Question de M. VIGOUROUX Robert-Paul (Bouches-du-Rhône - SOC) publiée le 18/10/1990

M. Robert-Paul Vigouroux attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les nouvelles dispositions adoptées par le parlement visant à incriminer la contestation des " crimes contre l'Humanité ". Ces mesures répressives visent, dans une large mesure, à réprimer la négation des crimes nazis dont l'horreur ne doit jamais quitter nos mémoires. Le souvenir du génocide arménien de 1915 ne saurait non plus être occulté et se doit d'être reconnu. Il lui demande les dispositions qu'il entend prendre afin de protéger la mémoire des victimes de ces crimes : la négation de leur existence par quelques intellectuels européens.

- page 2238


Réponse du ministère : Justice publiée le 05/09/1991

Réponse. - Il est exact que l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, complétée par la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, qui sanctionne la contestation de l'existence de certains crimes contre l'humanité, et particulièrement le génocide des Juifs commis par le régime nazi lors de la Seconde Guerre mondiale, ne saurait actuellement sanctionner ceux qui contesteraient l'existence du génocide dont a été victime la communauté arménienne du début du siècle. Quelque légitime que puisse être la volonté de protéger la mémoire des victimes de ce crime, il ne semble cependant pas possible, au regard des principes généraux de notre droit, d'étendre le champ d'application de l'article 24 bis. Il ne relève pas en effet de la mission du juge répressif de dire l'histoire ni de devenir le gardien d'une histoire officielle, son rôle étant de sanctionner la violation des incriminations pénales édictées par le législateur dans le respect du principe de légalité des délits et des peines. Ce principe, de valeur constitutionnelle, imposait que le domaine d'application de l'article 24 bis soit précisément limité, et ce d'autant plus que cette incrimination a pour conséquence de restreindre, même si cette restriction est justifiée par l'intérêt général, la liberté d'expression. Il était donc nécessaire de faire référence à la définition juridique des crimes contre l'humanité figurant dans l'article 6 du statut de tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, seule définition qui fait partie de notre droit positif. Il était de même indispensable de ne sanctionner que la contestation des crimes contre l'humanité dont les auteurs ont été condamnés par une juridiction française ou une juridiction internationale, afin d'éviter que le juge, à l'occasion d'un procès de presse dont l'objet est de rechercher si des écrits ou des propos tombentsous le coup de la loi, ne soit amené à faire oeuvre d'historien. En l'absence de décision d'une juridiction internationale relative au génocide arménien, il n'est en conséquence pas possible de réprimer pénalement le fait de contester l'existence de ce crime, bien qu'il soit reconnu par une grande partie de la communauté internationale. Il demeure que des propos ou des écrits qui, au-delà de la négation de l'existence de ce génocide, comporteraient des imputations diffamatoires ou injurieuses à l'égard de la communauté arméienne, ou seraient de nature à provoquer à la haine ou à la violence envers cette communauté, tomberaient sous le coups des articles 24, 6e alinéa, 32, 2e alinéa et 33, 3e alinéa de la loi sur la presse.

- page 1899

Page mise à jour le