Mardi 18 juillet 2017, Philippe Bas (Les Républicains - Manche), président de la commission des lois, a déposé deux propositions de loi ordinaire et organique traduisant les propositions de nature législative formulées par la mission d’information pluraliste de la commission des lois sur le redressement de la justice, le 4 avril 2017 :

- une proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice ;

- une proposition de loi organique pour le redressement de la justice.

Selon Philippe Bas : "Ces propositions de loi doivent être examinées rapidement par le Sénat, car les difficultés matérielles de nos tribunaux sont profondes et la nécessité des réformes impérieuse. On ne peut pas attendre 2018, comme l’a annoncé le Premier ministre, pour examiner une loi de programmation des moyens de la justice, a fortiori après l’adoption d’une loi de programmation des finances publiques qui aura déjà fixé l’évolution des budgets des différents ministères sur cinq ans. Nous devons être à la hauteur de l’urgence et de la gravité de la situation ! ".

Dans le contexte actuel des finances publiques, alors que le budget de la justice, pourtant annoncé comme prioritaire, va faire l’objet d’une amputation de 160 millions d’euros en 2017, Philippe Bas juge indispensable de sanctuariser les crédits dévolus à l’autorité judiciaire, en raison de son rang constitutionnel, comme le prévoit la proposition de loi organique qu’il a déposée.

Sur les 127 propositions constituant la réforme d’ensemble de la justice préconisée par la mission d’information, 42 appellent une intervention du législateur ordinaire ou organique. Celles-ci sont reprises dans les deux propositions de loi ordinaire et organique. Les autres mesures appellent une modification réglementaire, une évolution de l’organisation administrative ou des pratiques professionnelles, parfois une réflexion complémentaire.

. Le redressement sur cinq ans des crédits et des effectifs de la justice

En premier lieu, la proposition de loi d’orientation et de programmation comporte une trajectoire de progression des crédits de la mission "Justice" sur cinq ans, selon un taux annuel moyen de 5 %, conformément aux préconisations de la mission d’information, soit une progression de 27,63 % sur la période entre la loi de finances initiale pour 2017 et 2022.

Sur la même période, la progression représenterait 15,93 % pour les crédits du programme "Justice judiciaire" et 46,14 % pour les crédits du programme "Administration pénitentiaire".

La programmation budgétaire de la proposition de loi est la suivante :

 

La création de 15 000 places supplémentaires de prison, diversifiées, est incluse dans ce schéma.

Cette trajectoire budgétaire se décline aussi dans une progression des emplois sur cinq ans, afin notamment de résorber les vacances de postes de magistrats et de mettre à niveau les effectifs des services judiciaires et pénitentiaires, à la hauteur de l’évolution des besoins.

La programmation des emplois est la suivante :

 

. Les réformes législatives d’organisation et de fonctionnement

En deuxième lieu, la proposition de loi d’orientation et de programmation comporte les mesures de réforme de niveau législatif ordinaire préconisées par la mission d’information.

Les principales d’entre elles sont les suivantes :

maîtrise des innovations technologiques dans le domaine du droit et de la justice, en les mettant au service du justiciable et de l’amélioration du fonctionnement du service public de la justice, tout en limitant les risques de dérives, avec un encadrement plus précis de l’open data des décisions de justice et de son exploitation par les outils de « justice prédictive » (pour éviter, par exemple, que soit dressé le « profil » d’un juge), comme de l’activité des prestataires d’aide à la saisine des juridictions ou de résolution des litiges en ligne, ainsi que la mise en place d’un service public gratuit en ligne d’aide à la résolution amiable des litiges ;

- création progressive d’un tribunal unique départemental de première instance, regroupant le tribunal de grande instance et les tribunaux d’instance de son ressort, autour de la notion de taille efficiente de juridiction, sans remise en cause des implantations judiciaires actuelles (mise en place de chambres détachées), afin de simplifier l’accès au service public de la justice et renforcer sa proximité pour le justiciable dans le traitement des contentieux de la vie courante (traitement dans les chambres détachées du contentieux actuel du tribunal d’instance et du contentieux familial, qui relève aujourd’hui du tribunal de grande instance) ;

renforcement de la conciliation, en donnant force exécutoire aux accords trouvés dans ce cadre et en permettant, en cas d’échec, au conciliateur de proposer une solution au juge pour trancher rapidement le litige, ainsi qu’en programmant le recrutement de 1 500 conciliateurs assorti de la revalorisation de leur situation matérielle ;

- mise en place de « délégués du juge », parmi les greffiers et les juristes assistants, auxquels serait déléguée la mission de conciliation du juge, contribuant au développement de l’équipe du juge ;

- constitution de véritables tribunaux des affaires économiques, en étendant la compétence et le collège électoral des tribunaux de commerce à l’ensemble des professionnels, en particulier les agriculteurs et les indépendants ;

rétablissement de la contribution pour l’aide juridique en première instance, modulable de 20 à 50 euros, dont seraient exonérés les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle et certains contentieux touchant les personnes les plus faibles, pour assurer un financement structurel et durable du budget de l’aide juridictionnelle ;

- mise en place d’une consultation préalable obligatoire d’un avocat avant toute demande d’aide juridictionnelle, financée par l’augmentation du budget de l’aide juridictionnelle, pour assurer un filtre effectif dans l’attribution de l’aide juridictionnelle en fonction du bien-fondé de l’affaire ;

mesures de clarification des procédures d’appel et de cassation en matière pénale : création d’une voie d’appel pour les contraventions de police, sanction des appels abusifs, ouverture de la possibilité d’un appel limité à la peine prononcée, représentation obligatoire par avocat devant la chambre criminelle de la Cour de cassation ;

- pour assurer l’effectivité de l’exécution des peines, suppression de l’examen obligatoire par le juge de l’application des peines de l’aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d’emprisonnement et restitution à la juridiction de jugement du pouvoir de décider s’il y a lieu d’aménager les peines qu’elle prononce, pour réaffirmer son rôle dans la détermination de la peine effectivement exécutée et redonner du sens à la peine ;

- possibilité de prononcer une obligation de suivi socio-judiciaire pour tous les condamnés à des peines d’emprisonnement, afin de mieux accompagner les sorties d’incarcération.

. Les objectifs et les priorités de la réforme de la justice

En dernier lieu, la proposition de loi d’orientation et de programmation présente, dans un rapport annexé, les objectifs et les priorités de la réforme de la justice sur cinq ans. Les réformes de nature réglementaire, organisationnelle ou pratique nécessaires au redressement de la justice sont développées dans ce rapport et correspondent aux préconisations de la mission d’information.

Les principales mesures non législatives sont les suivantes :

- création d’un référentiel d’activité pour les magistrats et renforcement de l’attractivité de certaines juridictions pour les magistrats et les fonctionnaires ;

- définition d’un programme pluriannuel de maintenance et d’entretien de l’immobilier judiciaire ;

- renforcement des fonctions stratégiques de pilotage, de coordination et d’évaluation exercées par le secrétariat général du ministère de la justice ;

- pour contenir l’inflation normative, développement des études d’impact au sein du ministère ;

simplification et dématérialisation des procédures en matière civile ;

mise à niveau de l’informatique judiciaire civile et pénale ;

- renforcement de l’autonomie budgétaire des juridictions ;

- mise en place d’un nouveau modèle de cour d’appel, reposant sur la notion de taille efficiente de juridiction, garantissant en conséquence la qualité des décisions rendues et la cohérence de l’action des parquets avec celle des services de l’État, sans pour autant calquer la carte des cours d’appel sur la carte des régions administratives ;

- poursuite des efforts de maîtrise de frais de justice.

Le rapport annexé prévoit également la création d’un nouveau type de contrat d’assurance de protection juridique, avec une prise en charge plus large en contrepartie d’un avantage fiscal.

. Les réformes structurelles de niveau organique

La proposition de loi organique pour le redressement de la justice comporte les mesures de niveau organique préconisées par la mission d’information, intéressant les crédits de l’autorité judiciaire et le statut de la magistrature.

Les principales d’entre elles sont les suivantes :

sanctuarisation des crédits alloués à l’autorité judiciaire, autorité de rang constitutionnel, par une modification de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

- pour assurer une gestion plus fluide du corps de la magistrature, mise en place d’une durée minimale (trois ans, portés à quatre pour les fonctions spécialisées) et d’une durée maximale (dix ans) d’affectation des magistrats dans la même juridiction, permettant de limiter à la fois le turn‑over excessif, justement dénoncé par le Conseil supérieur de la magistrature (20 % du corps chaque année), et les durées trop longues passées dans les mêmes fonctions ;

- mise en place de nouvelles possibilités de collaboration entre magistrats, permettant à un jeune magistrat du siège, sortant d’école, d’être placé auprès d’un magistrat expérimenté, dans le cadre ponctuel du traitement d’affaires complexes ou dans des postes créés à cette fin dans certaines juridictions spécialisées ;

- définition de critères de sélection pour la nomination des chefs de cour et chefs de juridiction, orientés sur les compétences d’administration et d’encadrement, et formation à la prise de fonctions.


Rappel des travaux de la mission d’information

Les 127 propositions de la mission d’information sur le redressement de la justice s’articulaient autour de quatre objectifs : réduire les délais de jugement, améliorer la qualité des décisions de justice, renforcer la proximité de l’institution judiciaire pour le justiciable et assurer l’effectivité de l’exécution des peines tout en accompagnant mieux les sorties d’incarcération.

Outre Philippe Bas, président-rapporteur, la mission d’information était composée d’un représentant par groupe politique : Esther Benbassa (Écologiste - Val-de-Marne), Jacques Bigot (Socialiste et républicain - Bas-Rhin), François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), Cécile Cukierman (CRC - Loire), Jacques Mézard (RDSE - Cantal) et François Zocchetto (UDI-UC - Mayenne).

Au cours de ses neuf mois de travaux, de juillet 2016 à mars 2017, la mission s’était rendue, lors de 13 déplacements, dans 15 juridictions, 4 centres pénitentiaires et 3 écoles de formation du ministère de la justice, ainsi que dans les locaux de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires et sur le chantier du futur palais de justice de Paris. Au Sénat, lors de 117 auditions, la mission avait, en outre, entendu 289 personnes.

En conclusion des travaux de la mission, Philippe Bas avait indiqué : "Il ne sera pas possible de relever durablement les crédits de la justice à la hauteur des enjeux si l’institution judiciaire ne montre pas sa capacité à se réformer. La progression des moyens de la justice doit suivre une trajectoire définie dans une loi quinquennale de programmation, de l’ordre de 5 % par an en moyenne d’ici 2022, assortie de profondes réformes structurelles".

Mathilde DUBOURG
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