Les Impacts de la LIBÉRALISATION de la PUBLICITÉ TÉLÉVISÉE

La délégation du Sénat pour la planification, présidée par M. Joël BOURDIN (UMP, Eure), vient d'adopter un rapport portant évaluation des impacts de la libéralisation de la publicité télévisée présenté par M. Philippe LEROY (UMP, Moselle).

Ce rapport part de l'évaluation du décret d'ouverture de la publicité télévisée aux secteurs interdits (presse, livre, distribution) pour procéder à l'examen des impacts de la déréglementation de la publicité télévisée pour les médias et les secteurs annonceurs, et s'interroger, en particulier, sur ses effets sur le pluralisme des médias et la concurrence.

Le décret du 7 octobre 2003 d'ouverture de la publicité télévisée aux secteurs interdits est une étape de plus dans un processus continu de libéralisation de la publicité télévisée, mais la déréglementation entreprise reste prudente par souci de ne pas trop perturber les équilibres financiers des différents médias.

Toutefois, l'ouverture devrait entraîner une augmentation des recettes publicitaires de la télévision qui, pour être de moindre ampleur que si la déréglementation avait été totale, s'élèverait à un montant, estimé entre 130 et 190 millions d'euros, le haut de la fourchette devant probablement être atteint à moyen terme.

Il faut insister sur les effets nettement asymétriques de l'ouverture : asymétrie entre les médias, au détriment surtout de la radio et de la presse quotidienne régionale pour laquelle le « manque à gagner » approche le bénéfice net annuel du secteur : asymétrie également entre les chaînes de télévision, puisque, à l'horizon 2007, lorsque la publicité pour la distribution sera autorisée sur les chaînes nationales, les chaînes commerciales devraient remporter plus des trois-quarts des nouvelles recettes.

 Ainsi, la déréglementation de la publicité télévisée, qui pourrait s'accentuer à l'avenir, pose un problème de décrochage de ses moyens pour le secteur public audiovisuel et, plus largement, pour le pluralisme des médias, dont les plus fragiles risquent d'être particulièrement affectés.

Les questions relatives à l'équilibre entre le secteur commercial et le secteur public audiovisuel, fournissent une illustration archétypique des problèmes à résoudre.

Elles montrent, du moins pour notre pays, que la déréglementation ne peut être pleinement compatible avec le pluralisme qu'à condition d'être accompagnée.

Sur longue période, la « publicité-média » se dirige de plus en plus vers la télévision et l'ouverture aux secteurs interdits devrait accentuer ce phénomène, au détriment de la presse et de la radio.

En outre, les recettes publicitaires des chaînes se concentrent fortement vers les chaînes privées à couverture nationale, bien au-delà de la part d'audience qui est la leur, mais en lien direct avec la puissance relative de leur audience.

Dans un contexte où le lectorat de la presse décroît et où le secteur public audiovisuel se voit confier des missions de service public qui sont incompatibles avec une stratégie de maximisation des audiences, le pluralisme des médias est en cause, et par connexité, la richesse de la création audiovisuelle.

Le rapport envisage les différentes voies ouvertes pour y remédier :

  • les propositions visant à augmenter les ressources publicitaires des médias, qui, par nature, ne concernent que les télévisions publiques ne doivent pas être « diabolisées » mais posent de sérieux problèmes par leurs impacts probables sur les contenus des programmes, en risquant d'accentuer la banalisation du secteur public audiovisuel ;
  • la compensation logique des effets asymétriques de la déréglementation de la publicité télévisée réside dans des systèmes redistributifs ;
  • le choix d'une mise à niveau de la redevance (qui ne concernerait que les chaînes publiques) n'est peut-être pas prioritaire ; différentes autres opportunités financières existent avec l'exploitation de « gisements » qui contribuent peu au financement de la diversité culturelle : la publicité hors-média, le parrainage télévisuel, les autres ressources commerciales des chaînes.

En particulier, il apparaît que le marché publicitaire des médias est relativement sous-développé dans notre pays, les estimations oscillant entre 7,5 et 10,3 milliards d'euros selon les conventions adoptées (le premier chiffre approchant les recettes nettes, après ristournes, le second les recettes brutes) quand un phénomène essentiel doit être souligné, qui semble singulariser la France : la forte proportion de la publicité dite « hors-média », avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 20 milliards d'euros.

  • Il n'est pas acquis que des solutions strictement financières suffisent. La presse a mis en œuvre un certain nombre de « réponses industrielles » ; pour le secteur public audiovisuel, la redéfinition de son périmètre pourrait s'imposer et receler un potentiel intéressant sous conditions de réalisme et d'ambition. Afin de maintenir une création télévisuelle riche et diversifiée, des mesures structurelles concernant la programmation mais aussi les conditions de production sont à envisager.

En toute hypothèse, la déréglementation doit conduire à explorer l'opportunité de systèmes de redistribution comme relais à une intervention publique justifiée par l'objectif de pluralisme des médias et dans l'audiovisuel, conçu comme véritable « bien public ».

Le rapport s'achève par quelques analyses des enjeux économiques de la publicité.

La consultation préalable à l'adoption du décret d'ouverture a montré que les positions des différentes parties prenantes des secteurs annonceurs concernés, s'étaient ordonnées autour de leurs situations respectives sur les marchés concernés et de leurs capacités à profiter de la publicité télévisée.

Si des compromis ont pu être trouvés dans les trois secteurs « culturels » (presse, livre et cinéma), les pouvoirs publics ont dû adopter, pour la distribution, une solution moyenne qui semble ne satisfaire personne.

La crainte des effets asymétriques de l'ouverture pour les différents intervenants des secteurs concernés reflète les analyses théoriques selon lesquelles la publicité accroîtrait la concentration sur les marchés, conclusion contestée par des approches qui estiment que la publicité accroît, au contraire, la concurrence.

Les inquiétudes exprimées ont été vraisemblablement excessives en l'occurrence, compte tenu de la nature des biens concernés (leur demande peut apparaître, quoique inégalement, assez peu élastique aux campagnes promotionnelles ; les opportunités associées à l'ouverture de la publicité télévisée semblent réduites pour la plupart des annonceurs) mais aussi des situations de marché existantes (les parts de marché relatives des grands distributeurs et des « indépendants » semblent peu susceptibles de connaître de profondes évolutions).

En revanche, des opportunités ont été probablement sous-estimées. Par exemple, l'absence prolongée du livre de l'univers télévisuel des jeunes ne contribuera pas à accoutumer ceux-ci à la lecture.

Enfin, les risques liés à l'ouverture semblent plutôt du côté des difficultés de pilotage des coûts publicitaires par les entreprises, avec des perspectives en termes de gaspillage économique, de réduction de la rentabilité des entreprises ou de hausse du niveau général des prix.

 Le rapport de Philippe Leroy est en ligne : http://www.senat.fr/rap/r04-413/r04-413.html

 Contact presse : Astrid Poissonnier  Tél. 01 42 34 22 90  a.poissonnier@senat.fr