Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 03/02/1999

Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le projet de filialisation de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM). Elle lui fait remarquer que cette mesure, appliquée de façon spécifique à une partie du territoire national, heurte le principe d'égalité républicaine car privatisant des activités de la Banque centrale en complète contradiction avec la nationalisation des activités de la Banque de France. Elle lui fait remarquer également le caractère discriminatoire du fonctionnement d'agences n'étant pas considérées comme succursales Banque de France, mais sociétés de droit privé avec toutes les conséquences sur les responsabilités, les droits, les garanties, les conditions de travail, le maintien et la promotion de l'emploi des personnels. Elle lui demande de lui faire connaître son avis sur les dangers de voir réapparaître la situation vieille de cinquante ans où l'émission de la monnaie était confiée à une société privée dite " Banque coloniale ". Elle lui demande quelles mesures il envisage pour abandonner un tel projet et lui substituer une intégration de l'IEDOM et une reconnaissance de succursale de la Banque de France, mesures respectant les principes d'égalité et d'harmonisation du dispositif monétaire existant dans les DOM (Réunion, Guyane, Martinique, Guadeloupe) et les collectivités territoriales (Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte) avec celui en vigueur dans l'ensemble du territoire national.

- page 625


Réponse du ministère : Budget publiée le 12/05/1999

Réponse apportée en séance publique le 11/05/1999

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite que vous répondiez aujourd'hui avec clarté
et sans nouveaux faux-fuyants à une question en apparence compliquée, mais qui est fort simple.
L'Institut d'émission des départements d'outre-mer, l'IEDOM, est une des premières victimes de la Banque centrale
européenne et de l'euro. D'autres suivront !
L'Institut d'émission sera-t-il intégré à la Banque de France ou sera-t-il transformé en une société filiale de la Banque de
France ?
Vous le savez, une filialisation ne serait pas sans poser des problèmes de principe, mais elle soulèverait aussi la
question du devenir des personnels qui s'occupent du financement de l'économie locale.
La filialisation pose tout d'abord des problèmes de principe : la loi du 2 décembre 1945 a nationalisé la Banque de
France. La filialisation de l'Institut est donc une remise en cause grave de cette loi.
Je ne crois pas que l'on puisse faire cohabiter deux types de structures différents - succursales et filiales - pour
résoudre le même problème. En effet, la loi est une. Or les filiales seront des sociétés anonymes de droit privé. La loi
de nationalisation est donc remise en cause.
De plus, ces atteintes graves à la loi seraient portées sur une partie seulement de notre territoire national, ce qui pose
également un problème de principe.
Quatre départements d'outre-mer, ainsi que Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, sont concernés. Tous les
parlementaires de ces régions et toutes les organisations syndicales sont opposés au projet de filialisation.
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, présentant la filialisation à l'Assemblée nationale, la
comparait à une « possible mise en oeuvre de la participation des départements d'outre-mer à la grande aventure
européenne ». Ce n'est pas ce que ressentent les citoyens de ces départements, qui considèrent la filialisation comme
une formule au rabais pour les missions telles qu'elles existent aujourd'hui sur l'ensemble du territoire métropolitain.
Nous touchons également, avec cette question, au problème politique du devenir des départements d'outre-mer dans la
construction européenne.
Les personnels sont unanimes, et ils l'ont démontré dans des mouvements forts de protestation. La filialisation, c'est la
transformation du statut des personnels et la modification des missions, accentuées par les conséquences de
l'insularité.
Avec beaucoup d'à-propos, les syndicats prévoient que cette nouvelle situation pourrait constituer un précédent «
réimportable » en Europe. C'est pourquoi les personnels s'opposent unanimement à ce début de démantèlement de la
Banque de France.
Bien au-delà des principes et de l'intérêt des personnels, c'est le devenir de toute une région qui serait compromis par
la disparition du réescompte, qui permettait aux entreprises les plus fragiles, notamment aux PME-PMI, d'obtenir des
financements à 5,5 %, sans parler du transfert à un autre opérateur de l'activité « fonds de garantie bancaire », qui
jusqu'alors avalisait à hauteur de 70 % les concours consentis aux entreprises.
En démantelant l'IEDOM, vous démantèleriez aussi la Banque de France, vous toucheriez, monsieur le secrétaire
d'Etat, au service public en lui associant le capital privé et, bien entendu, vous porteriez ainsi atteinte à la loi de
nationalisation de la Banque de France.
Je vous demande donc de nous dire quelle est, à ce jour, la position du Gouvernement et si vous n'estimez pas qu'il est
prudent et responsable de répondre à l'attente de tous dans ces départements d'outre-mer, en prévoyant l'intégration de
l'Institut à la Banque de France et le passage de ses agents sous statut de cette banque. L'ensemble du territoire serait
alors régi par une institution monétaire commune et indivisible.
Il est temps, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement fasse connaître clairement ses intentions. En effet, le
ministre de l'économie et des finances ne peut pas écrire, dans une lettre du 27 avril dernier, que « l'évolution de
l'Institut ne doit pas s'engager dans la précipitation » et, dans le même temps, déposer, selon les dernières
informations que nous avons pu avoir sur cette question, un projet de loi d'habilitation qui lui permettrait de légiférer par
ordonnances.
Nous voulons vraiment savoir, ce matin, où en est le Gouvernement
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Madame la sénatrice, l'Institut d'émission des départements
d'outre-mer exerce, dans les départements et les collectivités territoriales d'outre-mer, des missions monétaires. Or,
depuis le 1er janvier 1999, ces missions sont exercées, vous le savez, par le système européen de banques centrales.
Il est donc clair qu'il faut faire évoluer l'IEDOM vers un rapprochement avec la banque centrale.
Cela étant, je vous confirme ce qu'a écrit le ministre de l'économie et des finances le 27 avril dernier : ce rapprochement
ne doit pas être engagé dans la précipitation. Toutefois, précipitation ou non, la France est dans l'obligation de modifier
les statuts et le rôle de l'Institut pour les rendre compatibles avec les tâches qui ont été assignées au système
européen de banques centrales par le traité sur l'Union européenne.
Cette évolution institutionnelle sera précédée d'une concertation avec le personnel de l'IEDOM, concertation qui est
actuellement en cours.
Il est important que les évolutions nécessaires se fassent dans l'intérêt de l'Etat, dans l'intérêt des départements
d'outre-mer, dont vous avez souligné la spécificité, mais aussi dans l'intérêt de l'Institut d'émission et - vous y avez
insisté - dans l'intérêt de son personnel, qu'il soit parisien ou local.
Dans ce contexte, la possibilité de constituer une filiale de la Banque de France est effectivement examinée, car il
apparaît nécessaire de tenir compte des spécificités des économies des départements et collectivités territoriales
d'outre-mer, spécificités auxquelles, vous le savez, les élus ont marqué à de très nombreuses reprises leur
attachement.
C'est pourquoi nous proposons de maintenir la participation de représentants locaux au conseil de la nouvelle structure,
de sauvegarder le statut des personnels - vous m'avez interrogé sur ce point - et d'associer de manière constructive, au
sein de l'Institut, les compétences monétaires et les compétences en matière de développement des agents détachés
par l'Agence française de développement.
Je tiens à dire solennellement que toute privatisation de l'IEDOM est, bien sûr, totalement exclue. La Banque de France
est une institution dont le capital est entièrement détenu par l'Etat, l'émission de la monnaie est de la seule
compétence du système européen de banques centrales et ne saurait être confiée à un autre établissement.
Vous ne devez donc avoir aucune crainte - et les personnels non plus - de voir réapparaître la situation d'avant-guerre,
lorsque l'émission monétaire a été confiée à des banques privées locales, dites coloniales, de 1851 à 1944.
Vous avez mentionné le respect du principe d'égalité républicaine. Je tiens à préciser que le mode d'organisation
proposé par le Gouvernement n'a d'autre objet que de prolonger un fonctionnement qui, depuis la création de l'IEDOM en
1959, a donné entière satisfaction aux populations et aux élus des départements d'outre-mer.
J'insiste, pour conclure cette réponse que j'espère claire, sur le fait que le rapprochement entre l'IEDOM et la Banque
de France sera sans effet sur l'emploi.
Tels sont les éléments que je voulais apporter en réponse à votre question, madame la sénatrice.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous n'avez
toutefois pas levé mes inquiétudes ni celles du personnel.
En effet, une inexactitude subsiste dans les courriers qui m'ont été adressés en réponse à une question écrite que
j'avais posée le 18 mars, ainsi que dans la réponse que vous venez de me faire ce matin.
En effet, il n'y a eu, monsieur le secrétaire d'Etat, ni concertation ni négociation avec les personnels, d'où leur manque
de confiance.
Vous ne contestez pas dans votre réponse qu'un dispositif pour suppléer au taux de réescompte pratiqué dans les
départements d'outre-mer se révélera pourtant nécessaire en cas de filialisation. L'euro sera mis en circulation en 2003,
mais vous n'apportez aucune précision quant au maintien du statut actuel des personnels. Il faut tout de même
reconnaître que l'intégration de l'IEDOM à la Banque de France par relais administratif, financier et statutaire réglerait
les problèmes posés sans aucune difficulté.
Je rappellerai, comme l'avait fait M. Bernard Trichet lorsqu'il était directeur du Trésor, que « les activités de la banque
relèvent pour la plupart du service public et les filialiser risquerait de signifier à terme de les vendre ».
Vous ne levez donc aucune des inquiétudes. Avec votre projet de filialisation, on s'est engagé vers le démantèlement, à
terme, de la Banque centrale et vers une privatisation de son capital. La question de cet institut d'émission n'est pas
une simple question annexe concernant l'outre-mer. Je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il s'agit d'une question
nationale qui est liée à un transfert de souveraineté, à une dérive européenne que nous considérons comme très grave.

- page 2868

Page mise à jour le