Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 23/06/1999

Mme Marie-Claude Beaudeau attire, à nouveau, l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur le travail clandestin des enfants dans notre pays, persistant, se développant dans certains secteurs de vie sociale. Elle lui demande de lui préciser les mesures qu'elle envisage de prendre pour agir efficacement contre la prostitution enfantine, les pratiques abusives du travail des enfants dans le monde de la publicité, de la mode, du cinéma, de la couture..., les pratiques ancestrales dans le monde de l'agriculture. Elle lui demande également de lui préciser les mesures - à court et long termes - qu'elle envisage de prendre et de faire discuter par le Parlement, pour que se substituent aux rapports, études, communications, une volonté, des décisions concrètes de lutte contre l'avilissement du sort, de la vie de milliers d'enfants dans notre pays.

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Réponse du ministère : Droits des femmes publiée le 13/10/1999

Réponse apportée en séance publique le 12/10/1999

Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, dans quelques jours, nous célébrerons le dixième
anniversaire de la signature de la convention internationale des droits de l'enfant. Ma question s'intègre donc
parfaitement à un temps fort de réflexion sur l'application dans notre pays de cette convention.
Je m'en tiendrai au travail des enfants dans notre pays, dont le recul a cessé, et à la prostitution enfantine, qui aurait
tendance à se développer, situations qui appellent évidemment des mesures urgentes du Gouvernement.
Certes, les pays industrialisés, notamment la France, ont fait reculer le travail des enfants tout au cours du xxe siècle.
Mais, dans le monde, selon le Bureau international du travail, un enfant de cinq à quatorze ans sur quatre - soit 250
millions d'enfants - est économiquement actif. La moitié de ces enfants subissent une forte réduction d'éducation, les
autres travaillent à plein temps, 70 % d'entre eux étant employés à des tâches agricoles.
Lors de la rencontre d'Oslo, en 1997, il a été admis que la mondialisation, parce qu'elle aiguise la compétition, aspire
les enfants dans le monde du travail et tend à réduire les budgets de la formation et de l'aide sociale. Cette rencontre a
alors conclu que le recul du travail des enfants était conditionné par la scolarisation de tous les enfants du monde, ce
qui a conduit l'UNICEF à demander 6 milliards de dollars supplémentaires pour envoyer tous les enfants à l'école, soit
moins de 1 % de ce que le monde dépense chaque année en armement.
La France et son gouvernement, je le sais, partagent cette analyse et oeuvrent pour que l'évolution définie par Oslo se
poursuive. Le plan d'Oslo s'est d'ailleurs fixé quinze ans pour atteindre cet objectif.
Mais mon propos va plus loin. Que faisons-nous en France ? Sommes-nous concernés ? C'est l'objet de ma question.
Ce fléau frappe les pays occidentaux. Un Britannique de moins de dix-huit ans sur quinze a un « job », avant ou après
l'école. Dans l'Union européenne et les pays de l'Est, on estime à deux millions le nombre d'enfants qui travaillent
journellement.
En France, selon le rapport publié voilà moins d'un an par la direction des relations du travail du ministère de l'emploi et
de la solidarité, quatre secteurs d'activité font travailler des jeunes de moins de dix-huit ans, soit 50 % des jeunes au
travail dans notre pays. Cela représente, pour les industries agricoles et alimentaires, 19 326 jeunes, pour le commerce
et la réparation automobile, 24 095 jeunes et, pour l'hôtellerie et la restauration, 22 693 jeunes.
Tous secteurs confondus, on dénombre 129 155 jeunes de moins de dix-huit ans au travail. Ces chiffres ne baissent
plus et ils ne tiennent pas compte, madame la secrétaire d'Etat, de la présence de jeunes enfants dans les activités
aussi ignobles que la pédophilie, la prostitution, la diffusion de la drogue et la participation à des ateliers clandestins de
confection, sans compter l'exploitation domestique des jeunes enfants.
Que compte faire le Gouvernement pour faire reculer au niveau zéro le travail des enfants dans notre pays, notamment
dans les secteurs particuliers que je viens d'évoquer ?
Ne faudrait-il pas aboutir à ce que les jeunes enfants ne soient plus utilisés dans les spectacles, la mode et la publicité
? Il suffit de voir leur mine dans les spots publicitaires pour constater l'obligation qui leur est faite de paraître, avec
l'expression, parfois, de souffrance.
Les agences parisiennes ont dans leurs fichiers les noms de 13 500 enfants très jeunes, sans compter des dérives,
notées dans le rapport que j'ai cité tout à l'heure, sur les sociétés de casting fonctionnant sans licence ni agrément. Ne
faut-il pas revoir la loi et interdire purement et simplement l'emploi des enfants de moins de six ans ?
Je rappelle que, à l'heure actuelle et tout à fait légalement, on peut faire travailler un enfant de moins de six mois à
condition que la durée journalière de travail n'excède pas une heure.
En ce qui concerne les maltraitances sexuelles, le recensement des plaintes par la gendarmerie et la police nationale
montre deux phénomènes : une progression du nombre de victimes et un abaissement de leur âge. La prostitution
enfantine existe et progresse. Elle est, dans tous les cas, toujours subie.
Aux termes de l'article 227-22 du code pénal, le fait de favoriser la corruption d'un mineur n'est passible que de cinq à
sept ans d'emprisonnement. Cet article doit être révisé et les peines qu'il prévoit doivent être alourdies, tant le délit est
grave.
Enfin, dans le secteur agricole, depuis 1997, l'entraide familiale pour les petites exploitations n'est plus autorisée que
pour les jeunes âgés de plus de quatorze ans. Dans les faits, on n'a constaté aucune évolution, si ce n'est la disparition
des petites exploitations familiales.
Madame la secrétaire d'Etat, quelles mesures préconise le Gouvernement pour le respect de cette limite de quatorze
ans ? Ne faut-il pas la porter à seize ans ?
Vous le voyez, mes trois questions sont précises. Les études existent, émanant des ministères. Désormais, les
décisions concrètes s'imposent.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Madame la sénatrice, le
rapport sur le travail des enfants en France réalisé en novembre 1998, que vous avez d'ailleurs cité, a bien mis en
évidence le fait que si de telles situations sont rares leurs conséquences peuvent être très préjudiciables pour l'enfant,
sur les plans tant physique que psychique.
Des mesures concrètes ont été prises à la suite du dépôt de ce rapport, de manière à donner un réel contenu à la lutte
contre les situations abusives mettant en péril les enfants. Une vigilance renforcée a été ainsi demandée aux services
déconcentrés du ministère de l'emploi et de la solidarité à propos de l'emploi irrégulier d'enfants dans les métiers du
spectacle et de la publicité. Dans ces secteurs, si le respect des dispositions du cadre réglementaire par les
professionnels est la règle, les dérives sont toujours possibles. Il convient de rappeler que, en matière de publicité et de
spectacles, la législation actuelle est très protectrice à l'égard des enfants. Néanmoins, les sanctions pénales sont, en
l'état, peu dissuasives, ce qui conduira à proposer leur renforcement.
Il a donc été demandé à chaque préfecture, au mois de mai 1999, de dresser un bilan de l'activité de la commission
constituée au sein du conseil départemental de protection de l'enfance, en vue de donner un avis sur les demandes
d'autorisation de travail des enfants dans ces secteurs. Il apparaît que, dans de nombreux départements, la
commission n'a jamais siégé, compte tenu de l'absence de demandes d'autorisation. Dans d'autres départements, une
vigilance particulière a été requise de la part des services, afin que les représentations organisées par des sociétés qui
ne seraient pas en règle pour l'emploi des mineurs ne soient pas autorisées. L'autorisation peut par ailleurs avoir été
accordée, sous réserve d'un compte rendu annuel des contrats d'engagement réalisés.
Enfin, la délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal a publié, en septembre 1998, un guide sur le travail
illégal et les mannequins. Ce guide a été largement diffusé auprès des préfectures, des directions départementales et
régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, et à tous les corps de contrôle habilités :
gendarmerie, URSSAF, services fiscaux, douanes et police.
Dans les nombreux secteurs d'activité où des enfants peuvent être amenés à aider leurs parents dans le cadre de
l'entreprise ou de l'exploitation agricole familiale - ce qu'autorise le cadre légal par dérogation aux dispositions relatives
à l'âge minimal à l'emploi - il est apparu, là aussi, que les services d'inspection ne relèvent que très rarement des
situations abusives où la santé, l'équilibre et l'assiduité scolaire de l'enfant peuvent être en jeu. Toutefois ces situations
existent, même si le secteur de l'agriculture a, par décret du 14 avril 1997, proscrit l'emploi d'enfants de moins de
quatorze ans, y compris dans l'exploitation agricole familiale. Les abus qui ont pu être ainsi constatés par les services
d'inspection, même s'ils demeurent marginaux, ont amené à réfléchir sur une évolution du cadre légal.
Il a été recommandé par ailleurs aux services déconcentrés du ministère de l'emploi et de la solidarité que l'attache des
procureurs de la République soit prise de façon systématique afin d'appeler leur attention sur l'importance des
opérations de contrôle ainsi menées. Cette prise de contact devait permettre également de les sensibiliser aux
conséquences des suites judiciaires qui peuvent être données aux procès-verbaux dressés à l'encontre d'employeurs
ayant fait travailler des mineurs dans des conditions irrégulières.
Rappelons enfin qu'il est par définition difficile de cerner l'utilisation clandestine de main-d'oeuvre enfantine. Le nombre
de situations de ce type relevées par les services, qu'il s'agisse de l'inspection du travail, des services de la protection
judiciaire de la jeunesse ou des services de police, est par conséquent faible.
L'exploitation domestique d'enfants pose un problème particulier. Ce type d'affaire, parfois révélé au grand jour par les
médias, correspond à des situations dramatiques vécues, le plus souvent, par de très jeunes filles conduites en France
dans des conditions illégales et exploitées au domicile de particuliers dans des conditions contraires à la dignité
humaine.
Madame la sénatrice, le Gouvernement partage votre préoccupation et veille le plus possible à ce que la législation soit
pleinement appliquée.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse. Je ne doute pas que
le Gouvernement mettra tout en oeuvre pour qu'une solution soit apportée à ces situations qui sont effectivement rares
et qui, comme vous l'avez dit, ont des conséquences graves. Il faudra que nous revoyons les trois propositions précises
que je vous ai faites, car des mesures concrètes seront nécessaires.
J'ai bien noté que, dans tous ces domaines, vous aviez demandé aux services déconcentrés d'établir des bilans.
Cependant, je crains, madame la secrétaire d'Etat, que les moyens donnés aux inspecteurs du travail et aux directions
départementales du travail et de l'emploi ne soient insuffisants pour mener à bien cette action, dans laquelle le
Gouvernement est engagé, avez-vous dit. S'agissant des trois mesures concrètes que je vous ai proposées, les débats
qui vont se poursuivre entre nous permettront sans doute de trouver des solutions et conduiront à l'adoption de mesures
très concrètes.

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