Question de M. PELCHAT Michel (Essonne - RI) publiée le 11/02/1999

M. Michel Pelchat rappelle à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, qu'aucune discrimination ne saurait être tolérée sur notre territoire, de quelque nature qu'elle soit, dans quelque domaine que ce soit, et notamment en matière de statut familial. Il constate que, malheureusement, l'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas effective dans tous les pays, et qu'elle n'existe notamment pas en Algérie, ce pays très proche de la France où, depuis 1984, un code de la famille régit le statut familial accordant à la femme des droits et des capacités bien inférieurs à ceux de son époux. En conséquence, il lui demande quelles mesures elle compte prendre, y compris sur le plan des projets législatifs, afin que le juge français refuse catégoriquement l'application de ce code inique. En outre, il souhaite savoir quelles mesures elle entend prendre pour faire respecter les droits matrimoniaux, patrimoniaux et de liberté de circulation des Français, notamment des Français binationaux, par les autorités algériennes (entre autres) qui ne leur reconnaissent ni en fait ni en droit la nationalité française, et quelles mesures elle compte prendre pour que ces autorités n'empêchent pas la France d'exercer en Algérie, comme partout dans le monde, l'obligation d'assistance qu'elle doit à tous ses ressortissants quels qu'ils soient et sans discrimination à l'égard des binationaux.

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Réponse du ministère : Coopération publiée le 10/03/1999

Réponse apportée en séance publique le 09/03/1999

M. Michel Pelchat. Monsieur le ministre, permettez-moi, à travers vous, de m'adresser directement à Mme le garde
des sceaux.
Voilà quelques semaines, nous avons reçu au Sénat Mme Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix, tandis que c'était
hier la Journée internationale des femmes. Autant d'évènements qui consacrent la place que doit occuper la femme
dans notre société.
Sans chauvinisme aucun, je dirai que, dans ce domaine, la France est certainement la championne de l'universalité des
droits de l'homme. La Déclaration des droits de l'homme de 1789, la Déclaration universelle de 1948 et la Convention
européenne des droits de l'homme de 1950 ont autant de chartres auxquelles elle a contribué et dont elle peut être
fière.
Aucune discrimination ne saurait être tolérée sur notre territoire, de quelque nature qu'elle soit, dans quelque domaine
que ce soit, notamment en matière de statut familial.
L'égalité dans le mariage est reconnue en France depuis maintenant de nombreuses années. La pleine capacité des
époux nous paraît aujourd'hui être une exigence d'ordre public international et avoir une vocation universelle.
Le préambule de la Constitution de 1946, longuement évoqué ici voilà quelques jours, précise d'ailleurs bien que « la loi
garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».
Nous savons, hélas ! que l'égalité entre hommes et femmes n'est pas effective dans tous les pays et qu'elle n'existe
notamment pas en Algérie, ce pays si proche de la France, géographiquement bien sûr, mais aussi dans nos coeurs.
En Algérie, depuis 1984, un code de la famille régit le statut familial en cantonnant la femme à un rôle subalterne, en ne
lui accordant des droits et des capacités que bien inférieurs à ceux de son époux.
Or, madame la ministre, la juriste que vous êtes n'est pas sans savoir que, si un litige doit en principe être tranché par
une loi étrangère qui contient des dispositions dont l'application est jugée inadmissible par le tribunal français saisi,
celui-ci a la faculté d'écarter cette loi étrangère au nom des principes fondamentaux des droits de l'homme. C'est ce
qu'on appelle « le respect de l'ordre public international ».
Ainsi, au nom du principe monogamique sur lequel repose l'organisation de la famille dans notre République, nous
écartons, en vertu de l'ordre public international, les lois étrangères qui admettent la polygamie.
Nous refusons également d'appliquer les lois étrangères fondées sur des distinctions de races ou de religions, parce
que nous considérons que de telles prohibitions sont contraires aux libertés individuelles.
En outre - est-il utile de le préciser ? - l'incapacité de la femme prévue par le code de la famille algérien est contraire
aux principes des droits de l'homme qui sont consacrés notamment par des conventions - telle la Convention
européenne des droits de l'homme de 1950 que je rappelais tout à l'heure - et qui ont une valeur juridique supérieure au
droit interne pour le juge français, chose que, malheureusement, celui-ci a souvent tendance à oublier !
Madame la ministre, nous avons le devoir d'admettre que l'incapacité de la femme mariée, telle qu'elle existe en Algérie,
révèle une discrimination fondée sur le sexe, attentatoire à la dignité humaine.
Un refus de la France d'appliquer le code de la famille algérien apporterait, j'en suis convaincu, un soutien considérable
au peuple algérien, qui souffre, en particulier aux femmes algériennes, qui luttent courageusement pour leurs droits
élémentaires de femmes et pour la paix et la démocratie dans leurs pays.
Ces femmes, réfugiées sur notre territoire, se sont mises sous la protection du droit français. Il n'y a aucune excuse
pour la France à les soumettre à des textes de loi algériens discriminatoires, donc contraires aux droits de l'homme !
C'est pourquoi, à l'heure où l'Algérie est en proie à la terreur, je vous demande, madame la ministre, quelle mesure vous
comptez prendre afin que le juge français refuse catégoriquement l'application, d'une part, de ce code inique et, d'autre
part, des jugements rendus en Algérie sur la base de ce même texte.
En outre, je souhaite savoir quelle mesure vous entendez prendre pour faire respecter les droits matrimoniaux,
patrimoniaux et de liberté de circulation des Français binationaux par les autorités algériennes, qui ne reconnaissent
aujourd'hui à ces derniers, ni en fait ni en droit, la nationalité française.
Quelle mesure comptez-vous prendre pour que ces autorités n'empêchent pas la France d'exercer en Algérie, comme
partout dans le monde, cette obligation d'assistance qu'elle doit à tous ses ressortissants ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le sénateur, vous avez bien
voulu interroger ma collègue ministre de la justice sur le respect des droits, notamment matrimoniaux, des Français
binationaux par les autorités algériennes, et elle vous en remercie. Posée au lendemain de la Journée internationale des
femmes, votre question est mise particulièrement en relief par l'actualité.
Ne pouvant être présente, Mme Guigou m'a chargé de vous apporter les éléments suivants.
Vous avez raison de souligner que l'égalité juridique des époux n'existe pas encore dans le statut familial de certains
systèmes étrangers et qu'il nous importe de veiller à ce que telles discriminations choquantes et incompatibles avec
notre conception des rapports entre époux ne puissent produire des effets sur notre territoire.
A cet égard, Mme Guigou peut vous indiquer que, si l'article 3 du code civil prévoit en principe l'application en France
pour les femmes algériennes de leur loi nationale, ce principe connaît de nombreuses exceptions permettant chaque
fois d'éviter de voir ces femmes soumises à un statut qui serait discriminatoire.
Je vous en donne quelques exemples.
Ainsi, en matière de divorce, l'article 310 du code civil prévoit l'application de la seule loi française lorsque les époux
étrangers ont l'un et l'autre leur domicile sur le territoire français. Mais, de façon plus générale, lorsque l'application
d'une loi étrangère heurte nos valeurs fondamentales, au rang desquelles figure l'égalité de droit et de responsabilité des
époux, les juges ont la possibilité et le devoir d'écarter une telle législation au profit de la loi française quand il s'agit
d'acquérir un droit en France.
Enfin, en présence de décisions judiciaires algériennes qui consacreraient un statut discriminatoire, le juge français est
en mesure de refuser de donner effet sur notre territoire à de telles décisions en raison de leur contrariété à notre ordre
public, en application de la convention franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l'exequatur et à l'extradition.
Dans ces conditions, il ne paraît pas nécessaire au garde des sceaux de prendre des mesures particulières pour éviter
l'application en France à des femmes étrangères des éléments discriminatoires de leur statut personnel, le juge ayant
déjà, selon Mme Guigou, les moyens d'éviter les effets pervers de ces discriminations.
En ce qui concerne le droit d'assistance par nos autorités diplomatiques et consulaires pour assurer le respect par les
autorités algériennes des droits et libertés des Français binationaux, Mme Guigou n'a pas manqué de rappeler déjà son
importance à son collègue du Gouvernement qui a la responsabilité de cette question : le ministre des affaires
étrangères, qu'il m'arrive de rencontrer assez souvent et à qui je pourrai dire l'importance que vous attachez à cette
question, monsieur le sénateur.
M. Michel Pelchat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je vous demande de bien vouloir remercier
votre collègue Mme Guigou de tous les éléments que vous m'avez apportés. Je les connaissais déjà pour ainsi dire : ce
sont des éléments de droit international et c'est l'ordre international qui les impose.
Si j'ai posé cette question, c'est parce que ces principes ne sont pas toujours appliqués, loin s'en faut, notamment pour
les femmes algériennes résidant en France, par rapport au code de la famille, surtout quand le mari est resté en Algérie
- cela arrive un certain nombre de fois - ou lorsqu'elles divorcent pour venir en France. A ce moment-là, le problème des
enfants se pose et c'est le code de la famille algérien qui leur est souvent appliqué par l'administration française. Un
rappel est donc nécessaire.
Je peux vous garantir que les droits patrimoniaux, matrimoniaux ou de déplacement des binationaux ne sont pas
respectés sur le territoire algérien. L'action de la France est bien timide face aux contraintes qu'ils subissent. Un rappel
serait là aussi nécessaire.

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