La coordination des politiques économiques en europe :

« Surmonter le désordre économique en Europe »

La délégation du Sénat pour la planification a adopté le rapport de MM. Joël Bourdin (UMP, Eure) et Yvon Collin (RDSE, Tarn-et-Garonne) « Surmonter le désordre économique en Europe », qui fait suite à un premier rapport adopté en décembre 2007 intitulé « Le malaise avant la crise ? ».

Les dysfonctionnements du « système européen » dont l'insoutenabilité avait été soulignée par les rapporteurs ne sont peut-être pas à l'origine de la crise en cours, mais sont en tout point analogues aux déséquilibres qui l'ont engendrée et y ont contribué.

Le système économique européen est un système perdant qui recèle des déséquilibres tels qu'il est insoutenable à terme. Deux stratégies économiques sont particulièrement problématiques : les stratégies de désinflation compétitive (Allemagne...) et les stratégies inflationnistes (Grèce, Espagne...). Ni l'une ni l'autre n'assurent à ceux qui les choisissent un régime équilibré de croissance et leur confrontation affecte l'ensemble européen en pesant sur ses performances économiques et en y instaurant une instabilité économique et financière potentiellement explosive.

Les pays en excédent, que les autres pays européens tirent pourtant, connaissent une croissance inférieure à la moyenne de la zone. La désinflation compétitive freine la croissance des autres pays ; l'inflation augmente les taux d'intérêt pour l'ensemble y compris les pays vertueux.

L'explosion des déséquilibres courants des transactions est d'autant plus redoutable que, sans coordination des politiques économiques, la seule issue est, soit de les laisser filer, avec des incidences insupportables économiquement et financièrement, soit de copier le pays le plus désinflationniste avec pour effet de réduire à rien la croissance en Europe.

Ces pauvres performances de l'économie réelle et ces déséquilibres commerciaux se sont accompagnés d'autres déséquilibres favorisés par l'envolée de l'endettement privé : les bulles immobilières notamment (Espagne...) et l'excroissance de certains secteurs : le secteur financier en particulier (Royaume-Uni...). L'insoutenabilité des passifs a son correspondant dans celle des actifs ce dont la situation des pays émergents de l'Union européenne témoigne abondamment.

La coordination des politiques économiques en Europe doit, en premier lieu, s'attacher à résorber l'incohérence des choix macroéconomiques des Etats.

L'un des éléments fondamentaux des nouveaux équilibres économiques à instaurer concerne le partage des richesses. On l'appréhende usuellement à partir d'un indicateur de partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits.

Même si l'indicateur manque de fiabilité, notamment parce qu'il ne prend pas en compte les plus-values financières, le partage de la valeur ajoutée a été marqué par la baisse de la part des salaires depuis le point haut du milieu des années 70. La chute atteint 12 points de PIB. Il faut sans doute nuancer ce constat, mais la prise en compte des gains financiers ferait ressortir une baisse encore plus importante.

Une différenciation entre pays européens doit être soulignée. Dans les pays qui ont fait le choix de la désinflation compétitive ou, au contraire, dans les pays qui n'ont pas su maîtriser leur inflation, la déformation du partage de la valeur ajoutée aux dépens des salariés a été particulièrement net ; dans les pays où ce partage s'est à peu près stabilisé, ce processus a été rendu possible par l'adoption de politiques au terme desquelles les salaires ont suivi les progrès de productivité du travail.

Il existe un lien très étroit entre les modalités du partage de la valeur ajoutée et les déséquilibres économiques et financiers qui prévalent en Europe.

Ce sont les pays les plus mondialisés ou plus financiarisés qui ont été les plus touchés par la baisse des rémunérations d'autant que leurs politiques fiscales et budgétaires ont accentué cette baisse.

Ces évolutions ne sont pas soutenables : elles ne sont pas cohérentes avec l'idée que le travail doit être au centre des politiques européennes ; elles pourraient se comprendre si la croissance avait été plus riche en capital en Europe, mais cela n'a pas été le cas. Ce sont les plus-values financières qui ont, avec les investissements directs à l'étranger, profité de la hausse de la part des profits en Europe ; un régime de croissance où la rentabilité du capital est de moins en moins issue de la demande est financièrement non performant et instable puisqu'il oblige soit à une accumulation d'excédents extérieurs soit à plus d'endettement. Ainsi, l'équilibre et la dynamique de la croissance en Europe impliquent un autre partage de la valeur ajoutée.

Cet impératif est aussi justifié par le projet social européen, objet du quatrième chapitre du rapport.

Il existe une Europe sociale qui affirme, parmi ses valeurs, le progrès social, la cohésion sociale et la justice sociale. Pourtant, l'Europe n'entend pas promouvoir un modèle social spécifique, le domaine social étant par excellence celui de la subsidiarité.

Or, l'Europe n'échappe pas à la montée des inégalités observée dans l'ensemble des pays de l'OCDE, pas plus qu'à celle de la pauvreté.

Toutefois, il faut souligner que tous les pays n'ont pas les mêmes résultats en ce domaine. Les inégalités et la pauvreté ont particulièrement augmenté dans des pays comme l'Allemagne ou l'Italie. Elles sont stabilisées en France et se réduisent, en partant d'un point haut, au Royaume-Uni.

Les facteurs agissants sont : des revenus du travail de plus en plus inégalitaires ; des revenus financiers croissants et partagés très inégalement ; l'atténuation des effets des systèmes redistributifs.

S'il est délicat de se fixer une norme d'égalités des conditions, on ne peut prétendre poursuivre un objectif de justice sociale et se passer d'agir en ce domaine. Il est contestable de laisser les Etats complètement libres au regard de ces objectifs. Car, la poursuite en solitaire d'objectifs de lutte contre les inégalités et la pauvreté a un coût dans une Europe intégrée.

Il faut donc que l'Europe fixe en commun des objectifs précis et sanctionnables en la matière dans le cadre de « Grandes orientations des politiques sociales de l'Union européenne » à inventer.

Enfin, la fondation de l'Europe sociale doit aller de pair avec une refondation de la surveillance financière en Europe. En focalisant son attention sur les positions budgétaires, la surveillance financière en Europe est passée à côté de son sujet, d'autant que la surveillance financière des dettes publiques est entachée de graves défauts.

Ceux-ci tiennent en quelques mots : manque de réalisme économique et manque de réalisme financier. Manque de réalisme économique avec, d'abord, une complète négligence de la question pourtant capitale de la soutenabilité des régimes de croissance qui font l'environnement des situations financières des Etats, et des effets des différentes stratégies non coopératives à l'œuvre dans l'Union sur les déficits des pays coopératifs, alors même que les concurrences fiscales ne sont pas assez encadrées. Manque de réalisme financier aussi : les dettes publiques surveillées sont des dettes brutes sans considération des contreparties qu'elles financent ; des pays disposant de capacités de financement sont sermonnés pour leurs déficits publics quand des pays en besoin de financement ne le sont pas ; des opérations financières sans profit pour les capacités de production des économies - comme les rachats de leurs propres actions par les entreprises ou la constitution inconsidérée d'actifs à l'étranger - sont admises voire encouragées, au seul motif qu'elles proviennent du secteur privé, quand une variation d'un quart de point de PIB du déficit public est lourdement stigmatisée. Au cours des 8 dernières années, la dette publique a reculé de 7,8 points de PIB dans la zone euro quand les dettes privées se sont envolées de 40 points de PIB.

Il faut remédier à ces dysfonctionnements et fonder une Europe de la stabilité financière ce qui implique de poursuivre le chemin ouvert à Londres afin que, le système européen des banques centrales (SEBC) ayant failli dans sa mission, des organes soient mis en place autour de nouvelles règles financières et bancaires. Mais il faut aussi réorganiser la surveillance des positions budgétaires des Etats. Celle-ci doit pleinement tenir compte de la soutenabilité des régimes de croissance ; elle doit aussi compter avec la question de la solidarité entre Etats, que ce soit pour apprécier ce que doivent les déséquilibres des finances publiques de chacun aux politiques des partenaires ou pour remédier à des chocs imprévisibles ; elle doit être adaptée pour tenir compte de la qualité des finances publiques, de leur soutenabilté financière, bien sûr, mais aussi de l'efficacité économique et sociale des interventions publiques.

Contact presse : Olivier Graftieaux  01 42 34 25 38  o.graftieaux@senat.fr