Question de M. BRAYE Dominique (Yvelines - RPR) publiée le 26/02/1997

M. Dominique Braye attire l'attention de M. le ministre de la culture sur la situation catastrophique que connaît le château de Rosny-sur-Seine dans les Yvelines. Dans la nuit du 23 au 24 janvier dernier, une partie très importante de ce château était entièrement détruite par un incendie, dont la police judiciaire a établi l'origine criminelle. Depuis 1985, ce château, dont la valeur historique est unanimement reconnue, a été sciemment dépouillé de ses richesses patrimoniales et artistiques et laissé à l'abandon par ses propriétaires japonais et cela au mépris de tous les engagements qu'ils avaient contractés et de toutes les lois de notre République. Le dernier espoir pour ce château est de trouver de nouveaux propriétaires, désireux de le restaurer. L'imbroglio qui s'est créé autour de sa situation juridique est tel qu'il décourage d'éventuels acquéreurs, et doit donc être dénoué au plus vite. Par conséquent, il demande ce que le ministère de la culture, déjà sollicité à plusieurs reprises par ses soins - sans résultat concret à ce jour -, compte faire pour permettre la sauvegarde du château.

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Réponse du ministère : Recherche publiée le 12/03/1997

Réponse apportée en séance publique le 11/03/1997

M. Dominique Braye. Ma question s'adresse à M. le ministre de la culture.
Dans la nuit du 23 au 24 janvier dernier, une partie très importante du château de Rosny-sur-Seine, dans les Yvelines, a
été entièrement détruite par un incendie dont la police judiciaire a établi l'origine criminelle. Classé depuis 1941, ce
château n'était malheureusement pas assuré.
Cela constitue la dernière étape d'un triste processus de dégradation et d'abandon subi depuis douze ans par un château
qui fut la demeure de Sully et de la duchesse de Berry et qui est toujours aujourd'hui la propriété d'une société japonaise,
la Nippon Sangyo, qui possède sept autres châteaux en France. Cette société a acheté ces châteaux à des conditions
préférentielles, avec la bénédiction des autorités de la protection du patrimoine, parce qu'elle s'engageait à assurer des
restaurations et à les ouvrir à la visite. Rien de tout cela n'a jamais été fait.
Ces châteaux, qui tous contenaient un mobilier somptueux, ont été sciemment dépouillés au mépris de toutes les lois de
notre République. Depuis 1985, témoin de ce dépouillement prémédité, la mairie de Rosny-sur-Seine a tout mis en
oeuvre pour obtenir, d'une part, le classement du mobilier, et, d'autre part, celui du domaine en zone naturelle sensible.
La bataille a été gagnée, mais cela n'a pas empêché que ce mobilier classé, donc théoriquement protégé, en particulier le
fameux salon jaune de la duchesse de Berry et d'inestimables tapisseries, soit vendu à Drouot et dispersé, en dépit des
dispositions prévues pour ce type de patrimoine.
En 1994, la municipalité et la population de Rosny-sur-Seine s'étaient battues avec succès pour obtenir une préemption
d'Etat pour deux tapisseries qui sont actuellement exposées à l'hospice Saint-Charles de la ville. Cela prouve bien qu'avec
une mobilisation de tous il est possible d'obtenir des résultats concrets.
Le ministère de la culture a chaque fois été prévenu de ces manoeuvres frauduleuses, tant par la mairie de
Rosny-sur-Seine que par les élus du Mantois et les services de la préfecture des Yvelines. Rien n'a jamais été entrepris
sérieusement en haut lieu pour mettre fin aux agissements de ces escrocs, sinon l'abandon des créances que
l'administration fiscale avait auprès d'eux.
Les responsables de cette mise à sac sont connus : il s'agit de Mme Nakahara, fille du P-DG de la Nippon Sangyo et sa
représentante en Europe qui a été mise en examen en janvier 1996 pour abus de confiance, faux et usage de faux. Il a été
mis fin à sa détention préventive fin décembre dernier - un mois avant l'incendie - à la suite du paiement d'une caution de 4
millions de francs. Son mari et associé, M. Perez-Vanneste, alias M. Renoir, est en fuite et fait actuellement l'objet d'un
mandat d'arrêt international pour la même affaire.
Les différents acquéreurs potentiels qui se sont succédé depuis cinq ans se sont découragés devant cet imbroglio
juridique, alors même qu'ils apportaient une solution pour la survie de ce magnifique château. Depuis l'incendie, il s'en
trouve pourtant encore à vouloir le sauver.
Je tiens aujourd'hui à vous faire part, monsieur le secrétaire d'Etat, du ressentiment et de la colère de la population de la
région de Mantes et de ses élus, face à l'apparente inertie du ministère de la culture. Nous attendons aujourd'hui une
action concrète et rapide pour que soit mis fin à cette situation rocambolesque qui n'a que trop duré et pouvoir sauver ce
qui reste de ce château soumis maintenant aux méfaits des intempéries puisque la moitié de la toiture a été détruite dans
l'incendie du 24 janvier dernier.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous le savons tous, dans quelques mois il sera définitivement trop tard et ce château sera
irrémédiablement perdu. Que comptez-vous faire pour restaurer les droits de la France sur cet élément de son patrimoine,
qui fut la propriété d'un homme d'Etat, symbole d'une France forte ? Que comptez-vous faire pour redonner vie à ce
château édifié par Sully en personne, sur le lieu de sa naissance ?
Quand la France, sous Henri IV, eut besoin de renflouer ses caisses, Sully fit couper la forêt de Rosny-sur-Seine au profit
de l'Etat. Ne croyez-vous pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous avez aujourd'hui l'occasion de vous acquitter de
cette dette morale envers la commune de Rosny-sur-Seine ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François d'Aubert, secrétaire d'Etat à la recherche. Je partage, monsieur le sénateur, votre émotion légitime quant
à l'avenir du magnifique château de Rosny-sur-Seine, construit pour Maximilien de Béthune, duc de Sully, ministre de
Henri IV, transformé au xixe siècle par le duc de Berry, qui vint y habiter en 1818.
Déjà pillé par ses propriétaires, ce magnifique monument vient en effet de subir un nouveau et terrible coup du sort,
puisqu'il a été très gravement endommagé par un incendie le 24 janvier dernier.
Je souscris également, monsieur le sénateur, à votre conclusion : il est indispensable que ce château, de même que les huit
autres châteaux acquis pour le compte de la société japonaise Nippon Sangyoo et d'autres sociétés qui lui sont liées,
puisse être acquis par de nouveaux propriétaires dignes et capables d'en supporter la charge.
Pour autant, la vente du château de Rosny-sur-Seine, comme celle des autres propriétés qui sont dans une situation
similaire, est aujourd'hui rendue très difficile par un véritable imbroglio judiciaire, que vous avez décrit, monsieur le
sénateur.
En effet, la propriété des huit châteaux a été transférée, en juillet 1995, à une société en nom collectif, ultérieurement
transformée en société anonyme, dénommée « Châteaux Holdings ».
Des actions pénales et civiles ont été intentées car il semble que ce transfert de propriété aurait été opéré au préjudice de
la société Nippon Sangyoo à l'aide d'un mandat irrégulier.
Si ces faits étaient prouvés, il est probable que les juridictions civiles prononceraient la nullité de ce transfert de propriété.
La société Nippon Sangyoo recouvrerait alors la propriété des immeubles. Mais le tribunal de grande instance de
Versailles, saisi de ce dossier, a prononcé un sursis à statuer dans l'attente de l'achèvement des procédures pénales en
cours.
Dès lors, dans l'attente de la décision du juge pénal et de celle, qui lui sera consécutive, du juge civil, la société Châteaux
Holdings est le propriétaire apparent des châteaux.
Or cette société ne peut pas vendre ces immeubles pour deux raisons : d'une part, parce qu'elle est sous administration
provisoire, et qu'il est de principe qu'un administrateur provisoire ne peut accomplir d'actes de disposition, sauf habilitation
par les associés ou décision de justice ; d'autre part, et surtout, parce qu'une telle vente serait extrêmement fragile, car elle
risquerait d'être remise en cause par les décisions de justice qui doivent intervenir sur la question de la propriété réelle des
châteaux.
C'est la raison pour laquelle l'administrateur judiciaire de la société Châteaux Holdings ne peut envisager aucune vente
sans l'accord de la société Nippon Sangyoo.
Pour l'instant, aucun accord n'a pu être trouvé pour procéder à la vente de ces propriétés, sauf pour l'une d'entre elles, le
domaine de La Grise, en Maine-et-Loire, qui a été vendu le 30 octobre 1996.
L'Etat ne dispose pas des moyens juridiques d'intervenir dans cette question de propriété qui relève exclusivement du
droit privé et des rapports entre deux sociétés privées. L'expropriation des châteaux pour cause d'utilité publique ne peut
être envisagée dès lors que ce serait uniquement pour les céder à d'autres propriétaires privés : il s'agirait d'un
détournement de procédure caractérisé.
Dans le cas de Rosny-sur-Seine, selon les informations les plus récentes, un accord ne serait pas impossible entre les
deux sociétés intéressées en vue d'une vente. Le ministre de la culture fera naturellement tout ce qui est en son pouvoir
pour favoriser cet accord, à condition, bien sûr, que la vente soit conclue au profit d'un acheteur sérieux.
Par ailleurs, compte tenu de la nécessité impérieuse de réparer les principaux dégâts causés par le récent incendie, M. le
ministre de la culture a donné instruction à ses services d'engager immédiatement la procédure d'exécution d'office des
travaux urgents de conservation prévue par la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques.
La mise en oeuvre de cette procédure exceptionnelle permettra la mise hors d'eau du château et évitera - ce qui est déjà
important - que sa dégradation ne se poursuive.
M. Dominique Braye. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Si je me suis permis d'attirer l'attention sur le château de Rosny, alors que, dans mon
département, existe un deuxième château, celui de Louveciennes, qui appartient à la même société, c'est que, à la suite de
l'incendie du 24 janvier dernier, l'eau pénètre dans le château et que, si des travaux ne sont pas entrepris de toute urgence,
il sera irrémédiablement perdu.
J'ai pris bonne note de ce que M. le ministre de la culture avait donné les instruction nécessaires pour que ces travaux
d'urgence soient effectués le plus rapidement possible.
J'espère que, dans un proche avenir, nous pourrons assister à l'ouverture des travaux de conservation de la toiture, qui
permettront d'attendre plus sereinement la solution du problème juridique.

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