Question de M. SÉRUSCLAT Franck (Rhône - SOC) publiée le 24/09/1997

M. Franck Sérusclat interroge M. le secrétaire d'Etat à la santé sur la question de la stérilisation volontaire des sujets sains. Une telle intervention est actuellement impossible à pratiquer en France, une jurisprudence de 1920 condamnant cette pratique comme une mutilation volontaire. Pourtant, il s'agit, pour certaines femmes, du seul moyen de contraception. L'impossibilité découlant de la jurisprudence aboutit alors à des grossesses non désirées et à des interruptions volontaires de grossesse. C'est également le mode de contraception le plus utilisé dans le monde. Le Comité consultatif national d'éthique a indiqué dans un rapport no 50 du 3 avril 1996 que trois solutions sont envisageables, sans montrer de préférence pour l'une d'entre elles : soit interdire toute stérilisation volontaire, soit n'en pratiquer que sur proposition du corps médical, soit enfin, laisser la possibilité à toute personne d'utiliser cette méthode contraceptive après information et temps de réflexion. Il lui demande quelle est sa position sur ce sujet et s'il ne serait pas souhaitable, face à une question à laquelle les réponses de la société apparaissent très divisées, de permettre à chacun de choisir en conscience la solution qui emporte sa faveur.

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Réponse du ministère : Santé publiée le 15/10/1997

Réponse apportée en séance publique le 14/10/1997

M. Franck Sérusclat. Je serai bref, monsieur le président, bien que le sujet soit également d'importance.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, ma question porte sur la possibilité de faire de la stérilisation volontaire sur
des sujets sains une méthode contraceptive.
Je précise tout de suite que, si l'on arrivait à cette solution, il faudrait, bien évidemment, que soit interdit l'usage des
stérilisations sur des sujets handicapés mentaux, comme cela s'est fait, on l'a vu, en Suède mais aussi en France.
Il est des situations dans lesquelles les femmes enceintes n'ont d'autre possibilité de contraception, face à une grossesse
non désirée, et recourent alors à une interruption volontaire de grossesse.
Les deux moyens, on les connaît : la vasectomie chez l'homme, qui est définitive, la ligature des trompes chez la femme,
qui peut, elle, dans un certain nombre de circonstances, être réversible.
En fait, c'est sur les propositions du conseil de l'Ordre, d'une part, et du Comité national d'éthique, d'autre part, que je
souhaite avoir votre avis, monsieur le secrétaire d'Etat.
Le conseil de l'Ordre a demandé la dépénalisation de cette intervention, actuellement soumise au régime de la loi de 1920,
qui prévoit l'interdiction de l'atteinte à l'intégrité de toute personne, hors le cas d'expérimentations avec le consentement
éclairé et libre de l'intéressé. Le conseil de l'Ordre demande donc que cette intervention puisse être utilisée comme un
moyen de contraception et que les actes de contraception soient reconnus comme des actes médicaux.
Quant au Comité national d'éthique, sa position est un peu plus ambiguë. Il émet trois hypothèses, mais ne se prononce
sur aucune : la première, c'est l'acceptation des demandes tout en maintenant l'inviolabilité ; la deuxième, c'est, du fait du
libre exercice des capacités de procréer, la possibilité légitime de supprimer cette capacité ; la troisième, enfin, c'est
l'application stricte de la loi.
Quelle est votre position, monsieur le secrétaire d'Etat, et vous paraît-il raisonnable que l'on puisse accepter que ce soit à
la demande de l'intéressé et non sur confirmation de la valeur de cette demande par les médecins ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le
sénateur, la question est d'importance, elle est sensible, et je vous remercie de l'avoir posée.
Je souligne d'emblée qu'il s'agit d'une question distincte de celle de la stérilisation chez les personnes handicapées
mentales. J'apporte cette précision parce que nous avons récemment été alertés par un rapport, certes partiel, qui
évoquait un nombre très important de stérilisations opérées dans notre pays pour des raisons de handicap mental. Sur
cette affaire, Mme Aubry et moi-même avons demandé une enquête de l'inspection générale des affaires sociales.
Revenons-en à la question posée. Vous pensez, sur la base d'une jurisprudence de 1920, monsieur Sérusclat, que la
pratique de la stérilisation est interdite en France. Nombreux sont ceux qui le pensent.
En réalité, le code civil, dans son article 16-3, tel qu'il résulte de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du
corps humain, n'admet une atteinte à l'intégralité physique qu'en cas de nécessité thérapeutique pour la personne, et à la
condition - vous l'avez souligné - que celle-ci soit consentante.
Or, dans certaines situations, on a recours à la stérilisation à visée thérapeutique lorsqu'elle peut protéger la santé et,
parfois, la vie de la femme.
Je citerai à cet égard, sur la base des bonnes pratiques proposées conjointement par la conseil de l'ordre des médecins,
l'Académie de médecine et diverses institutions professionnelles : des motifs obstétricaux, comme les risques de rupture
utérine et des césariennes itératives, ou encore la prévention des grossesses à haut risque ; des motifs chirurgicaux tels
que, notamment, les grossesses extra-utérines répétées et le traitement d'un cancer ; des motifs médicaux liés à un état
pathologique grave d'ordre cardiaque ou pulmonaire par exemple ; enfin, des motifs contraceptifs pour prévenir des
interruptions volontaires de grossesse, toujours douloureusement vécues.
Ce guide de bonnes pratiques souligne également que ces stérilisations ne peuvent être réalisées que dans un cadre
déontologique précis comportant, en particulier, un consentement de l'intéressé, après information claire, précise et
complète, ainsi que le respect d'un délai de réflexion.
On estime actuellement que plusieurs milliers d'actes de stérilisation sont réalisés chaque année en France.
Ces données rendent sans doute nécessaire aujourd'hui de formaliser davantage les pratiques de stérilisation réalisées
dans ce cadre thérapeutique, terme qu'il faut entendre également dans sa dimension préventive, trop souvent oubliée.
Vous rappelez également, monsieur le sénateur, l'avis d'avril 1996 du Comité consultatif national d'éthique, qui répertoriait
les différentes attitudes possibles en matière de stérilisation : soit l'interdire, soit la réserver aux indications posées par le
corps médical, soit, enfin, la rendre possible à toute personne désireuse d'y recourir, après information et respect d'un
délai minimal de réflexion.
Il me semble - nous n'avons pas légiféré en la matière - que l'on doit considérer cette troisième option avec une extrême
circonspection. En effet, malgré des évolutions techniques récentes, qui permettent dans certains cas de pratiquer une
stérilisation de nature réversible - une autre intervention est donc possible pour rétablir la continuité, mais ce n'est pas
certain, ce qui est toujours très traumatisant - malgré cela, dis-je, il faut souligner que, le plus souvent, la stérilisation reste
un acte dont les conséquences sont définitives.
Aussi paraît-il difficile, aujourd'hui, d'en faire une méthode contraceptive comme les autres. Si j'allais plus loin, je dirais
même que cela me paraît impossible.
A mon sens, la priorité dans le domaine de la maîtrise de la fécondité - ce disant, je réponds sinon complètement du
moins d'une certaine manière à votre question - réside dans le renforcement de l'information et de l'accès aux autres
méthodes contraceptives.
M. Lucien Neuwirth. Tout à fait !
M. Franck Sérusclat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat, Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, des arguments que vous avez développés et qui
justifient votre conclusion, à savoir le refus d'envisager la stérilisation volontaire comme une méthode contraceptive.
Subsiste cependant la remarque du Comité consultatif national d'éthique, qui déduit du libre exercice de la capacité de
procréation la possibilité légitime de limiter, voire de supprimer, cette capacité. Cela relève effectivement de la liberté de
l'individu.
Le Comité consultatif national d'éthique se fonde sur l'évolution de la société, les raisons permettant d'envisager le recours
à cette méthode contraceptive - divorces, mariages, précocité des rapports sexuels, etc. - étant, selon lui, de plus en plus
nombreuses.
La situation est autre que celle qui prévalait en 1920, lorsque les lois ont été votées, et les comportements sont donc
également autres.
Il est quelque peu dommage que l'on considère que, dans certaines situations, une femme n'ait pas légitimement une totale
liberté en ce domaine.
Je suis obligé de me ranger à votre décision. Je vous demande néanmoins d'envisager une réflexion, car, si, parfois, c'est
par commodité que l'on agit ainsi, c'est le plus souvent pour faire face à des situations tragigues, notamment celle où la
femme porte un enfant qui n'est plus désiré par les deux parents alors qu'il l'était au moment de la conception.
J'insiste donc sur cette approche du problème par le Comité national d'éthique, qui prend en compte le fait que l'évolution
de la société génère des comportements différents.

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