Question de M. ROBERT Jean-Jacques (Essonne - RPR) publiée le 05/05/1999

M. Jean-Jacques Robert attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur le non-respect par les caisses primaires de sécurité sociale, au travers des décisions des organismes chargés du recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales, des articles 35 et 49 de la loi nº 94-126 du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle. En effet, l'article L. 311-11 du code de la sécurité sociale, ainsi que l'article L. 120-3 du code du travail, tous deux issus de cette loi, ont introduit une présomption d'absence de contrat de travail pour toutes personnes immatriculées au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, à moins qu'il ne soit établi que leur activité les place dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard d'un donneur d'ordre. Or il a constaté que certains travailleurs indépendants, nouvellement installés, se voyaient refuser l'inscription auprès de ces organismes en tant que non-salarié, les URSSAF considérant, a priori et sans consultation, que ces personnes étaient salariées et relevaient du régime général de sécurité sociale. Cette pratique abusive nuit au développement de la création d'entreprises individuelles : la permanence d'un état de subordination juridique ne saurait exister le jour même de l'inscription au registre du commerce d'un nouveau travailleur indépendant. Ainsi, en dépit des articles contenus dans la loi du 11 février 1994, dont il était rapporteur, et alors que le règlement de cette situation éventuelle avait été évoqué avec précision lors des débats, les URSSAF, contrairement aux attendus du texte législatif, semblent toujours interpréter de manière extensive la subordination économique, en continuant à disposer d'un total pouvoir d'appréciation pour qualifier les personnes de salariés ou de travailleurs indépendants. C'est pourquoi il lui demande de donner les instructions nécessaires pour une application de la loi respectant le vote du Parlement.

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Réponse du ministère : Droits des femmes publiée le 13/10/1999

Réponse apportée en séance publique le 12/10/1999

M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les unions de
recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, les URSSAF, refusent l'inscription de
certains travailleurs indépendants nouvellement installés en tant que non-salariés, décidant parfois, le jour même de
l'inscription, a priori et sans aucune consultation, que les intéressés sont des salariés et relèvent en conséquence du
régime général de sécurité sociale.
Rapporteur de la loi relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle du 11 février 1994, j'avais prévu que cette difficulté
pourrait se présenter et avais fait voter des dispositions permettant de l'éviter. C'est ainsi qu'un double dispositif a été
introduit dans le texte.
D'une part, l'article 49 de cette loi prévoit la présomption simple d'une activité indépendante pour toute personne qui
choisit l'immatriculation au registre du commerce ou au répertoire des métiers. Cette présomption peut être levée après
- et seulement après - qu'a été établie l'existence d'un lien de subordination permanent entre le travailleur non salarié et
le donneur d'ouvrage.
D'autre part, l'article 35 instaure une procédure permettant au travailleur indépendant de vérifier auprès de l'URSSAF s'il
relève ou non du régime général ; l'URSSAF dispose alors de deux mois pour répondre.
Ces deux articles condamnent l'interprétation des URSSAF pour qualifier une personne de salarié ou de travailleur
indépendant le jour même de l'inscription.
Lors des débats, ces qualifications abusives avaient été clairement évoquées à ma demande, et la manière de les
empêcher avait été non moins clairement envisagée.
Voici ce que déclarait le ministre devant le Sénat lors de la séance du 26 janvier 1994, ainsi que le Journal officiel en
témoigne à la page 635 :
« Un entrepreneur individuel a fait clairement le choix de l'entreprise individuelle en s'inscrivant au registre du commerce,
au registre des sociétés ou au répertoire des métiers sous le régime de non-salarié.
« Il est normal, parfois, tout particulièrement au début de son activité, qu'il recherche la sécurité d'un donneur d'ordre.
Mais, lorsqu'il a obtenu la stabilité de son donneur d'ordre, patatras ! les dispositions du code du travail, de la sécurité
sociale, peuvent entraîner une double requalification... L'entrepreneur individuel, lui, est maintenant qualifié de salarié,
son contrat commercial étant également requalifié de contrat salarié, et ce contre sa volonté.
« Cette insécurité juridique est grave, et c'est pour mettre fin à cette dérive de la jurisprudence que nous avons proposé
ces dispositions... C'est une présomption, mais une présomption forte de la volonté des parties que nous entendons
inscrire dans ce projet de loi. »
Le ministre précisait encore : « Ce n'est qu'en cas de faute de l'intéressé que l'on pourrait procéder à une requalification.
»
Le Parlement a unanimement choisi de suivre cette ligne, madame le secrétaire d'Etat. Pouvez-vous m'indiquer que les
URSSAF vont être mises au pas par des instructions de manière qu'elles appliquent strictement la loi et respectent
ainsi le vote du Parlement ? (M. Chérioux applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le sénateur,
vous interrogez Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur l'application par les caisses de sécurité sociale de la
loi du 11 février 1994, relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle, et plus particulièrement sur l'application des
dispositions concernant la détermination du caractère salarié ou non de l'activité.
Aux termes de l'article 35 de cette loi, les personnes immatriculées au registre du commerce ou au répertoire des
métiers peuvent demander aux URSSAF si leur activité doit être considérée comme salariée et donc les faire relever du
régime général.
Pour décider, l'URSSAF concernée examine très précisément la situation de l'intéressé, en l'interrogeant notamment
sur les moyens matériels qui sont susceptibles d'être mis à sa disposition, la clientèle, l'existence de directives et de
contraintes, l'obligation de rendre compte, la rémunération, la participation au risque économique. La liste de ces points
montre que l'URSSAF ne prend pas uniquement en compte la subordination économique, mais qu'elle cherche à
déterminer s'il existe également une subordination juridique.
Les modalités pratiques de cette procédure de consultation sont décrites dans les circulaires ministérielles du 4 juillet
1994 et interministérielle du 4 mai 1995 signées par Mme Veil, M. Giraud et M. Madelin.
Il est exact que la loi du 11 juillet 1994 prévoit une présomption d'absence de contrat de travail lorsque la personne est
inscrite au registre du commerce ou au registre des métiers, mais il s'agit d'une présomption simple, susceptible d'être
renversée, selon un arrêt de la Cour de cassation en date du 31 mars 1998.
En d'autres termes, la présomption signifie simplement que c'est à l'URSSAF d'établir que la personne est en fait
salariée ; elle ne signifie pas que la personne doit automatiquement être considérée comme non salariée du seul fait de
son inscription au registre des métiers ou du commerce. Si c'était le cas, la consultation de l'URSSAF serait d'ailleurs
inutile.
La décision de l'URSSAF est bien entendu susceptible d'appel, devant la commission des recours amiables d'abord,
devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ensuite.
Au-delà de ces aspects de procédure, je voudrais attirer votre attention sur la raison d'être de ces dispositions. Il s'agit
non pas du tout d'entraver la création d'entreprise mais de protéger les salariés et de veiller à ce que, éventuellement,
certains employeurs ne s'affranchissent pas de charges sociales et d'obligations découlant du droit du travail.
Il a été demandé à l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, de voir si ces dispositions
entraînaient des difficultés d'application sur le terrain. D'après l'ACOSS, ces difficultés se présentent très rarement.
Toutefois, un bilan de l'application de ces dispositions sera demandé aux URSSAF d'ici à la fin de l'année.
M. Jean-Jacques Robert. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Je vous remercie, madame le secrétaire d'Etat, de cette réponse. Elle témoigne
malheureusement du décalage qui existe entre ce que nous voulons, nous qui siégeons ici, qui étudions
minutieusement les textes, qui essayons de mettre les garde-fous indispensables, et l'application qui est ensuite faite
de la loi par les ministères et, en l'occurrence, par la sécurité sociale, qui s'autogère, qui enquête elle-même sur ses
propres pratiques et qui se juge elle-même.
Dans le cas qui nous occupe, à partir des mêmes mots, nous aboutissons à une interprétation totalement différente.
Or, si vous étudiez très précisément le texte de la loi, vous constaterez qu'il y a bel et bien détournement de celle-ci.
Sachant d'avance ce qui allait m'être répondu, j'ai pris mes précautions et j'ai retenu un autre propos du ministre lors de
la même séance du 26 janvier 1994. Celui-ci figure à la page 638 du Journal officiel : « Les choses sont bien claires : je
m'installe comme entrepreneur individuel selon les formalités prescrites et je suis donc présumé exercer une activité
indépendante sans qu'il y ait lieu de rechercher si mon statut juridique pourrait, le cas échéant, être requalifié. » Le
français étant le français, le législateur étant le législateur, je trouve cela très clair et c'est bien l'administration qui
passe outre à la volonté du législateur.
Alors, je vous en supplie, madame le secrétaire d'Etat, faites en sorte que ce dossier soit minutieusement examiné. Il
ne s'agit pas de quelques cas isolés : le problème se pose fréquemment.
Les URSSAF doivent être rappelées à la bonne application de cette loi. Leur pratique est d'autant plus choquante que,
je le répète, c'est au jour même de l'inscription qu'elles se rendent coupables de ce détournement de la loi.
Je vous fais confiance, madame le secrétaire d'Etat, pour m'aider à faire valoir la bonne interprétation de la volonté du
législateur.

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