Question de M. SEILLIER Bernard (Aveyron - NI) publiée le 16/04/1999

Question posée en séance publique le 15/04/1999

M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes
chers collègues, j'apprécie l'effort diplomatique intense que continue à déployer la France parallèlement à son
engagement en Yougoslavie aux côtés des alliés de l'OTAN. Il est éminemment souhaitable que cet effort aboutisse
rapidement, dès lors que le drame humanitaire que l'intervention aérienne devait empêcher est largement consommé.
Cette relative déconvenue n'est pas imputable à l'exécution des missions qui a été, jusqu'à ces derniers jours,
irréprochable. Les pilotes et tous les personnels doivent être complimentés.
Quel sens donner alors aux renforts conséquents demandés en ce moment même, puisque l'espace aérien est
entièrement contrôlé par les forces de l'OTAN ? Une seule explication paraît plausible : la destruction des installations
économiques de la Yougoslavie, à laquelle l'engrenage de l'intervention a conduit, devrait être d'urgence achevée, car le
pilonnage aérien infligé par ce que la terre porte de plus puissant suscite déjà l'incrédulité et, demain peut-être, une
franche réprobation.
La longueur d'une guérilla est intellectuellement compréhensible. Celle d'un bombardement massif ne peut pas l'être.
Une course est aussi engagée contre la menace d'extension du conflit dans les Balkans. Mon hypothèse est-elle la
bonne, monsieur le Premier ministre ?
On ne fait pas la guerre à un peuple mais à un régime, dit-on. Il n'empêche que les infrastructures économiques
détruites sont celles d'un peuple, plus que celles d'un régime. Puisque la logique de notre intervention est celle de la
paix et que l'endurcissement du président Milosevic semble conduire à exténuer économiquement son pays, notre
mission doit d'autant plus clairement signifier sa finalité pacifique et ne s'achever qu'avec la réinstallation des
populations aussi bien serbes que kosovars sur leurs territoires, dans des conditions plus confortables et plus sûres
qu'avant le déclenchement de l'intervention de l'OTAN.
Il est impossible d'examiner en cinq minutes la liste des difficultés qui restent à surmonter. Je citerai seulement le
problème du statut et de l'administration de la Yougoslavie. C'est sur cette question qu'il faut aujourd'hui concentrer la
réflexion au sein de l'Union européenne. Je sais que vous vous y employez activement avec le Président de la
République, qui a formulé hier d'importantes propositions. Nous souhaiterions recevoir quelques éclaircissements à ce
sujet.
Il faut restaurer la confiance à la fois de la population serbe, totalement désorientée, et des albanophones du Kosovo,
traumatisés par les persécutions subies. Je pense, comme d'autres, que l'OSCE pourrait être opportunément appelée à
jouer un rôle important dans le plan à négocier avec tous les intéressés.
Qui supportera, par ailleurs, l'effort de reconstruction ? L'élan de générosité à l'égard des réfugiés constitue un signe
d'espoir d'un large consentement.
Je souhaite enfin évoquer brièvement la nouvelle dynamique de l'organisation mondiale qui a été plus qu'esquissée par
cette guerre d'un nouveau type. Est-elle de nature à fonder une jurisprudence stable ? A partir de quel seuil
d'appréciation d'une atteinte aux droits de l'homme l'OTAN considérera-t-elle qu'une intervention s'imposera désormais ?
Comment apprécier la situation de la Turquie et du peuple kurde sur cette échelle ? Où se trouve situé dans cette
graduation le non-respect des résolutions 425 et 426 du Conseil de sécurité relatives au Sud-Liban ? Comment
apprécier la situation du Soudan, du Rwanda, les massacres en Algérie ? L'impuissance d'un régime à empêcher les
exactions et sa malfaisance directe sont-elles comparables ?
Ces questions et bien d'autres se poseront désormais dans le prolongement de la logique de l'intervention de l'OTAN.
Selon quels critères et quelles procédures désigner les « nations dévoyées », selon la formule en usage à Washington,
et avec quels moyens et méthodes les ramener sur le droit chemin ?
Mme Madeleine Albright a déclaré, devant une commission du Sénat américain, lors de sa nomination au poste de
secrétaire d'Etat, que les Etats-Unis devaient se faire « les auteurs de l'histoire de notre ère ». Ils sont, disait-elle, «
plus grands que les autres et voient donc plus loin ». Elle détient donc certainement une réponse à certaines des
questions que je soulève !
Je souhaite, monsieur le Premier ministre, que la France ait aussi son propre point de vue sur ces questions, au sein
de l'Europe et avec l'Europe, et qu'elle le fasse savoir. Nous le voyons en ce moment : la guerre ou la paix peuvent en
dépendre.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous déjà nous fournir quelques réponses à ces interrogations ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)

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Réponse du ministère : Premier ministre publiée le 16/04/1999

Réponse apportée en séance publique le 15/04/1999

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de
pouvoir m'exprimer devant vous aujourd'hui, ce que je n'avais pu faire directement depuis le début du conflit. Présent aux
obsèques de Michel Crépeau, je n'avais en effet pu assister à la dernière séance de questions d'actualité au
Gouvernement au Sénat, alors que j'avais l'intention de m'exprimer à cette occasion devant vous sur ce sujet.
Cela étant, dès le début des frappes, je me suis entretenu avec M. le président Poncelet et j'ai pris l'initiative de réunir
régulièrement vos présidents de groupe et de commission, au côté de vos collègues députés ; je le referai la semaine
prochaine. Par ailleurs, les ministres des affaires étrangères et de la défense, le secrétaire d'Etat à la coopération - ce
dernier étant plus particulièrement chargé de l'aspect humanitaire - sont venus à plusieurs reprises devant la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Enfin, la précieuse initiative de votre conférence des présidents d'inscrire cette séance de questions à votre ordre du
jour me donne l'occasion, conformément à mon souci permanent, de vous entendre et de vous informer.
A l'instant, j'ai eu l'opportunité d'écouter vos analyses et vos suggestions. Elles seront utiles au Gouvernement.
Pour répondre à vos questions aujourd'hui, je me situerai en premier lieu, comme je l'ai fait devant l'Assemblée nationale
il y a deux jours, sur le terrain diplomatique. MM. Del Picchia et Cabanel ont particulièrement axé leurs questions sur
ce volet.
C'est un terrain que nous n'avons jamais délaissé, je le rappelle, car notre objectif demeure le règlement politique de la
crise du Kosovo. Il est apparu, au terme de nombreux mois de tentatives et d'efforts diplomatiques - que l'obstination
des autorités serbes à refuser tout compromis a rendus infructueux -, que l'option militaire devenait le dernier moyen de
parvenir à l'objectif que nous nous étions fixé.
L'efficacité de l'action de l'OTAN suppose une détermination sans faille, à laquelle les autorités françaises ne dérogeront
pas.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Notre pays continuera également à répondre généreusement aux impératifs
humanitaires exigés par la situation des réfugiés kosovars. Mais les ressources de la diplomatie doivent en même
temps être mobilisées.
La légimité de notre action actuelle en République fédérale de Yougoslavie, au côté de nos alliés, est fondée sur les
résolutions et les exigences du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Gouvernement français, en accord avec le
Président de la République, est convaincu que c'est au même Conseil de sécurité qu'il reviendra de définir le cadre
d'une solution politique au Kosovo et les mécanismes de sa mise en oeuvre. (Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialistes. - M. Cabanel applaudit également.)
Nous nous sommes réjouis, à cet égard, de la déclaration du secrétaire général des Nations unies, le 9 avril, qui a
opportunément rappelé l'ensemble des conditions posées par la communauté internationale au régime yougoslave,
démontrant ainsi l'implication croissante des Nations unies en vue d'une solution à la crise.
Cette implication, que j'avais appelée de mes voeux, s'est de nouveau concrétisée hier avec la participation - pour la
première fois dans notre histoire commune d'Européens - de M. Kofi Annan au Conseil de Bruxelles consacré au
Kosovo.
De même, la permanence des contacts entretenus avec la Russie par les pays occidentaux engagés dans l'action au
Kosovo, notamment par la France, est le signe d'une volonté commune de travailler ensemble à une issue politique.
C'est fondamental, et je pense que la Russie a les capacités de jouer un rôle déterminant dans la résolution de cette
crise si elle est étroitement associée aux efforts pouvant conduire à un règlement politique, sous l'égide des Nations
unies. Telle est bien l'approche de la France.
Je dirai même que je souhaite que la Russie s'implique davantage. J'espère que la nouvelle responsabilité confiée, à cet
égard, par le président Eltsine à M. Tchernomyrdine - que j'ai eu l'occasion de connaître personnellement lorsqu'il était
Premier ministre de la Fédération de Russie - permettra une mobilisation positive dans la recherche d'une solution.
Quant à l'Union européenne - qui est au premier rang pour l'aide engagée en faveur des réfugiés du Kosovo, grâce à la
mobilisation de ses Etats membres et avec le soutien de leurs populations - elle doit, selon moi, affirmer son rôle
politique et sa responsabilité s'agissant d'un conflit qui se déroule à ses portes et d'enjeux de liberté et de sécurité qui
la concernent au premier chef.
Oui, le combat pour la démocratie et les droits de l'homme, face au dernier régime du continent européen qui les bafoue
de manière inique, est un combat digne de l'Europe libre, pacifique et prospère que nous voulons construire.
C'est le motif profond de l'assentiment lucide et réfléchi de la majorité des citoyens français et européens en faveur de
l'action de l'Europe.
Le Conseil européen qui s'est tenu hier à Bruxelles - tous les orateurs ont évoqué cette réunion - a montré que nous y
étions tous résolus, malgré les nuances qui existent entre les pays européens. Cette réunion, à laquelle je participais
au côté du Président de la République, a porté en majeure partie sur la situation au Kosovo et elle s'est déroulée en
présence du secrétaire général des Nations unies, participation qui s'est révélée bénéfique et utile.
Lors de cette rencontre, les chefs d'Etat et de Gouvernement ont rappelé leur détermination à ne pas tolérer les
pratiques d'assassinat et de déportation perpétrées au Kosovo et estimé qu'il était nécessaire et légitime d'appliquer les
mesures les plus sévères, y compris les actions militaires.
Ils ont rappelé que l'objectif fondamental était d'instaurer un Kosovo multi-ethnique et démocratique, au sein duquel tous
les habitants puissent vivre en paix et en sécurité. Les autorités yougoslaves seront tenues responsables pour la
sécurité et le bien-être des réfugiés du Kosovo.
Les gouvernements européens ont apporté leur soutien unanime à la déclaration du 9 avril du secrétaire général des
Nations unies, qui résumait en ces termes les exigences de la communauté internationale à l'égard de M. Milosevic : «
la cessation immédiate de la campagne d'intimidation et d'expulsion de la population civile du Kosovo ; le retrait sans
délai des troupes militaires et paramilitaires de la province ; l'acceptation sans condition du droit au retour des réfugiés
et des personnes déplacées ; l'acceptation d'une force militaire internationale chargée de garantir les conditions du
retour des réfugiés et les conditions d'acheminement de l'aide humanitaire ; l'acceptation d'un mécanisme de vérification
international de la mise en oeuvre de ces engagements ».
Ils ont souligné également la nécessité du vote par le Conseil de sécurité des Nations unies d'une résolution sous
chapitre VII intégrant les différentes conditions énumérées par M. Kofi Annan le 9 avril.
Enfin, le Conseil européen de Bruxelles, sensible à la dimension régionale de la crise et soucieux d'offrir à l'ensemble
de la région balkanique une perspective d'espoir et de rapprochement avec l'Union européenne, a décidé de convoquer
une conférence sur l'Europe du Sud-Est qui arrêtera des mesures susceptibles de favoriser dans la région une
stabilisation durable, la sécurité, la démocratisation et la reconstruction économique.
L'Europe démocratique, pacifique et prospère est prête, je vous le confirme - et le Gouvernement français y est
déterminé - à faire tous les efforts pour que les Balkans rejoignent vraiment notre temps et notre Europe.
Par ailleurs, vous le savez, à la suite d'une proposition du Président de la République, faite au nom des autorités
françaises, l'Union européenne a fait part de sa disponibilité à assumer la charge d'une administration internationale
intérimaire pour la mise en oeuvre des dispositions de l'accord politique qui sera un jour conclu entre les parties, ou qu'il
faudra imposer aux autorités de Belgrade. Les discussions à quinze se poursuivront, à cet égard, dans les prochains
jours.
Mardi, mesdames, messieurs les sénateurs, je relevais que le contexte dans lequel se déroulait le conflit du Kosovo
commençait à bouger. Ces dernières quarante-huit heures semblent confirmer, de manière encore modeste mais réelle,
un certain nombre de signes positifs. Nous nous devons toutefois de rester prudents : à ces différentes initiatives
convergentes ne nous parvient encore aucune réaction satisfaisante de Belgrade.
Entendons-nous bien : si nous sommes effectivement dans une remontée en puissance de la diplomatie, nous n'en
restons pas moins dans une intensification de la pression militaire qu'exige le comportement obstiné de M. Milosevic.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez comme moi que les autorités de Belgrade persistent dans leur refus
d'une solution politique, dont les principes - qu'après M. Kofi Annan je rappelais tout à l'heure - paraissent pourtant
raisonnables à la communauté internationale. C'est pourquoi les frappes se poursuivent, à la fois contre le système de
commandement et de contrôle de l'appareil militaire serbe et contre les forces engagées dans la répression au Kosovo.
Nos moyens militaires y participent résolument, d'une part en veillant à circonscrire le conflit, d'autre part en participant
à l'accueil et à la sécurité des réfugiés. L'actualité montre combien c'est difficile, j'y reviendrai dans un instant.
Le dispositif militaire français est en tout cas engagé dans deux directions : les missions aériennes, la présence au sol
en Albanie et en Macédoine.
Les missions aériennes, sur lesquelles M. Plasait m'a notamment interrogé, sont assurées aujourd'hui, du côté
français, par près de soixante avions appartenant à l'armée de l'air et à la marine. Ces avions opèrent à partir de bases
aériennes situées en Italie et sur le territoire national ainsi qu'à partir du porte-avions Foch, déployé en Adriatique. Ils
participent à toutes les formes de missions conduites, de jour comme de nuit, par l'ensemble des Alliés.
Afin de maintenir en vol au-dessus de la province une permanence de l'intervention des avions de l'Alliance, des renforts
importants seront prochainement envoyés sur le théâtre des opérations, en particulier par les Américains.
Quant à la poursuite de l'action militaire, sur laquelle vous avez été plusieurs à m'interroger, elle fait l'objet d'échanges
approfondis et permanents entre tous les gouvernements alliés, qui doivent en conserver la stricte maîtrise. Autour du
Président de la République, nous travaillons quotidiennement dans cet esprit.
Il s'agit d'étouffer les forces de répression serbes, de les frapper où qu'elles se trouvent. Cette tactique a d'ores et déjà
permis d'obtenir des résultats très significatifs : 70 % des stocks de carburant ont été détruits, la mobilité des forces
serbes est très ralentie, leur capacité de réparation et de maintenance est extrêmement réduite.
Aujourd'hui, les forces militaires et paramilitaires serbes, au Kosovo, se trouvent isolées, gênées dans leur
approvisionnement. Cependant, dispersées, immobilisées, elles se terrent, ce qui les rend plus difficilement
détectables. Elles n'en sont pas moins vulnérables, et désormais soumises à un harcèlement sans répit.
Nous avons tous été très émus par la nouvelle parvenue hier après-midi selon laquelle des réfugiés avaient été victimes
de bombardements au Kosovo, à quelques kilomètres de la frontière albanaise. Mme Borvo m'a tout particulièrement
interrogé sur ce point.
Nous sommes dans l'attente - en tout cas, au moment où je vous parle - des résultats de l'enquête conduite par
l'OTAN, et notamment de la restitution des films pris par les avions alliés engagés, à cette heure-là, dans la région.
Le général Clark, commandant des opérations alliées en République fédérale de Yougoslavie, s'attache
personnellement, m'a-t-on dit, à vérifier les faits et à contrôler les allégations serbes. A ce stade une grande prudence
s'impose dans l'analyse de l'événement. Nous n'écartons en effet ni une méprise, qui serait dramatique, ni une
manipulation, qui serait odieuse.
Notre engagement militaire ne se résume pas, vous le savez, aux opérations aériennes. Nos soldats sont également
présents en Albanie et en Macédoine.
En Albanie, la force de sécurisation des opérations humanitaires se met en place. Son état-major sera à pied d'oeuvre
demain soir. Nous avons déjà, sur place, plus de 200 hommes, qui soutiennent l'action humanitaire, et nous envoyons
près de 500 soldats supplémentaires, qui seront chargés, en priorité, de l'accueil des réfugiés à la frontière, de leur
prise en charge immédiate, notamment médicale.
En Macédoine, la brigade française a été renforcée en moyens perfectionnés de renseignement. Forte, maintenant, de
près de 3 000 hommes, elle poursuit sa double mission de sécurisation de cette zone face au Kosovo et de soutien à
l'action humanitaire au profit des réfugiés. Elle se tient également prête pour participer, le moment venu, à une force
internationale de sécurité qu'il sera nécessaire de déployer au Kosovo pour faire respecter un règlement politique.
Je vous le redis, nous souhaitons que cette force relève d'une résolution du Conseil de sécurité. Elle répondra ainsi à
notre double souci d'agir dans le cadre du droit international et de doter la force des moyens nécessaires à son
efficacité.
Dans la situation difficile d'aujourd'hui, je tiens à renouveler mon hommage et à redire mon soutien aux 7 000 militaires
français déployés sur ce théâtre d'opérations. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Paul Loridant applaudit également.)
J'en viens maintenant à la crise humanitaire que M. Milosevic a organisée délibérément à l'intérieur comme à l'extérieur
du Kosovo, et M. Claude Estier et d'autres orateurs ont évoquée.
La situation des personnes déplacées dans la province du Kosovo est, pour nous, un motif de très grave inquiétude.
Leur nombre précis nous est inconnu ; il s'agit peut-être de plusieurs centaines de milliers de personnes, dont les
conditions d'existence deviennent chaque jour plus précaires. Les exactions auxquelles elles seraient soumises nous
préoccupent énormément.
Je souhaite ici, solennellement, mettre de nouveau en garde le pouvoir serbe contre les conséquences de son attitude
et le comportement de ceux qui, au Kosovo, exécutent sa politique.
Nous sommes déterminés à porter, là comme ailleurs, un coup d'arrêt aux desseins de M. Milosevic. Il devra rendre des
comptes devant son peuple, devant l'histoire et, peut-être, devant la justice internationale.
Quant aux réfugiés et aux personnes déplacées en dehors du Kosovo, leur nombre global est aujourd'hui d'environ 640
000. Comme vous le savez, les expulsions massives dont les Kosovars ont fait brutalement l'objet ont créé d'énormes
besoins humanitaires auxquels il a fallu répondre dans l'urgence. Cette réponse immédiate, nous l'avons apportée.
La situation en Albanie et en Macédoine s'est désormais nettement améliorée. Le Haut-commissariat des Nations
unies pour les réfugiés est le coordinateur principal de l'aide humanitaire internationale, ce qui constitue un gage
d'efficacité.
Sur le terrain, à la demande du haut-commissaire pour les réfugiés, Mme Ogata, l'OTAN apporte sa contribution à cet
effort par un dispositif destiné à la coordination logistique, d'une part, à la sécurisation de l'arrivée, de l'acheminement et
de la distribution de l'aide humanitaire dans les camps, d'autre part. N'oublions pas que nous sommes dans des zones
fragiles et souvent exposées.
La France a, pour sa part, consenti très vite un effort important : 225 millions de francs d'aide directe financée par le
budget de l'Etat.
A ce jour, les armées françaises ont effectué plus d'une centaine de rotations d'avions entre Istres, Tirana et Skopje, et
presque autant de rotations d'hélicoptères entre Tirana et Kukes, pour transporter plus de 800 tonnes de fret
humanitaire. Aujourd'hui, d'ailleurs, M. Charles Josselin, le ministre de la coopération et de la francophonie, est sur la
base d'Istres, où il témoigne de la solidarité du gouvernement français auprès de nos militaires.
La mobilisation de nos concitoyens est, elle aussi, exemplaire.
Il m'est impossible de rendre compte de toutes les initiatives prises par nos compatriotes, par des particuliers ou par
des collectivités locales, par de petites associations ou par de plus importantes. Plusieurs milliers de tonnes de biens
de première nécessité ont été collectés. Ceux qui ne sont pas transportés directement par les associations le sont par
les soins de l'Etat, par voie aérienne ou maritime.
Des coordinnateurs humanitaires ont été désignés à Tirana et à Skopje. Ils s'appliqueront, en liaison avec les
organisations non gouvernementales, les ONG, à vérifier la bonne distribution de cette aide, conformément aux voeux
des Français qui l'ont rendue possible.
Un exemple parmi d'autres : près de 1 200 000 colis, collectés et acheminés par la Croix-Rouge française et La Poste,
devraient quitter très prochainement Marseille pour la Macédoine et l'Albanie, par des moyens aériens et maritimes
civils et militaires, affrétés par l'Etat.
Qu'il me soit permis ici de rendre un hommage chaleureux à tous ceux qui participent à l'ensemble de cette
mobilisation, en France et autour du Kosovo.
Je voudrais, enfin, relever la généreuse réponse apportée par nos compatriotes concernant l'accueil en France de
familles de réfugiés, notamment à la faveur de la mise en place d'un numéro vert.
Je l'ai dit à plusieurs reprises, l'urgence est d'organiser et de protéger les réfugiés du Kosovo au plus près de leur région
d'origine, là où ils se trouvent, en Albanie et en Macédoine principalement, pour préparer leur retour dans leur pays.
C'est ce qu'ils souhaitent.
Comme vous le savez, la France a mis en place des procédures adaptées pour répondre à la demande des réfugiés qui
souhaiteraient trouver asile et protection sur notre territoire. Ces procédures répondent à des principes simples qui sont
ceux qu'a établis le droit international : volontariat des candidats au départ et identification des réfugiés assurée par les
services du Haut-commissariat pour les réfugiés. Les réfugiés volontaires ainsi identifiés seront exemptés de la
formalité de visa et bénéficieront d'un titre de séjour temporaire d'une validité d'un an.
Ces procédures vont prendre un peu de temps, en raison, notamment, de problèmes d'identification qui relèvent du
HCR. Nous nous efforçons d'accélérer et de faciliter les choses. M. Bernard Kouchner, ici présent, est impliqué dans ce
travail.
Dans tous les cas, les familles françaises ou les familles d'étrangers vivant en France qui se sont manifestées seront
contactées par les services des directions départementales de l'action sanitaire et sociale, les DDASS, afin d'examiner
les modalités pratiques de l'accueil projeté.
En parallèle à cette réponse française, l'Union européenne a mobilisé pour l'aide aux réfugiés et aux pays d'accueil un
total de 250 millions d'euros. Cela représente une part française supplémentaire de 282 millions de francs. Je tiens à
mettre l'accent, aujourd'hui, sur la très grande complémentarité de l'action des pays européens sur le terrain. C'est en
association et en étroite coordination avec nos partenaires que nous avons su être efficaces dans l'urgence.
Nous travaillons avec les Anglais dans les camps d'accueil de Macédoine. Nous sommes, avec les Italiens, sur la base
logistique de Kukes. Nous gérons avec les Allemands un camp de transit à Fajza, à côté de Krume, et nous leur
apportons notre soutien au camp de Spital.
De la même façon, les Européens vont mobiliser la communauté internationale, en vue d'apporter aux Etats de la région
affectés par le conflit l'aide à la reconstruction et pour le développement dont ils ont un besoin urgent. MM. Arthuis et
Seillier ont évoqué cette question. Cela a été confirmé au Conseil européen d'hier. Le Gouvernement s'en réjouit,
puisque, vous le savez, nous avions pris l'initiative de saisir le FMI et la Banque mondiale en ce sens.
Ces différents exemples montrent, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'Union européenne dans son ensemble,
dans ses institutions comme dans sa population, est entièrement solidaire et mobilisée. L'Europe et les Européens
sont conscients de leur responsabilité devant l'histoire et devant les populations déshéritées du Kosovo. Je sais
aujourd'hui que leur détermination est entière. C'est notre honneur et notre force. (Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur celles du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Paul
Loridant applaudit également.)
M. le président. Monsieur le Premier ministre, me faisant l'interprète de tous les sénateurs, je vous remercie d'avoir
répondu avec le plus de précision possible, compte tenu de la situation, aux légitimes préoccupations de tous les
intervenants. Ainsi donc, par vos soins, le Parlement, et en particulier le Sénat, se trouve informé de l'évolution de la
douloureuse opération du Kosovo.

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