Intervention de M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Vœux de Territoires Unis – 21 janvier 2019


Monsieur le Président de l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité, cher François Baroin,
Monsieur le Président de l’Assemblée des départements de France, cher Dominique Bussereau,
Monsieur le Président de Régions de France, cher Hervé Morin,
Mes chers collègues élus, maires, présidents de conseils départementaux et présidents de région, mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir ce matin, ici au Sénat, pour ces premiers vœux de Territoires Unis, lancés à Marseille en septembre dernier : régions, départements et communes ensemble.

La création de votre association fut un des moments politiques importants de l’année 2018. Une année marquée par une tension dans les relations entre les collectivités territoriales et l’État et par l’échec de la Conférence nationale des territoires telle qu’elle a été menée depuis son lancement, alors qu’elle était censée réinstaurer de la confiance et traduire un changement de méthode dans les relations entre l’État et les collectivités.

Une année 2018 qui s’est achevée dans un climat de contestation, de mise en cause de l’exécutif. Si cette contestation a des racines anciennes, elle s’est d’abord cristallisée autour de la décision sur les 80 km/h puis de l’inflexibilité sur la hausse des taxes sur les carburants, qui a fait « tache d’huile »… au point qu’aujourd’hui, c’est l’ensemble de la gouvernance de notre pays qui est interpellée.

Cette contestation a conduit le Président de la République et le gouvernement à « concéder » en quelques jours… plus de 10 milliards d’euros, soit quasi autant que l’effort financier demandé aux collectivités territoriales d’ici 2022 ! Dans ces conditions, quel sens ont d’ailleurs les contrats financiers « de Cahors » aujourd’hui ?

Depuis des mois et des mois, vous aviez, nous avions attiré l’attention de l’exécutif sur le ressenti des territoires, sur celui de ceux qui les représentent, sur celui de ceux qui les habitent. Et j’ai le souvenir de mes 30 déplacements de l’année.

Même si de nombreux sujets de préoccupation des territoires ne sont pas apparus en mai 2017, et je l’avais écrit au Président Hollande il y a quatre ans, le style de gouvernance, la méthode de l’exécutif ont été un accélérateur de « l’éruption » de cette France que je qualifiais alors de France « d’à côté ».

Oui, certains de nos concitoyens, certains territoires ont le sentiment d’être vraiment « en bout de table ».

A la fin de l’automne, notre pays a été comme pris de «vertige», donnant le sentiment qu’il n’y aurait plus ni solidarité, ni règle commune, ni cohésion, ni ordre républicain.

Le Président de la République a donc choisi d’organiser un « grand débat national ».

Il a été lancé avec les élus en Normandie, cher Hervé Morin, dans le département de l’Eure, en rassemblant autour de lui les maires. Puis dans le Lot vendredi, toujours autour de maires. Et je dois dire, pour le Lot, que je préfère Souillac 2019 à Cahors 2017 !...

Les maires, après avoir été « balancés », voilà qu’on « s’accroche » à eux ! J’ose dire « enfin ! » et je m’en réjouis, mais ils ne sont pas une courroie de transmission de la « grande République » : ils sont d’abord les représentants élus de la « petite République » qu’est la commune.

Le Président de la République évoque lors de ces rencontres de nécessaires aménagements des lois territoriales et il sait qu’il trouvera la matière dans vos propositions et celles du Sénat. Je pense par exemple à la proposition de loi que nous avons adoptée en juin dernier sur des ajustements pragmatiques à apporter à la loi NOTRe.

Le Président de la République convient également qu’il faut améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux et s’est engagé à prendre en compte les propositions faites par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat et elles ont connu une première traduction concrète lors de l’examen du projet de loi de finances... Il faut poursuivre !


***


Mais « en même temps », pour reprendre le principe initial du Président de la République, il souffle le chaud et le froid dans sa « lettre aux Français » :

- Quand il aborde à nouveau la question de la suppression de niveaux de collectivités.
- Quand le questionnaire mis en ligne évoque l’idée de réduction du nombre d’élus. Le Président de la République l’avait d’ailleurs déjà exprimée lors de la première Conférence nationale des territoires, en juillet 2017…

Est-ce que réduire le nombre d’élus, c’est le sujet d’aujourd’hui ? Je crois plus que jamais à l’importance de la trame des 500 000 élus locaux de notre pays pour la cohésion sociale et républicaine. C’est elle qui tient aujourd’hui la République et c’est elle qui est appelée « au secours ». Les élus locaux sont profondément républicains !

Je crois à l’importance de la démocratie représentative dont les conseillers municipaux sont le premier étage qui mène au Président de la République, en passant par les conseillers départementaux, les conseillers régionaux et les parlementaires.

Le Président de la République se pose lui-même, désormais, la question du bien-fondé de l’exercice conjoint d’une fonction exécutive locale et parlementaire. Je veux redire ce matin que l’instauration du non-cumul des mandats a sans doute été une fausse bonne idée. Elle porte en germe le risque de déconnection entre le Parlement et les territoires, et donc les citoyens. Nous en reparlerons.

Avant de vouloir tirer au sort des citoyens pour les associer à la décision publique, ne faudrait-il pas d’abord faire le serment de la confiance avec les élus des territoires ! Eux, les élus des territoires, n’ont pas attendu janvier 2019 pour associer les citoyens à la décision publique. Je pense aux conseils de quartiers, aux conseils de développement, aux plateformes participatives mises en place par les départements et les régions… L’État ne peut guère faire la leçon de la démocratie participative !

Dans un dossier emblématique (Notre-Dame-des-Landes), il n’a tenu aucun compte de la consultation démocratique des concitoyens qu’il avait pourtant lui-même organisée…

Est-ce que supprimer des niveaux de collectivité, c’est le sujet d’aujourd’hui ?

Le sujet de fond, c’est l’exercice des compétences de la manière la plus efficace et la plus proche possible du citoyen. C’est l’enjeu de la subsidiarité.

Je me réjouis donc que le Président de la République envisage désormais de reprendre à son compte les ajustements pragmatiques proposés par le Sénat. Nous y travaillons depuis deux années. Nous avons voté en juin 2018 une proposition de loi, elle est sur le bureau de l’Assemblée nationale. Le temps est aux actes, et si la méthode retenue permettait d’éviter un nouvel épisode « eau et assainissement », ce serait plutôt mieux !

Je veux redire ici ce matin combien la collectivité départementale est utile et nécessaire pour assurer la proximité sociale et territoriale, et ce d’autant plus dans le cadre de plus vastes régions qui trouvent avec les départements l’équilibre de nouvelles relations.

***


Dans la nouvelle phase du quinquennat qui s’ouvre donc avec ce « grand débat », le gouvernement doit, à mon avis, changer de méthode.

Passé le temps des discours et des rencontres, il va falloir des actes concrets et un principe de base : la confiance !

J’ai lu les notes de synthèse et questionnaires préparés par le gouvernement sur les quatre thèmes qu’il souhaite aborder. Il ne questionne pas réellement sa propre gouvernance ni sa propre responsabilité dans la crise que traverse le pays et la tentation de jouer les uns contre les autres pourrait être toujours bien vivace.

Et, jusque-là, la formulation retenue ne laisse pas encore transparaître un réel esprit décentralisateur…

Le second principe qui découle du premier (la confiance) : c’est celui de la décentralisation. C’est ce que nous devons écrire ensemble, c’est mon premier vœu pour 2019 !


***


L’enjeu demain, pour nos collectivités et notre pays, c'est bien de construire une nouvelle étape de décentralisation, de faire réellement vivre l’article 1er de notre Constitution qui dispose que « l’organisation » de notre République est « décentralisée ».

C’est en misant sur les libertés locales, sur la subsidiarité, sur la proximité que l’on pourra répondre aux aspirations exprimées par les citoyens en faveur d’un meilleur accès aux services public, aux soins, pour lutter contre les fractures sociales territoriales et pour redonner force et ambitions à nos territoires.

Nous avons besoin de cette nouvelle étape de décentralisation fondée sur les libertés locales, sur le respect et la reconnaissance des élus, sur la proximité, la subsidiarité et la responsabilité, sur la différenciation territoriale, l’expérimentation dans le respect de l’unité de la République, et enfin sur l’autonomie financière et fiscale. Ce sera une réponse majeure à cette « fatigue démocratique » que l’on ressent.

Les collectivités ne sont pas un simple instrument dans la main de l'État ! Elles doivent être de véritables partenaires.

Les collectivités territoriales ne peuvent plus être de simples « échelons administratifs », pour reprendre la formule employée dans l’un des questionnaires du grand débat.

Voyez qu’il y a une première marge de progrès pour les auteurs du questionnaire ! Les « élus locaux » ont été élus par le peuple et doivent avoir la pleine maîtrise de leurs actions !

Il ne s’agit pas de savoir s’il faut seulement leur « transférer des compétences », il s’agit de « libérer » les collectivités territoriales.

Cette nouvelle « génération » de la décentralisation doit donc être celle d’une mutation : celle consistant à reconnaître que les élus locaux de la République sont des « majeurs capables » ! Vous y travaillez.

Votre démarche commune est essentielle. Nous la soutiendrons au Sénat, comme nous l’avons fait l’an dernier.

Nous la soutiendrons en particulier lorsque nous examinerons le projet de révision constitutionnelle, puisque le Président de la République m’a confirmé lundi dernier que son examen se poursuivrait.

Nous veillerons à réaffirmer la libre administration et les garanties d’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales. C’est l’une des propositions unanimes du groupe de travail du Sénat et c’est évidemment un aspect essentiel si l’on veut libérer les énergies des territoires et affirmer les responsabilités des élus locaux, qui ne sont pas des agents de l’Etat ! Ce sera un point de vigilance constitutionnel mais aussi lors de l’examen du projet de réforme de la fiscalité locale promis par l’exécutif.

Nous veillerons à garantir une juste représentation des territoires au Parlement et assurer le lien qui existe entre territoire départemental et Parlement.

La force des régions, la cohésion des départements, la proximité du quotidien des communes peuvent ensemble porter cette ambition quasi « révolutionnaire ».

Le Sénat sera à vos côtés. Il le fera avec enthousiasme et pragmatisme, avec le souci constant d’être à l’écoute des territoires et des citoyens. Car le territoire, c’est d’abord le lieu, le cadre, l’assise de la vie des hommes et des femmes qui y vivent.

Votre « union » est essentielle, au-delà même de chaque niveau de collectivité que vous représentez. Confortez-là encore, c’est mon deuxième vœu pour 2019 ! Elle est essentielle pour notre pays. Vous avez une responsabilité majeure.

Je sais que vous l’assumerez !

Vive les Territoires Unis, Vive la République et Vive la France !

Seul le prononcé fait foi