Question de M. HUGOT Jean-Paul (Maine-et-Loire - RPR) publiée le 19/03/1997

M. Jean-Paul Hugot rappelle à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, que la signalétique pour la protection de l'enfance et de l'adolescence à la télévision est un premier pas attendu depuis longtemps en direction d'un meilleur contrôle des émissions de télévision de nature à porter atteinte gravement à la sensibilité des plus jeunes et des adolescents. Cette politique de prévention engagée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et appliquée par TF1, France 2, France 3 et M6, a le grand mérite de mettre en garde le spectateur contre les émissions de type violent ou pornographique par un effort de responsabilisation à la réception. Ces mesures vont dans le bon sens mais ne sont pas suffisantes. Dans le cadre du prochain projet de loi relatif à la prévention et à la sanction contre les abus sexuels à l'égard des jeunes enfants et des adolescents, il souhaite savoir quelle politique le Gouvernement entend mener pour remédier à ces travers, desquels résultent un encouragement ou une incitation aux comportements déviants et dangereux dont la presse se fait de plus en plus l'écho.

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Réponse du ministère : Emploi publiée le 16/04/1997

Réponse apportée en séance publique le 15/04/1997

M. Jean-Paul Hugot. Madame le ministre, ma question concerne la prévention à l'égard des atteintes à l'intégrité de la
jeunesse.
En France, 65 000 nouveaux cas d'enfants en danger ont été recensés en 1995, contre 58 000 l'année précédente ; 20
000 enfants ont été maltraités en 1995, contre 17 000 en 1994.
Nous constatons donc une détestable évolution, d'autant que sur ces 20 000 cas on dénombre 5 500 cas de violence
avec sévices sexuels, en augmentation de plus de 20 % par rapport à l'année précédente. En ce qui concerne les
violences psychologiques et physiques, la progression est du même ordre. Je rappelle que, le mois dernier, un vaste
réseau de pédophilie a été découvert. Celui-ci concerne les trois quarts de nos départements, et plusieurs milliers de
cassettes vidéo de films classés X ont été saisies. Il existe donc - nous en sommes désormais convaincus - un lien très
étroit entre prostitution adulte ou enfantine, pédophilie, proxénétisme et pornographie.
Ces pratiques détestables utilisent des supports qui sont à la portée de tous, notamment des plus jeunes. En France, par
l'intermédiaire des « messageries roses », des enfants sont violés, moyennant rémunération. C'est pourquoi de nombreuses
associations se sont constituées partie civile dans le cadre de poursuites engagées contre certaines annonces Minitel
comme celles-ci : « Jeune fille de treize ans à offrir pour initiation » ou « Mes enfants de treize et onze ans intéressés pour
prochaine réunion », annonces que je me fais obligation d'évoquer.
S'agissant du réseau Internet, la fréquentation moyenne d'un site est de 1 500 personnes par jour. Or, pour un site classé
X, elle est de l'ordre de 1,5 à 1,7 million de personnes. On voit l'ampleur du risque.
Il s'agit donc de savoir vers quelles mesures de prévention nous nous acheminons, et, je l'espère, rapidement. En effet,
nous semblons assister à une sorte de normalisation de la dépravation. La seule disposition notable prise en matière de
prévention est la signalétique imposée par le CSA, le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Il s'agit certes d'un premier pas,
mais cela est loin d'être suffisant.
Nous comprenons bien que le Gouvernement ait jugé bon de s'engager avec fermeté contre toute forme de violence et de
mauvais traitement infligés aux enfants, en faisant de l'enfance maltraitée la grande cause nationale de 1997.
Madame le ministre, toute la responsabilité ne saurait être rejetée sur les nouveaux moyens de communication.
Cependant, ils servent de support, encouragent ou facilitent ces violences. Parmi ces nouveaux moyens de communication
figurent le réseau Internet et le Minitel.
En réalité, presque tous les agresseurs sont atteints de troubles graves de la personnalité. Ces publicités ou ces
messageries ne sont donc pas à l'origine de leurs troubles. Cependant, comme on peut le lire dans les rapports, cette
débauche d'articles et d'images constitue une source d'aggravation des dérèglements de la personnalité et de
déclenchement de pulsions perverses. Voilà pourquoi je poserai deux questions.
La première concerne le contrôle des services audiovisuels en ligne multimédia qui utilisent les réseaux filaires et qui
touchent notamment Internet et le Minitel. La loi Fillon avait abordé cette question et, au lieu d'emprunter la voie d'un
contrôle institutionnel et réglementaire, elle a préconisé une démarche volontaire devant aboutir à une charte de
déontologie et invitant, au fond, à l'autorégulation.
La question est de savoir si cela suffit. Ne pourrions-nous pas imaginer une sorte de contrôle qui concernerait non
seulement le transporteur des données ou le fournisseur d'accès, mais aussi l'éditeur de services ou même le serveur ? Ne
faut-il pas imaginer un véritable contrôle des contenus, avec une dimension institutionnelle et réglementaire ?
La seconde question concerne l'existence d'une commission dont la mission pourrait aujourd'hui présenter un caractère
d'actualité particulier et qui a été mise en place par la loi de 1949 relative aux publications destinées à la jeunesse. Cette
loi préconise que cette commission signale aux autorités toute infraction et tout agissement de nature à nuire, par voie de
presse, à l'enfance ou à l'adolescence. Il me semble que la notion de publication recouvre aujourd'hui non plus uniquement
la presse, et encore moins la seule presse destinée à l'enfance, mais tout message, toute information accessible à l'enfance
et lui faisant courir des risques particuliers.
Quel est donc le fonctionnement actuel de cette commission ? S'est-elle récemment réunie ? Quels sont les membres qui
la composent ? Peut-on compter sur elle, ou doit-elle être renouvelée, pour apporter des réponses à l'inquiétude qui
étreint la population française ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi. Monsieur le sénateur, vous abordez un sujet tout à fait
important, sur lequel, comme vous le savez, le Gouvernement s'est mobilisé. M. le Premier ministre lui-même, vous le
rappeliez tout à l'heure, a souhaité que l'année 1997 soit consacrée aux problèmes auxquels les enfants sont aujourd'hui
confrontés. Il faut donc que 1997 soit l'année de l'enfant.
Mon collègue M. Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, souhaite réaffirmer par ma voix que la protection de
nos enfants dans les moyens modernes d'information et de communication fait bien partie de nos préoccupations
constantes.
Il n'est peut-être pas inutile, dans ce domaine-là, de rappeler rapidement dans quel contexte nous nous situons.
Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en effet, la loi du 16 juillet 1949 a institué une surveillance de la presse
destinée à la jeunesse. Cette surveillance a été confiée à une commission paritaire qui donne un avis au ministère de
l'intérieur sur les mesures d'interdiction susceptibles d'être prises.
Selon le cas, vous le savez, il peut s'agir non seulement d'un arrêté d'interdiction de proposer, donner ou vendre à des
mineurs de moins de dix-huit ans des publications considérées comme dangereuses pour la jeunesse, mais également
d'une interdiction d'exposition à la vue du public ainsi que de toute publicité en leur faveur.
Quant aux films cinématographiques, ils sont soumis aux dispositions de l'ordonnance du 3 juillet 1945, qui subordonne la
représentation et l'exportation des films à un visa d'exploitation délivré par la Commission nationale du cinéma.
Plus récemment, le constat que la violence à la télévision était unanimement décriée a conduit à la mise en place d'un
dispositif dit de classification et de programmation des émissions depuis le 18 novembre 1996 sur les chaînes nationales
hertziennes. Vous y faisiez référence tout à l'heure.
C'est ainsi que TF 1, France 2, France 3 et M 6 se sont dotées de comités de visionnage dont la mission est de classer
les films, téléfilms, séries, bandes dessinées et documentaires en fonction du degré de violence constaté puis d'attribuer le
pictogramme approprié ainsi que le créneau de diffusion adéquat.
Dans ce dispositif, les films pornographiques ou comportant des scènes d'extrême violence, susceptibles de nuire
gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, sont exclus de toute diffusion.
A terme, il est envisagé de faire adopter ce régime de classification et de programmation par l'ensemble des chaînes de
télévision, y compris celles qui disposent actuellement de pictogrammes propres comme Canal Plus.
Monsieur le sénateur, nous vous l'accordons volontiers, la protection de la jeunesse demeure - des faits encore récents le
démontrent - lacunaire, certains produits n'étant pas concernés. Ainsi, les produits vidéo, tels les vidéocassettes, les jeux
électroniques ou encore les vidéodisques, continuent à ce jour, malheureusement, à échapper à toute réglementation,
situation qui doit, évidemment, être remise en cause.
C'est pourquoi, pour répondre aux légitimes inquiétudes des parents, des familles, mais aussi, bien sûr, de toutes les
personnes qui oeuvrent en direction de la protection des mineurs, l'avant-projet de loi renforçant la prévention et la
répression des atteintes sexuelles commises sur les mineurs et des infractions portant atteinte à la dignité de la personne
prévoit une surveillance de ces produits vidéo, qui sera organisée à l'image de la surveillance de la presse pour enfants
dont j'ai parlé tout à l'heure.
L'examen de ces produits sera en effet soumis à une commission administrative chargée de donner des avis au ministre de
l'intérieur sur les mesures d'interdiction à prendre.
Enfin, je réponds à la seconde partie de votre question, monsieur le sénateur : par arrêté motivé, le ministre pourra
interdire de proposer, donner, louer ou vendre à des mineurs tout produit vidéo présentant un danger pour la jeunesse en
raison de son caractère pornographique ou de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination et à la haine
raciales, à l'incitation, à l'usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants, tous éléments qui concourent, bien évidemment,
au même type de situation.
La mesure prise pourra également emporter interdiction de toute publicité en direction du produit concerné.
Ainsi que vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, la protection de la jeunesse dans les moyens modernes
d'information et de communication n'est nullement assimilable au non-droit, bien au contraire ! Et encore n'ai-je pas le
temps d'évoquer ici, en cet instant, l'ensemble des sanctions pénales qui accompagnent ces dispositifs de protection.
Il est bien clair que notre vigilance doit également s'exercer sur les services en ligne que vous avez évoqués tout à l'heure.
Telle est bien la préoccupation du Gouvernement. Vous avez rappelé la démarche de M. Fillon, mais sachez que, bien
entendu, c'est une préoccupation qui est importante compte tenu du développement normal que devraient avoir ces
services en ligne.
Je conclurai en disant que le Gouvernement s'est montré diligent dans ce domaine qui, bien évidemment, nous sensibilise
tous, à savoir la protection judiciaire de nos enfants, y compris sur des canaux qui, aujourd'hui, sont peut-être mal
contrôlés. Le véritable enjeu est bien la protection judiciaire de nos enfants sur les routes et les autoroutes de
l'information. A nous de nous montrer vigilants et imaginatifs, à nous de poursuivre le travail législatif qui s'impose dans ce
domaine. C'est ainsi que nous assurerons la sécurité de nos enfants !
M. le président. Nous vous remercions, madame le ministre, de cette réponse très documentée...
M. Jean-Paul Hugot. Je demande la parole.
M. le président. Avant de vous donner la parole, monsieur Hugot, qu'il me doit simplement permis de rappeler que
dix-huit questions orales sans débat sont inscrites à l'ordre du jour de ce matin et que le règlement du Sénat prévoit que
chaque intervenant dispose de trois minutes pour poser sa question et de deux minutes pour répondre au Gouvernement.
La parole est à M. Hugot.
M. Jean-Paul Hugot. Madame le ministre, je vous remercie d'avoir répondu de façon aussi précise à ma question.
Je partage votre sentiment sur ce que vous appelez une « approche réglementaire et institutionnelle » par rapport aux
risques. Les chartes ou l'autoréglementation ne suffisent pas, la protection qu'elles permettent étant trop hypothétique.
Ainsi, malgré le contrôle du CSA par les sigles, les responsables des chaînes diffusent des bandes annonces qui, bien
qu'elles puissent être vues par tous les publics et sans limitation, contiennent des scènes scabreuses pour attirer les
spectateurs.
L'esprit de la protection est détourné, et il faut donc aller jusqu'à la réglementation, et pourquoi pas jusqu'à la sanction.
J'attends donc un renforcement de notre arsenal réglementaire à ce sujet.

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