Question de M. BILLARD Claude (Val-de-Marne - CRC) publiée le 26/03/1997

M. Claude Billard attire l'attention de M. le ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications sur les dangers que fait peser sur le service public de production et de distribution de l'électricité la directive européenne du 20 décembre 1996 relative à la déréglementation du secteur électrique. En outre, avant même qu'il ne soit débattu de la transcription de cette directive dans la loi française, on assiste depuis plusieurs semaines à une inquiétante accélération du processus de déréglementation dans le domaine de l'énergie : ainsi se sont enchaînés un accord sur la flexibilité et l'annualisation du temps de travail à EDF-GDF, la mise en chantier d'une directive sur le gaz en février, les contrats d'entreprise entre EDF-GDF et l'Etat en mars. Plusieurs éléments de ces contrats d'entreprise sont révélateurs de cette marche forcée, en particulier celui qui a trait à la restriction du bilan d'EDF. A la lumière de tous ces faits, il lui demande s'il n'estime pas que la loi de nationalisation de l'électricité et du gaz de 1946 est progressivement vidée de son contenu et s'il ne pense pas qu'il conviendrait d'enrayer ce processus.

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Réponse du ministère : Petites et moyennes entreprises publiée le 16/04/1997

Réponse apportée en séance publique le 15/04/1997

M. Claude Billard. Je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur les dangers que fait peser sur le service
public de production et de distribution de l'électricité la directive européenne du 20 décembre 1996 relative à la
déréglementation du secteur électrique.
En outre, avant même qu'il ne soit débattu de la transcription de cette directive dans la loi française, nous assistons depuis quelque temps à une inquiétante accélération du processus de déréglementation : ainsi se sont succédé un accord sur la flexibilité et l'annualisation du temps de travail à EDF-GDF, la mise en chantier d'une directive sur le gaz en février et les contrats d'entreprise entre EDF-GDF et l'Etat en mars.
Plusieurs éléments de ces contrats d'entreprise sont révélateurs de cette marche forcée, en particulier celui qui a trait à la restructuration du bilan d'EDF.
Ces faits illustrent la course de vitesse engagée par le Gouvernement et les directions d'EDF-GDF afin d'imposer la
construction maastrichtienne de l'Europe de l'énergie, qui exige de vider peu à peu la loi de nationalisation de son contenu.
Le contrat d'entreprise d'EDF prévoit en effet, en son titre III, une restructuration du capital sous prétexte de rendre le
bilan comptable d'EDF semblable à celui d'une entreprise privée.
Vous voulez atteindre ainsi un triple objectif : premièrement, doter EDF-GDF d'un capital, étape préalable à toute
ouverture au privé, deuxièmement, légaliser à un niveau jamais atteint les prélèvements de l'Etat sur le service public de l'électricité, enfin, troisièmement, préparer la mise en oeuvre de la directive européenne.
Or cette restructuration met directement en cause la loi de nationalisation.
Aujourd'hui, en effet, cette loi fait d'EDF le concessionnaire du réseau de transport qui, en plus des amortissements
légaux, doit provisionner pour la remise en état de ses installations en fin de concession.
Or il est prévu, pour transformer ces provisions en capital et en réserves, de transférer la propriété de ce réseau à EDF.
Mais celui-ci appartient à la nation et à elle seule. Aujourd'hui, EDF a des comptes à rendre ; demain, EDF, propriétaire, obéira à la logique d'entreprise.
Ce transfert de propriété est donc inacceptable. Non seulement cette spoliation d'un bien collectif remet en cause la loi de nationalisation, mais, en outre, elle constitue un élément avancé de la déréglementation puisque EDF a déjà décidé de filialiser ce réseau pour permettre à des producteurs privés de l'utiliser.
A la lumière de ces faits, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que la loi de nationalisation de l'électricité et du gaz de 1946 est proprement vidée de son contenu et qu'il conviendrait d'enrayer ce processus ? Ne pensez-vous pas que notre service public de production et de distribution d'électricité est ainsi gravement menacé et qu'il faudrait, sur une question aussi importante pour l'avenir du pays, engager un vaste débat national ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Monsieur le
sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser M. Franck Borotra, qui était dans l'impossibilité de venir devant la Haute Assemblée ce matin.
Le Gouvernement, monsieur Billard, ne peut partager votre point de vue.
Les services publics de réseaux du secteur énergétique contribuent sans conteste à l'efficacité de l'économie nationale et, plus encore, ils assurent les solidarités indispensables à la cohésion sociale en satisfaisant les besoins des membres de la collectivité selon le principe fondamental d'égalité.
Il n'est évidemment pas dans les intentions du Gouvernement de remettre en cause la pérennité des principes
fondamentaux du service public, qui ont fait la preuve de leur efficacité en termes de satisfaction des besoins des usagers et de l'économie dans son ensemble.
S'agissant de la récente directive sur l'électricité adoptée par le conseil des ministres européens, ses principes vont
permettre de conserver une programmation à long terme des investissements, placée sous le contrôle de la puissance publique, qui offre la garantie du maintien à la fois de la maîtrise de l'indépendance énergétique de la France et du traitement de l'ensemble des questions économiques et techniques concernant le secteur de l'électricité.
Cette directive permet également de préserver en l'état l'organisation de la distribution puisque EDF et les régies
conserveront la responsabilité du service des 29 millions de consommateurs domestiques dans les mêmes conditions
d'égalité de traitement tarifaire.
L'adoption de cette directive va donc entraîner une ouverture limitée et maîtrisée du marché, qui ne remet nullement en cause le système électrique français. Bien au contraire, le Gouvernement a fait très largement prévaloir ses vues à l'occasion des différentes négociations.
L'ensemble des initiatives prises dans le prolongement de ce texte, que ce soit le contrat d'entreprise d'EDF ou la
restructuration de son bilan, n'ont pour objet que de permettre à EDF de continuer à assurer sa mission de service public en France et à jouer un rôle de premier plan en Europe dans le nouveau cadre institutionnel ainsi créé.
Les négociations sur la directive relative au marché gazier sont engagées dans le même esprit.
A l'occasion du conseil des ministres européens du 3 décembre 1996, un consensus s'est dégagé pour reconnaître aux Etats membres qui le souhaitent la possibilité d'imposer des obligations de service public dans l'intérêt économique général. Il a, en outre, été précisé que les travaux seront poursuivis avec l'objectif de prendre en considération le principe de subsidiarité et l'importance stratégique de la sécurité d'approvisionnement. Par conséquent, nous sommes à l'opposé d'une dérégulation.
C'est sur ces bases, conformes à sa vision du marché gazier, que la France entend défendre son point de vue et ses
intérêts dans la suite des négociations.
L'accord social signé le 31 janvier 1997 entre les directions d'EDF et de GDF et trois organisations syndicales a, quant à lui, un double objectif.
C'est, d'abord, le développement et la compétitivité des entreprises au service des clients, ainsi que l'amélioration des
conditions d'exercice des activités de service public.
C'est, ensuite, la création d'emplois, principalement au profit des jeunes. Il s'agit de parvenir à l'embauche de 11 000 à 15 000 jeunes pendant la période de trois ans couverte par l'accord. Ce résultat doit être atteint au travers d'accords locaux, signés au sein des unités d'EDF et de GDF. Cet effort d'embauche est dans la logique de la mobilisation gouvernementale pour l'emploi des jeunes.
Comme vous le constatez, monsieur le sénateur, l'ensemble de ces éléments contribuent à la modernisation du service public, donc à son renforcement, et non pas à son affaiblissement.
En tout état de cause, lorsque le Gouvernement transposera en droit français la directive européenne relative au marché intérieur de l'électricité, il veillera à garantir les principes que je viens d'évoquer.
M. Claude Billard. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, mais je dois dire que vous n'avez pas levé mes craintes.
Vous avez rappelé l'un des objectifs de la directive du 20 décembre 1996 : l'ouverture du marché français de l'électricité à concurrence de 30 %. Mais il y a d'autres aspects.
En réalité, en séparant la gestion du réseau et l'exploitation, vous remettez en cause une situation tout à fait satisfaisante, car l'entreprise EDF répond aujourd'hui effectivement aux besoins des usagers en général. Vous voulez, de fait, insérer EDF dans une logique de concurrence. Faire d'EDF non plus le concessionnaire mais le propriétaire du réseau, c'est ouvrir la porte au privé.
C'est essentiellement sur ce point que je souhaitais attirer l'attention du ministre concerné. Si de tels projets devaient voir le jour, c'est la notion même de service public en matière d'électricité qui serait remise en cause.

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