Paris, le 17 février 2005

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères,
évoque devant les sénateurs
la situation au Proche et Moyen-Orient et au Togo

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, a tout d'abord marqué sa volonté d'améliorer l'information du parlement sur les enseignements tirés des différentes visites qu'il effectue à l'étranger. Ainsi, au retour de chaque déplacement, les membres des commissions des affaires étrangères, les présidents d'assemblées et les présidents de groupes politiques, recevront, à titre personnel et confidentiel,  une brève note résumant les conclusions qu'en aura tirées le ministre.

Le ministre des affaires étrangères a ensuite évoqué l'assassinat de l'ancien ministre libanais, Rafik Hariri. Il a salué la réaction du peuple libanais qui s'est rassemblé pour condamner cet attentat. Il s'est déclaré persuadé que le mouvement ainsi créé ne pourrait être ignoré dans les prochains mois, en souhaitant que les élections législatives se déroulent librement et à la date prévue. Il a ajouté que la France souhaitait que toute la lumière soit faite sur les circonstances de ce dramatique attentat, notamment dans le cadre de l'enquête demandée par le Conseil de sécurité et placée sous le contrôle du secrétaire général des Nations unies. Elle estime également nécessaire d'accroître la pression internationale pour la mise en œuvre de la résolution 1559 du Conseil de sécurité en vue de restaurer la pleine souveraineté du Liban.

Evoquant sa récente visite en Israël et dans les Territoires palestiniens, le ministre  des affaires étrangères s'est déclaré convaincu du caractère central de la résolution du conflit israélo-palestinien pour la stabilité de l'ensemble de la région. Il a fait part de ses impressions à la suite d'une visite à Gaza qui lui a permis de mesurer l'état de misère de la population. Il a estimé indispensable d'offrir de réelles perspectives au peuple palestinien, tout comme il est nécessaire de répondre aux légitimes préoccupations de sécurité du peuple israélien. Il a salué le courage d'Ariel Sharon et de Mahmoud Abbas qui ont, l'un et l'autre, pris des décisions difficiles et risquées vis-à-vis de leur opinion publique. Il s'est déclaré convaincu de la volonté sincère du premier ministre israélien de réussir le retrait de Gaza. Il a jugé particulièrement positives les mesures prises par le président palestinien pour réorganiser les services de sécurité, alors qu'il est dans le même temps soumis à une forte pression intérieure dans la perspective de l'échéance électorale du 17 juillet prochain.

M. Michel Barnier s'est félicité du contexte nouveau créé par la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Il a souhaité qu'Américains et Européens agissent auprès des deux partenaires pour que ce dialogue se poursuive et aboutisse à des progrès dans le processus de paix.

Le ministre des affaires étrangères a ensuite évoqué la situation de l'Irak. Il a rappelé que la France a régulièrement soutenu le processus politique de reconstruction à travers son vote en faveur de la résolution 1546 du Conseil de sécurité, son engagement pour l'annulation de la dette irakienne et son appui à la Conférence de Sharm-el-Cheikh qui avait réuni l'ensemble des pays de la région. En dépit de ses imperfections, l'échéance électorale du 31 janvier dernier a constitué une étape importante dans la perspective de cette reconstruction politique. La prochaine étape consiste désormais à rédiger une constitution mettant en place un système institutionnel propre à assurer le respect des communautés minoritaires. Il est à cet égard essentiel que la prépondérance des chiites et des kurdes au sein de l'assemblée constituante n'aboutisse pas à marginaliser la communauté sunnite.

M. Michel Barnier a rappelé que l'Union européenne était disposée à accompagner la reconstruction politique et économique de l'Irak. Elle souhaite que l'aide internationale soit coordonnée par le gouvernement irakien lui-même. La France, pour sa part,  est prête à participer à la formation de policiers et de gendarmes irakiens à proximité de l'Irak mais pas sur le territoire irakien lui-même.

M. Serge Vinçon, président, a interrogé le ministre sur la disponibilité des Européens à porter le dossier nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité des Nations unies au cas où l'Iran ne respecterait pas ses engagements, disponibilité sur laquelle le ministre des affaires étrangères israélien s'était interrogé lors de son audition par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, a estimé qu'il ne convenait pas d'évoquer à présent la saisine du Conseil de sécurité, à l'heure où des négociations se poursuivent. Certes, si le processus de négociation devait échouer, le Conseil de sécurité pourrait être saisi, mais il importe de tout faire pour éviter ce cas de figure. Il est essentiel que les Etats-Unis aident au succès de la négociation pour éviter qu'un éventuel échec soit imputable à un manque de soutien de leur part : l'Iran doit comprendre que toute la communauté internationale agit dans le même sens.

En réponse à M. Jean-Pierre Plancade, le ministre a estimé que le refus actuel des Etats-Unis de l'accession de l'Iran à l'OMC (Organisation mondiale du commerce) pourrait être reconsidéré si un accord définitif de renonciation par l'Iran à son programme d'enrichissement d'uranium était conclu.

M. Jean-Pierre Plancade a ensuite interrogé le ministre sur la situation de la journaliste Florence Aubenas, retenue en otage avec son guide irakien. Evoquant la situation au Togo, il s'est enquis d'une éventuelle remise à plat des accords de défense, souvent anciens, conclus par la France avec plusieurs pays africains.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a demandé quelle serait la réaction de la France et de l'Union européenne à l'annonce, par Israël, de l'installation de colons de Gaza en Cisjordanie, estimant qu'il s'agissait là d'un affront fait aux Palestiniens et que cela conduisait à s'interroger sur la sincérité d'Israël dans sa volonté de paix. Après avoir rappelé la situation de nos deux compatriotes, MM. Guy-André Kieffer, disparu en Côte-d'Ivoire, et Fred Neyrac, disparu en Irak, elle a interrogé le ministre sur l'aggravation de la situation humanitaire et sécuritaire au Darfour.

M. Louis Mermaz, abordant le thème de l'exercice du droit d'asile en France, s'est inquiété de la dégradation dramatique constatée dans les zones d'attente et les centres de rétention des étrangers. Il a souhaité que le ministre puisse consacrer une audition par la commission à cette question.

M. Jean François-Poncet, relevant l'insistance apportée par le ministre israélien des affaires étrangères sur la menace représentée par le Hezbollah, a interrogé le ministre sur la réalité de cette analyse et sur le rôle de la Syrie à l'égard de ce mouvement. Il a enfin souhaité savoir pourquoi, après les élections irakiennes, la France se refusait toujours à assurer, en Irak même, la formation des forces de sécurité irakiennes.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- la situation de Florence Aubenas et de son guide irakien est différente de celle de nos compatriotes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, comme d'ailleurs de celle de la journaliste italienne. La discrétion des responsables publics en la matière s'impose pour la sécurité même des otages. L'enquête judiciaire se poursuit en Côte-d'Ivoire sur le cas de M. Kieffer et les autorités irakiennes coopèrent avec la France sur la disparition de M. Fred Neyrac.

Au Togo, le ministre a rappelé qu'avec l'Union africaine et la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), la France a demandé le respect de la légalité institutionnelle. Il convenait de convaincre le fils du président défunt de revenir dans le processus institutionnel, et de permettre la tenue d'élections présidentielles et législatives libres et démocratiques dans les meilleurs délais.

Le ministre a par ailleurs indiqué que la diplomatie française à l'égard de l'Afrique devrait s'organiser autour de trois principes : un partenariat fondé sur un dialogue sans ambiguité et préservant les liens anciens de la France avec les pays partenaires du continent ; l' « africanisation » ensuite, consistant à aider et à soutenir l'organisation des groupements régionaux africains dans la solution des conflits ; enfin la mutualisation des efforts européens vers l'Afrique, qui se substituerait à la juxtaposition des politiques nationales constatées jusqu'à présent ;

- l'annonce de l'installation éventuelle de colons de Gaza sur une nouvelle implantation en Cisjordanie constitue un vrai problème mais cette décision, qui n'est ni raisonnable ni juste n'est peut-être pas définitive. Elle risquerait sinon d'accréditer l'idée d'une démarche « Gaza seulement », quand la communauté internationale plaide pour « Gaza d'abord » ;

- la situation au Darfour reste inquiétante et se dégrade à nouveau malgré le déploiement par l'Union africaine de 1.800 soldats ; l'accès des organisations humanitaires s'avère en particulier de  plus en plus difficile. Le rapport des Nations unies a relevé les très graves exactions commises dans cette région et le recours à la Cour pénale internationale permettrait de juger les auteurs de tels crimes ;

- la question de l'exercice du droit d'asile justifierait une audition spécifique de la commission pour laquelle le ministre a indiqué sa disponibilité afin, en particulier, de faire un premier bilan de la législation récente ;

- le problème du Hezbollah est complexe, dans la  mesure où ce mouvement présente une double dimension : une branche politique et parlementaire mais aussi une branche armée à l'égard de laquelle la France n'a aucune complaisance. L'inscription du Hezbollah sur la liste européenne des mouvements terroristes aurait-elle pour effet de décourager les partisans de la violence ? Dans le contexte créé par la disparition de Rafik Hariri ne risque-t-elle pas de compliquer la situation ? Il paraît préférable, face aux graves tensions qui affectent le Liban, de ne pas chercher, pour le moment, à trancher cette question ;

- la position prise par la France sur la guerre en Irak l'a conduite à ne pas s'impliquer militairement dans le pays, et cette démarche reste d'actualité. Toutefois, face à l'urgence, l'objectif de former des forces de sécurité irakiennes reste essentiel. C'est pourquoi la France propose d'assurer cette formation hors d'Irak.

En réponse à M. Robert Del Picchia et à Mme Paulette Brisepierre qui s'interrogeaient sur la sécurité de nos compatriotes au Togo et à Madagascar, le ministre a indiqué que la communauté française au Togo n'était pas, aujourd'hui, inquiétée. S'agissant de l'agression récente de ressortissants français à Madagascar, le ministre a relevé que ces événements témoignaient, plus largement, d'une montée générale de l'insécurité dans les villes africaines, liées à la pauvreté croissante du continent et à l'extrême jeunesse de sa population, ce qui n'en rendait que plus pertinentes les propositions françaises tendant à dégager des nouvelles ressources financières pour le développement.

M. Philippe Nogrix a interrogé le ministre sur le devenir d'un continent aussi important que l'Amérique du sud et de nos relations avec cette partie du monde.

M. Michel Barnier a reconnu que l'Amérique latine était en effet confrontée à l'enjeu important de son organisation territoriale et il a estimé que la question se posait d'une dimension européenne dans nos relations avec cette partie du continent américain. Reconnaissant par ailleurs la pertinence d'une réflexion prospective géopolitique sur l'avenir du continent européen, le ministre a fait état de sa disponibilité à évoquer devant la commission l'enjeu majeur que représentait la relation future de l'Union européenne avec la Russie.

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