Question de M. GRUILLOT Georges (Doubs - RPR) publiée le 02/05/1997

M. Georges Gruillot appelle l'attention de M. le Premier ministre sur les conclusions énoncées dans le dernier rapport du Conseil d'Etat et qui vont dans le sens d'une affirmation de la notion d'une différenciation des droits, affirmation s'appuyant notamment sur le constat que l'apparition de nouvelles inégalités fragilise le principe de l'égalité des droits et implique que ce même principe " supporte quelques accrocs ". Sur le plan strictement social, ce constat apparaît lourd de conséquences puisqu'il admet de manière explicite l'effritement de la cohésion de notre société. Cela étant, cette même notion de différenciation des droits peut présenter un aspect plus favorable dès lors qu'on le considère comme une justification de mesures applicables aux différents secteurs de notre territoire. En effet, ne pourrait-elle être à l'origine d'un droit à l'expérimentation locale autorisant ainsi dans le cadre de la politique d'aménagement et de développement du territoire les collectivités à conduire des actions spécifiques et adaptées aux besoins exprimés localement. Il le remercie de lui livrer l'appréciation et le sentiment qu'il porte à ce sujet.

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Réponse du ministère : Premier ministre publiée le 29/05/1997

Réponse. - Ce n'est pas sans beaucoup de nuances que l'étude du Conseil d'Etat à laquelle se réfère la question se prononce en faveur d'une certaine différenciation des droits. Sans doute l'étude relève-t-elle que la promotion de l'égalité des droits par le législateur et le juge n'a pas suffi à éviter le développement d'inégalités de fait, qui menacent les équilibres de la société française. Elle en déduit qu'il convient de renforcer l'égalité des chances par des actions inspirées par la notion d'équité. En ce sens, des pratiques qui seraient critiquables au nom d'une conception stricte de l'égalité sont légitimes si elles conduisent à améliorer la situation des moins favorisés. Cette politique doit cependant, souligne le Conseil d'Etat, tirer les leçons des pratiques étrangères et éviter les écueils de l'" affirmative action " américaine. Aux Etat-Unis, comme en Europe, les politiques de " discrimination positive " en faveur de groupes défavorisés sont en recul. On prend conscience de leurs effets pervers : stigmatisation des populations aidées, fichage administratif de groupes ethniques, soupçon nourri à l'égard des mérites universitaires ou professionnels des bénéficiaires... Comme le relève à juste titre l'honorable parlementaire, l'expérience française de la différenciation des droits dans le domaine de l'aménagement du territoire paraît plus prometteuse, qu'il s'agisse des zones franches fiscales ou des zones d'éducation prioritaires. Elle mérite d'être poursuivie, voire étendue, à la condition d'apparaître clairement comme une participation à un processus de rattrapage économique, social ou culturel, et non comme la création d'un droit permanent à être assisté, du seul fait de son appartenance à un groupe réputé avoir subi un préjudice " historique ". On peut citer, pour illustrer une conception " compensatrice " ou " correctrice " de l'égalité qui a acquis droit de cité en France et ne prête guère aux controverses, l'adaptation de la fiscalité locale à l'urbanisation moderne ou la répartition des services publics sur le territoire en vue d'aider les populations en difficulté. L'étude du Conseil d'Etat encourage également l'idée d'expérimentation législative. Face à une société de plus en plus complexe, mouvante et parfois rétive aux réformes, il peut être opportun d'expérimenter des solutions sur une échelle géographique ou temporelle restreinte avant de les généraliter. Or le principe même de l'expérimentation implique une dérogation, au moins temporaire, à l'égalité stricte de traitement. Rappelons enfin que les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat relatives au principe d'égalité admettent les différences de traitement justifiées, au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi, par des différences objectives de situation en rapport avec cet objectif.

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