Paris, le 26 octobre 2005

MISSION COMMUNE D'INFORMATION DU SÉNAT SUR LE BILAN ET
LES CONSÉQUENCES DE LA CONTAMINATION PAR L'AMIANTE


    L'amiante a été à l'origine de plus de 35 000 décès depuis le milieu des années 60 jusqu'à son interdiction en 1997. Compte tenu des très longs délais de latence des pathologies malignes, et notamment du cancer de la plèvre (mésothéliome), 60 000 à 100 000 décès sont attendus dans les 20 à 25 ans à venir.

Certes, la France n'est pas le seul pays touché par cette catastrophe sanitaire, mais les carences de notre système de santé au travail et de prévention des risques professionnels, l'absence à l'époque de tout système de veille et d'alerte, l'existence d'un lobby industriel de l'amiante ont contribué à une prise de conscience tardive de ce drame.

Depuis sa création, en février 2005, la mission d'information commune du Sénat a procédé à 70 auditions et a effectué quatre déplacements ciblés à Dunkerque, à Cherbourg, à Jussieu et en Haute-Corse, afin d'établir le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante. Elle a ainsi tenté d'évaluer la progression du drame sanitaire annoncé, de mesurer l'efficacité des dispositifs de réparation pour les victimes, de faire le point sur les problèmes de responsabilité, et surtout s'est efforcée de comprendre comment une telle tragédie avait pu se développer, le précédent de l'amiante devant servir de leçon pour que de tels drames sanitaires ne se reproduisent pas.

Elle observe que la responsabilité civile des employeurs pour faute inexcusable est désormais systématiquement reconnue par les tribunaux et que la responsabilité de l'Etat a été affirmée en 2004 par le Conseil d'Etat pour défaut de réglementation spécifique avant 1977, et pour le caractère tardif et insuffisant de la réglementation après cette date.

Quant à la responsabilité pénale des employeurs, de nombreuses procédures sont actuellement pendantes devant les tribunaux et pourraient aboutir à des condamnations, sous réserve d'un feu vert de la Cour de cassation, la loi dite Fauchon sur les délits non intentionnels ne semblant par ailleurs pas constituer, contrairement à ce qui est souvent avancé, un obstacle à la reconnaissance de cette responsabilité.

Elle a ensuite examiné les améliorations qui sont susceptibles d'être apportées aux mécanismes de réparation pour les victimes, afin notamment de rendre les indemnisations plus cohérentes et plus homogènes, de réduire les recours contentieux et de remédier aux dérives du dispositif de préretraite des salariés ayant été exposés à l'amiante, parfois utilisé comme instrument de gestion des effectifs dans des secteurs d'activité en difficulté : 27 à 37 milliards d'euros devraient être consacrés dans les vingt ans à venir à la prise en charge des victimes de l'amiante, ce qui pose un problème de financement.

La mission a également constaté que le risque n'était pas seulement derrière nous, du fait de l'amiante résiduel et environnemental auquel sont plus particulièrement exposées certaines populations (professions de « second oeuvre » dans le bâtiment, personnels de maintenance et d'entretien, ouvriers des chantiers de désamiantage...), la réglementation en ce domaine étant mal appliquée s'agissant notamment du diagnostic et du respect des règles de sécurité. Il apparaît par ailleurs nécessaire de prévenir de nouvelles contaminations en renforçant les dispositifs de précaution, de s'assurer de l'innocuité des produits de substitution, comme les fibres céramiques réfractaires, et de réglementer la mise sur le marché des produits chimiques.

Dans cette perspective, la mission formulera 28 propositions autour de 8 orientations.

Au total, la mission a constaté que la gestion du problème de l'amiante en France a été défaillante, que cette défaillance met en cause la responsabilité de l'Etat, justifiant par là la mise en place de dispositifs de réparation, dont les défauts et dérives doivent être corrigés. Elle considère cependant que l'affirmation de la responsabilité de l'Etat, si elle est naturellement essentielle pour faire la lumière sur ce drame qui s'est déroulé sur plusieurs décennies, ne saurait être suffisante et constituer l'explication générale d'une responsabilité collective, tellement large qu'elle éluderait la question de l'enchaînement des responsabilités des différents acteurs.

Le rapport est disponible sur internet à l'adresse suivante :
Tome 1
 : http://www.senat.fr/rap/r05-037-1/r05-037-1.html
Tome 2 (auditions) : http://www.senat.fr/rap/r05-037-2/r05-037-2.html

Contact presse : Bruno LEHNISCH
01 42 34 25 93 ou 25 13
b.lehnisch@senat.fr

28 propositions autour de 8 orientations

Le suivi médical post-professionnel

1) améliorer l'information des salariés susceptibles d'avoir été exposés à l'amiante au cours de leur carrière pour qu'ils soient plus nombreux à demander à bénéficier d'un suivi médical post-professionnel ;

2) sanctionner le refus de certains employeurs de délivrer l'attestation d'exposition à l'amiante à laquelle les salariés concernés ont légalement droit ;

Le FCAATA

3) simplifier la gestion du dispositif en confiant aux caisses de sécurité sociale les attributions aujourd'hui dévolues à la Caisse des dépôts et consignations ;

4) officialiser une voie d'accès au FCAATA, sur une base individuelle, pour les salariés exposés à l'amiante dont l'entreprise ne figure pas sur une liste et s'appuyant sur des comités de site permanents, rassemblant toutes les parties concernées, afin de déterminer les droits de chacun ;

5) revaloriser le montant de l'ACAATA pour qu'elle atteigne pleinement son objectif ;

6) assurer à tous les personnels ayant été exposés à l'amiante au cours de leur carrière un traitement équitable au regard de la « préretraite amiante », indépendamment de leur statut (fonctionnaires, militaires...) ;

Le FIVA

7) permettre au FIVA d'accorder aux victimes le bénéfice qui s'attache à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, afin que ces dernières ne soient plus incitées à emprunter la voie judiciaire ;

8) accroître les moyens humains et matériels du service contentieux du FIVA pour faciliter les recours subrogatoires ;

Les procédures contentieuses

9) mieux informer les tribunaux sur le barème d'indemnisation du FIVA afin d'harmoniser les indemnisations accordées par la justice ; si nécessaire, envisager la désignation d'une cour d'appel unique pour connaître de l'ensemble des recours ;

Mesures financières

10) substituer à la taxe sur les tabacs une dotation budgétaire pour alimenter le FCAATA ;

11) déterminer les parts respectives de l'État et de la sécurité sociale au financement des fonds par l'application d'une clé de répartition stable dans le temps ; la contribution de l'État pourrait être fixée à 30 % ;

12) renforcer l'individualisation de la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles ;      

Les entreprises de désamiantage

13) procéder à un recensement national des salariés de ces entreprises, à l'exemple du secteur nucléaire, et faire bénéficier ces derniers d'un suivi médical spécifique ;

14) réduire les plages horaires journalières des salariés du désamiantage afin de tenir compte de la pénibilité et des contraintes de leur travail, sans remettre en cause leurs droits et garanties ;

15) améliorer la qualification des agents chargés du diagnostic amiante, notamment au regard des techniques de construction ;

16) procéder à un recensement national des bâtiments amiantés, accessible sur Internet ;

17) établir une liste nationale de tous les chantiers de désamiantage ;

18) imposer une qualification aux intervenants sur l'amiante non friable ;

La réglementation environnementale relative à l'amiante

19) compléter le décret du 7 février 1996 afin de mieux prendre en compte la protection des salariés travaillant sur des chantiers amiantifères ;

20) établir et publier un code de traçabilité des déchets amiantés ;

21) favoriser la valorisation des déchets vitrifiés de l'amiante ;

La prévention de nouvelles contaminations

22) informer les clients des espaces commerciaux d'outillage et de bricolage des dangers de l'amiante ;

23) renforcer les effectifs de l'InVS, et notamment de son département santé‑travail ;

24) engager une réflexion sur le statut des médecins du travail ;

25) privilégier dans la conception des machines la protection contre la dispersion des poussières des produits de substitution ;

26) interdire les fibres céramiques réfractaires, sauf absence avérée de produits de substitution et, après autorisation préalable, renforcer le contrôle de leur utilisation dans le processus de production ;

27) mettre en place une autorisation de mise sur le marché des produits chimiques, minéraux, organiques et biologiques inspirée de la procédure en vigueur pour les médicaments et s'inscrivant dans le cadre du futur règlement européen Reach ;

28) renforcer les moyens de contrôle sur l'importation des produits provenant de pays n'ayant pas interdit l'amiante.