Question de M. SÉRUSCLAT Franck (Rhône - SOC) publiée le 01/11/1996

M. Franck Sérusclat souhaite interroger M. le secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale sur la lutte contre le tabagisme. Il souhaiterait plus particulièrement attirer son attention sur le fait que le tabac à rouler est manifestement commercialisé à des prix trop bas, étant devenu beaucoup moins cher que les cigarettes. Le tabac à rouler est en revanche plus nocif, sa teneur en goudron étant supérieure. Il lui demande s'il envisage une augmentation plus substantielle de cette sorte de tabac afin que le prix, comme pour les cigarettes, soit un élément restreignant la consommation, notamment chez les plus jeunes. Il profite de cette question pour lui demander de veiller à une application plus stricte du décret prévoyant la protection des non-fumeurs, et plus précisément en ce qui concerne les écoles et les hôpitaux.

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Réponse du ministère : Santé publiée le 15/01/1997

Réponse apportée en séance publique le 14/01/1997

M. Franck Sérusclat. Je tiens à bien préciser dès le début de mon intervention que je ne mène pas une bataille contre
les fumeurs, car qui veut fumer peut fumer. Combien de « plaisirs » n'avons-nous pas qui sont porteurs de dangers ? Y en
a-t-il, d'ailleurs, qui ne le soient pas ?
Mon souci n'est donc pas de faire en sorte que ceux qui veulent fumer soient tellement incités à ne pas le faire que leur
désir de fumer soit encore accru. Là n'est pas mon propos.
En revanche, il convient de chercher à protéger des dangers liés à la méconnaissance des situations auxquelles peut
conduire le plaisir recherché.
A cet égard, deux situations me paraissent quelque peu curieuses dans la mesure où l'on va à l'encontre du souci d'éviter
le recours à la cigarette.
Il y a, d'abord, l'usage du tabac à rouler, sujet sur lequel il peut paraître curieux que j'intervienne tant il semble plus
anecdotique qu'autre chose.
En effet, si l'on a augmenté le prix des cigarettes - si l'on croit que c'est un moyen dissuasif, il faut aller jusqu'au bout et
arriver au niveau de prix général européen - dans le même temps, on a laissé le tabac à rouler à un prix relativement
modeste. Or, ce dernier est riche en goudron et l'on sait depuis longtemps, en particulier par des essais sur la queue des
souris, que le goudron est une substance cancérigène particulièrement dangereuse.
Le problème, c'est que, quand un jeune a envie de fumer, il cherche le produit le moins cher. Par conséquent, il se tourne
vers le tabac à rouler, et il court ainsi un risque supplémentaire du fait de la teneur supérieure en goudron.
Il court aussi un autre risque, celui de prendre l'habitude de rouler, car on roule quand on prend du haschisch !
Cette situation particulière devrait d'ailleurs nous conduire à nous demander ce qui est le plus dangereux : la nicotine et le
goudron ou le tétrahydrocannabinol ? Comment se comporter face à ces deux façons attrayantes de fumer ? Je soulève le
problème incidemment à l'occasion de cette question orale sur le tabac.
On sait combien la diffusion du tabac a soulevé d'inquiétudes et de critiques. A la cour de Louis XIV, il était strictement
interdit de fumer. Mme de Maintenon, en particulier, y veillait. Toute l'histoire montre combien on a vaticiné ou divagué
sur le danger ou, au contraire, sur l'absence de danger du tabac.
Peut-être pourrions-nous, aujourd'hui, nous interroger sur les dangers respectifs du tétrahydrocannabinol et de la nicotine.
Peut-être pourrions-nous également nous interroger sur l'opportunité de mettre sur le marché du tabac ou des cigarettes «
spécial jeunes » dosé à 0,1 milligramme de nicotine, par exemple, comportant moins de goudron et à un prix susceptible
de concurrencer le tabac à rouler.
La seconde situation que je souhaite évoquer tient à l'attitude spontanée que devraient avoir les fumeurs. Tout le monde
s'est aperçu que, dans les groupes de travail, de moins en moins de gens fumaient ; dans ces groupes de travail, on
respecte donc les non-fumeurs. En revanche, il semble que, dans les hôpitaux, dans les écoles, lieux symboliques s'il en
est, il n'en aille pas de même.
Il serait donc souhaitable de trouver des solutions pour que, en ces lieux, en particulier, et dans quelques autres, les
restaurants, par exemple, on ne fume pas.
Dans les wagons non-fumeurs, tout le monde l'a vérifié aussi bien que moi, on ne fume pas ; dans l'avion, il est interdit de
fumer, et on ne fume pas. En revanche, hôpitaux et écoles me paraissent aujourd'hui plutôt en déshérence à cet égard.
Voilà les situations que je souhaitais vous exposer, monsieur le secrétaire d'Etat. Je crois avoir dépassé le temps qui
m'était imparti, mais M. le président ne m'a pas rappelé à l'ordre.
M. le président. Mon cher collègue, c'est une séance de rentrée et nous avons un peu de temps. Je rappelle tout de
même que l'auteur d'une question dispose de trois minutes pour l'exposer.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale. Monsieur le sénateur, le tabagisme reste un
phénomène préoccupant en France, malgré l'amélioration constatée de certains indicateurs.
Globalement, en effet, le nombre de fumeurs dans la population a diminué au cours des vingt dernières années ; mais cette
évolution ne doit pas masquer l'apparition, au sein de certaines catégories de la population de tendances qui présentent à
terme des risques pour la santé.
De ce point de vue, vous l'avez signalé, une attention particulière doit être portée à la commercialisation des tabacs à
rouler, du fait de la progression constatée du marché de ces produits, corrélative à la hausse des prix des cigarettes.
Il semblerait que ce phénomène puisse s'analyser en un report de consommation vers les produits du tabac les moins
chers. Or, le fait de substituer aux cigarettes manufacturées des cigarettes roulées présente un caractère aggravant en
termes de santé publique compte tenu de la nocivité supérieure du tabac à rouler.
Ce constat plaide en faveur d'une convergence des prix des tabacs à rouler et des cigarettes manufacturées, afin de ne
pas favoriser la consommation par les jeunes de cigarettes roulées.
Le vote, lors de la loi de finances pour 1997, d'un minimum de perception applicable au prix de vente au détail des tabacs
à rouler constitue à cet égard une avancée significative, car cette mesure interdit la mise sur le marché de produits à bas
prix, dont on connaît le fort effet d'attraction auprès des plus jeunes consommateurs.
L'objectif est d'obliger progressivement à relever le prix des produits les moins chers sur le marché et d'éviter, notamment,
les effets de transfert des consommateurs vers le tabac à rouler.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif, une évolution des comportements
est perceptible. Une enquête réalisée en mai 1995 par le Comité français d'éducation pour la santé auprès d'un échantillon
représentatif des entreprises a montré que plus du tiers de ces dernières ont pris de nouvelles dispositions après l'entrée
en vigueur du décret du 29 mai 1992. Un quart des entreprises ont apposé une signalisation rappelant l'interdiction de
fumer. Un peu plus d'un établissement sur dix a interdit totalement de fumer dans les bureaux. Globalement, 59 p. 100 des
établissements ont pris des mesures pour limiter le tabagisme dans leurs locaux.
L'enquête met, en outre, en évidence le fort degré d'adhésion à l'interdiction de fumer. En effet, 85,5 % des directions
d'établissement en reconnaissent l'intérêt et 90 % des représentants du personnel jugent favorablement cette mesure.
Les efforts en ce domaine doivent cependant viser aussi les écoles - vous l'avez souligné - et les établissements de santé,
où les situations sont effectivement très disparates.
C'est pourquoi une circulaire sera adressée, dans les toutes prochaines semaines, aux directeurs d'établissement public de
santé, quel que soit le statut de celui-ci, leur demandant d'être particulièrement vigilants quant au respect de la mesure
d'interdiction de fumer dans leur établissement.
Voilà, monsieur le sénateur, les quelques éléments d'information que je voulais livrer à votre attention.
M. Franck Sérusclat Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat Vous me pardonnerez, monsieur le secrétaire d'Etat, de ne pas me satisfaire pleinement de vos
réponses, tout au moins de deux d'entre elles.
S'agissant de l'augmentation des prix, rendre l'accès au produit plus difficile sur le plan financier ne fait qu'accroître les
inégalités entre ceux qui peuvent tout de même payer et ceux qui ne le peuvent pas. Les conséquences peuvent
quelquefois être dramatiques, car il est des fumeurs qui tiennent tellement à leur produit qu'ils n'hésitent pas à recourir à la
violence pour l'obtenir. La taxation n'a donc pas les effets attendus et elle peut même conduire parfois à des situations plus
dangereuses.
C'est pourquoi il faut chercher d'autres solutions. Personnellement, je n'en ai pas à proposer maintenant puisque ma
question tendait précisément à faire en sorte que vous m'en présentiez, monsieur le secrétaire d'Etat.
Quant à la circulaire, c'est sans doute une bonne chose ; mais, des circulaires, il y en a tellement et les gens ont tellement
peu de temps pour les lire que, bien souvent, elles passent à côté de l'objectif visé.
Ne pourrait-on pas envisager, en particulier dans le domaine médical, des conférences de consensus, qui permettraient de
bien faire sentir les responsabilités de chacun en ce domaine ? Cela pourrait, me semble-t-il, être plus efficace que de
simples circulaires.
Je ne sous-estime pas vos propositions, monsieur le secrétaire d'Etat. Pardonnez-moi, cependant, de ne pas croire à la
pleine efficacité des solutions que vous envisagez.

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