Question de M. RENAR Ivan (Nord - CRC) publiée le 13/12/1996

La presse écrite est en proie à de très importantes difficultés. Nombre d'observateurs parlent à juste titre de 1997 comme de l'année de tous les dangers. Les timides avancées budgétaires votées par le Sénat sont loin de remédier à cette situation. Plus que d'autres, les titres bénéficiant de faibles ressources publicitaires pâtissent de la baisse des aides d'Etat. L'état actuel des négociations presse-poste fait peser les plus grandes menaces sur le système d'aide au lecture, clé de voûte de la liberté de la presse. En conséquence, M. Ivan Renar demande au M. le ministre de la culture de bien vouloir lui indiquer les mesures qu'il compte prendre pour garantir le maintien de la pluralité des titres de la presse écrite.

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Réponse du ministère : Recherche publiée le 15/01/1997

Réponse apportée en séance publique le 14/01/1997

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après plusieurs mois de
négociations relatives à l'aide au transport de la presse, un protocole a été signé entre le Gouvernement et la plupart des
organisations professionnelles, qui fixe une nouvelle grille de tarification postale. On ne peut qu'éprouver de l'inquiétude
sur les conséquences de la situation ainsi créée : inquiétude face aux conséquences économiques des modifications
envisagées ; inquiétude aussi face à une modification de la conception même de la presse par l'Etat, considérée
aujourd'hui plus comme un produit que comme un élément démocratique d'information et de formation du citoyen.
C'est cette dernière conception qui avait prévalu dès la Révolution française pour l'instauration de tarifs postaux
préférentiels. La loi du 4 thermidor an IV considérait qu'il convenait « de faciliter la circulation des ouvrages périodiques
pour encourager la libre communication des pensées entre les citoyens de la République ».
Un des critères essentiels qui a toujours prévalu pour la tarification reposait sur le poids des publications, donc sur la part
de publicité. Plus une publication était lourde, plus elle était censée comporter de publicité.
Ainsi existait un système de solidarité entre les titres, les plus riches aidant les plus pauvres.
Tout cela est donc remis en cause par le désengagement de l'Etat, et l'abandon par La Poste de ses missions de service
public.
Si tous les titres seront touchés par des hausses globales de 50 %, certains le seront plus que d'autres. Je pense à la
presse hebdomadaire, à la presse professionnelle spécialisée, dont l'essentiel des ventes se fait par abonnement.
Ces titres ne sont, pour ainsi dire, pas en kiosque, car ils ne peuvent payer le « droit d'entrée » !
Je pense également à la presse d'opinion, qui souffre déjà d'un manque important de recettes publicitaires.
Les écrêtements divers n'y changent rien. Ce sont de nouvelles augmentations inacceptables dans ce contexte d'austérité
et la remise en cause d'une aide au lecteur.
Une idée majeure était jusqu'à présent le fondement de ce qui constitue, en fait, une aide aux lecteurs : c'est l'affirmation
que « la presse n'est pas une marchandise comme les autres », et singulièrement la presse d'information politique et
générale, élément de pluralisme et de citoyenneté. Le service public de La Poste, la SNCF, ainsi que l'Etat directement se
considéraient tenus de contribuer à ce que chaque lecteur le souhaitant puisse recevoir dans les meilleurs délais et au
même tarif, quel que soit son lieu d'habitation, le journal de son choix.
Aujourd'hui, ces notions mêmes sont remises en cause au nom de ce que le protocole nomme pudiquement « la neutralité
économique », pour ne pas dire la loi de l'argent.
Quelles mesures comptez-vous prendre, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que notre pays conserve une presse pluraliste
et que soit garanti le libre accès de chaque citoyen au journal de son choix ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François d'Aubert, secrétaire d'Etat à la recherche. Monsieur Renar, je tiens tout d'abord à vous dire combien
M. le ministre de la culture est attentif à la situation économique difficile que connaît aujourd'hui la presse : 1996 aura
effectivement été une année délicate pour nombre d'entreprises de presse.
Il faut toutefois reconnaître que, selon les « familles » de presse, les situations ne sont pas tout à fait homogènes. Ainsi, la
presse magazine a, dans son ensemble, vu ses ressources publicitaires augmenter : ces dernières connaissent même un
taux de progression supérieur à celui des chaînes de télévision, ce qui est réconfortant.
En revanche, la situation de la presse d'information - c'est, je pense, surtout celle-là qui vous intéresse, monsieur le
sénateur - notamment celle de la presse quotidienne, est demeurée difficile, avec une diffusion et des ressources
publicitaires stables ou en très faible progression.
Il n'y a donc pas à proprement parler de « crise de la presse ». Il s'agit plutôt d'une situation difficile pour la presse
quotidienne, plus spécialement la presse d'information.
Dans ce contexte, les entreprises de presse ont été d'autant plus sensibles aux réformes qui ont eu lieu en 1996 et qui
s'appliquent cette année. Je pense, en particulier, au grand chantier des rapports entre la presse et La Poste. Sur ce
dossier « presse-Poste », le ministre a, au cours de l'année passée, constamment défendu le principe du ciblage de l'aide
postale, qui s'élève - faut-il le rappeler ? - à près de 4,5 milliards de francs. Il s'agit de cibler, au bon sens du terme, la
presse d'information générale et politique, afin de limiter la progression des tarifs postaux pour cette forme de presse, qui
est essentielle par son apport au débat démocratique et qui est également la plus fragile en termes économiques.
Ces accords prévoient également le maintien d'un traitement spécifique et plus avantageux pour les quotidiens à faibles
ressources publicitaires.
Pour l'année 1997, et dans le cadre du débat budgétaire de la fin de l'année dernière, M. le ministre de la culture a obtenu
et fait adopter par le Parlement deux mesures qui semblent essentielles pour garantir l'avenir de la presse.
Tout d'abord, un abondement de 30 millions de francs des aides budgétaires directes à la presse permet de maintenir en
1997 les aides au niveau effectif de 1996.
Je rappellerai que la subvention de l'Etat aux quotidiens à faibles ressources publicitaires a augmenté de 25 % en 1996 et
qu'elle sera maintenue à ce niveau de 15,7 millions de francs en 1997.
Par ailleurs - c'est la seconde mesure - le dispositif d'aide à l'investissement pour les entreprises de presse prévu à l'article
39 du code général des impôts est reconduit ; l'aide à l'investissement sera d'ailleurs élargie, à partir de 1997, aux
investissements dans le multimédia et le portage des journaux.
M. le ministre de la culture est très heureux de vous annoncer la mise en place effective du fonds Presse et Multimédia.
Conformément aux engagements qu'il avait pris lors de la discussion du projet de budget de la communication pour 1997,
ce fonds d'aide à l'investissement de la presse dans le multimédia a été doté de 20 millions de francs, et il est opérationnel
à compter d'aujourd'hui.
Le maintien en 1997 de l''effort de l'Etat en faveur de la presse à son niveau de 1996 ne doit pas pour autant nous
interdire de réfléchir à une évolution des dispositifs d'aide existants, afin de mieux les adapter aux besoins des entreprises
de presse, lesquelles vont connaître dès cette année le bouleversement du multimédia.
C'est la raison pour laquelle le ministre de la culture rencontrera, dans les prochains jours, les différents représentants de
la presse pour envisager avec eux les adaptations qui pourraient être apportées aux dispositifs existants d'aide à la presse.
M. Ivan Renar. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne peux me déclarer ni satisfait ni rassuré par votre réponse. L'année
1997 va donc être, pour la presse, l'année de tous les dangers. Je ne peux m'empêcher de reprendre cette formule du
président du syndicat de la presse quotidienne régionale, qui se demandait, voilà quelque temps, s'il n'y avait pas, de la
part de l'Etat, « une véritable intention de nuire ».
L'aide postale préférentielle est considérée à juste titre comme une aide au lecteur. C'est un principe fondamental de la
démocratie, ainsi que je l'ai rappelé tout à l'heure. C'est cela qui est remis en cause. Les négociations qui se sont tenues
ont été des négociations de type client-fournisseurs. Or les journaux ne sont pas des marchandises comme les autres.
Mais je n'oublie pas les conséquences économiques : la presse écrite, notamment la presse d'opinion, est au bord de
l'asphyxie.
En 1995, c'était l'envolée du prix du papier : plus 50 %.
En 1996, malgré les promesses, les augmentations des fonds d'aide aux journaux à faible capacité publicitaire n'ont pas
été versées intégralement.
En 1997, c'est un budget en régression que ne compenseront pas les hausses votées par le Sénat. C'est encore la
suppression de l'abattement de 30 % dont bénéficiaient les journalistes, sans que soit levée l'hypothèque pesant sur les
répercussions pour les organes de presse. C'est aussi le refus d'abonder les fonds d'aide prélevés sur les recettes
publicitaires en augmentation des chaînes de télévision.
C'est, enfin, la hausse globale de 50 % des tarifs postaux, mesure qui aura des conséquences vitales pour un certain
nombre de journaux alors qu'elle est dérisoire pour le budget de la Poste.
Monsieur le secrétaire d'Etat, plus on s'inquiète pour la presse, plus le Gouvernement parle de défense du pluralisme et
plus les mauvais coups tombent ! C'est certainement la plus grave atteinte au pluralisme de la presse en matière d'aides
publiques depuis la Libération, et c'est un coup porté contre l'exercice de la liberté d'opinion.
La question reste posée, monsieur le secrétaire d'Etat : veut-on rendre impossibles les conditions d'une presse pluraliste,
veut-on faire disparaître de nouveaux titres du paysage de la presse française ?
Je n'accepte pas cette perspective. Il s'agit non pas d'un problème professionnel, mais bien d'une question de citoyenneté
; je ferai tout pour que les démocrates aient à coeur de relever ce défi.

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