent aujourd'hui
malheureusement, de grandes difficultés.
M. Xavier Darcos. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Darcos.
M. Xavier Darcos. Je remercie Mme le ministre de m'avoir assuré de sa volonté de défendre les orchestres, volonté
dont je ne doutais pas.
Je persiste à penser qu'un accord entre la Ville de Paris et l'Etat, qui eût permis une préemption sur la salle Pleyel, eût
été bien meilleur que l'abandon au privé, ce dernier imposant des coûts de location considérables aux orchestres, et la
construction d'un nouvel auditorium à Paris, qui entraînera des dépenses supplémentaires.

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