Intervention de M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Colloque sur la revitalisation de l’échelon communal
Palais du Luxembourg – Jeudi 15 novembre 2018



Monsieur le Président de la commission des Lois, cher Philippe Bas,
Monsieur le Rapporteur de la mission de contrôle et de suivi des lois de réforme territoriale, cher Mathieu Darnaud,
Mes chers collègues sénateurs, et je salue tout particulièrement Françoise Gatel et Agnès Canayer qui interviendront cet après-midi en tant que membres de la mission de contrôle et de suivi du Sénat,
Madame la Vice-Présidente de l’Association des maires de France, chère Agnès Le Brun,
Monsieur le Président de l’Association des Maires ruraux de France, cher Vanik Berberian,
Monsieur le Président de la communauté de communes du Grésivaudan, cher Francis Gimbert, représentant l’AdCF,
Monsieur le Maire de Baugé-en-Anjou, cher Philippe Chalopin, dont je connais l’investissement sur le dossier des communes nouvelles,
Monsieur le Professeur, cher Vincent Aubelle, qui m’a permis récemment d’avoir un échange passionnant sur la décentralisation avec les étudiants de l’Université Paris-Est-Marne-la-Vallée,
Monsieur le Directeur de recherche au CEVIPOF, cher Luc Rouban,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir cet après-midi au Sénat pour ce colloque sur la revitalisation de l’échelon communal, co-organisé par la commission des Lois du Sénat et l’Association des Maires de France et des présidents d’intercommunalité, à quelques jours de l’ouverture du Congrès des Maires. Nous accueillerons également lundi prochain la Journée des élus d’Outre-mer.

Les échanges que vous aurez cet après-midi pourront s’appuyer sur le rapport que vient de rendre notre mission permanente de contrôle et de suivi des lois de réforme territoriale, constituée au sein de la commission des Lois.
Le rapporteur, Mathieu Darnaud, vous en présentera tout à l’heure les principales conclusions.

Pour ma part, je voudrais vous faire part de quelques réflexions.

Nous sentons bien que les dernières réformes territoriales, la dimension croissante des intercommunalités, mais aussi les contraintes financières toujours plus importantes, ont jeté un trouble chez un certain nombre de maires qui s’interrogent sur leur rôle, leurs marges de manœuvre.

J’évoquais ce matin le cas de la Loire où le nombre de découragement qui franchissent le pas de l’abandon est très élevé.

Je mesure le sentiment de dépossession de certains maires et des élus municipaux, surtout lorsque cela concerne des actions très concrètes.

C’est l’ancien préfet de la région Occitanie –avec qui j’ai partagé 2 journées en septembre sur le terrain– (cité par le journal Le Monde), qui observait ainsi que « nombre d’élus d’expérience ont pu se sentir dépossédés d’une partie de leurs pouvoirs au profit d’intercommunalités ». Et cette réalité je l’ai vécue à ses côtés, à Toulouse, à Revel, à Boulogne sur Gesse puis à Saint-Gaudens, dans une communauté de communes de 104 communes, les 14 et 15 septembre derniers !

L’accélération du nombre de démissions de maires, mais aussi de conseillers municipaux, et c’est aussi significatif, doit nous interpeller. C’est bien un enjeu pour la vitalité de notre démocratie locale et pour la cohésion républicaine !

C’est dans ce contexte que s’inscrit le travail mené par Mathieu Darnaud et des collègues de la mission, qui conclut à une idée clé : la subsidiarité, c’est à dire la meilleure manière de conjuguer proximité et efficacité.

Je suis un « militant » de l’intercommunalité : j’étais favorable à la « loi Chevènement » de 1999. Mais je suis aussi lucide et je constate qu’après les réformes de 2010 et 2015, le « peloton » des élus locaux s’étire dangereusement, avec des élus municipaux pris dans de vastes ensembles intercommunaux qui parfois décrochent.

Il faut en tenir compte car la commune, c’est la cellule de base de notre démocratie locale, c’est l’entité locale d’administration par excellence, celle des bons et des mauvais jours, celle à laquelle s’identifient nos concitoyens (celle des élus à « portée d’engueulade » auxquels ils font majoritairement confiance) et qu’ils « engueulent » parfois d’autant plus qu’au fond d’eux mêmes, « leur commune, ils y tiennent », pour paraphraser le hashtag – positif, celui là !– lancé par l’Association des Maires de France à l’occasion de ce Congrès (#Macommunejytiens).

Notre mission a ainsi analysé les enjeux de subsidiarité, de participation des maires aux instances de décision des intercommunalités, de capacité des communes, notamment rurales, d’exercer pleinement les compétences de proximité et de service à la population.

Elle a esquissé trois grands modèles d’intercommunalités que Mathieu Darnaud vous développera. Mais le principe de base qui doit nous guider, j’y reviens, c’est celui de la subsidiarité.

Il faut mieux associer les maires et les élus municipaux à la gouvernance des intercommunalités, y compris les conseillers municipaux qui ne sont pas conseillers communautaires en leur octroyant certains droits d’information.

Notre délégation aux collectivités territoriales a, elle, engagé un travail visant à recenser les bonnes pratiques concernant l’association des élus municipaux, qui ne sont pas conseillers communautaires, aux décisions des intercommunalités. Tout n’est pas du domaine législatif ou réglementaire, mais c’est aussi le rôle du Sénat que de mettre en lumière les bonnes pratiques.

Le Sénat a déjà formulé des propositions d’ajustement dans le cadre de la proposition de loi relative à l’équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, que nous avons adoptée au mois de juin. Il faut qu’elle prospère en intégrant les dernières recommandations de la commission des Lois.

Face à la dimension croissante des intercommunalités, les communes nouvelles peuvent également apparaître comme une réponse positive dans certains territoires. Mais il faut qu’elles partent bien d’un « désir » d’être ensemble dans la durée. Il y a à cet égard un « esprit Grand Ouest », cher Philippe Chalopin, concernant la démarche des communes nouvelles.

À l’initiative de Françoise Gatel, le Sénat examinera le 11 décembre des propositions d’ajustement qui sont attendues pour lever certains freins, concernant le nombre d’élus dans les grandes communes nouvelles et pour prendre en compte le cas de figure de « communes-communautés ».

Notre délégation aux collectivités territoriales vient également de rendre publiques 43 propositions visant à rénover les conditions d’exercice des mandats locaux, afin de mettre en place un véritable statut pour les élus locaux.

Elles visent des améliorations concrètes concernant le régime indemnitaire, notamment pour les maires de moins de 1 000 habitants, le régime social, la formation et la reconversion, ainsi que la responsabilité pénale et la déontologie.

Pour beaucoup d’entre elles, il ne s’agit pas d’une nouveauté. Et c’est à l’initiative du Sénat qu’elles ont souvent été portées, depuis la « loi Fauchon » du 10 juillet 2000 sur la responsabilité pénale des élus locaux jusqu’à la loi « Gourault-Sueur » du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat.

Mais les perspectives d’évolution des fonctions, la complexité croissante des conditions dans lesquelles les élus locaux sont appelés à agir, que ce soit du point de vue juridique ou du point de vue des attentes et des expressions des citoyens, font que l’on est amené à les réexaminer sous un angle nouveau pour apporter, enfin, des réponses à la hauteur des attentes et des besoins.

C’est la démarche du Sénat. Le Président de la République m’a indiqué qu’il souhaitait voir le Gouvernement s’inspirer de nos propositions.

Je souhaite vraiment qu’elles prospèrent car, un an et demi avant les élections municipales de 2020, nous observons une situation inédite d’interrogation, d’irritation voire de découragement chez nombre d’élus locaux.

Ces élus n’ont qu’un but : « Servir le citoyen et agir pour la République », pour reprendre le thème du Congrès des Maires, chère Agnès Le Brun.

Cela suppose évidemment des moyens et une autonomie d’action.

Le Président de la République a décidé dans le projet présidentiel de supprimer la taxe d’habitation. Il faut maintenant trouver une ressource de substitution qui permette de conserver un lien entre la collectivité qui offre des services et le citoyen-contribuable.

Et il ne faut pas jouer les collectivités les unes contre les autres, car cela reviendrait finalement à affaiblir la République.

Je suis intimement persuadé que, dans notre système politique qui n’est pas celui d’un État fédéral, il ne peut y avoir de pouvoir politique autonome sans une part de pouvoir fiscal. Le pouvoir politique ne s’exerce pas dans la simple gestion de moyens financiers procurés ou concédés par d’autres !

Conformément à l’approche qu’il avait défendue lors du Congrès des Maires l’an dernier, j’ai demandé au Président de la République qu’on écrive ensemble le scénario final, les associations d’élus avec le Parlement et le Gouvernement.

Il faut maintenant passer aux actes, en se souvenant de son discours devant le Congrès des Maires l’an dernier. Il disait : « je veux garantir pleinement votre autonomie financière et fiscale. Et donc je veux, qu’à l’issue de la réforme que nous aurons à conduire, les collectivités territoriales et en particulier les mairies, aient retrouvé leur autonomie fiscale pleine et entière ». Cette feuille de route me convient !

Oui, l’objectif, c’est bien de renforcer l’autonomie financière et fiscale des collectivités, et c’est le sens des préconisations du groupe transpartisan du Sénat sur la révision constitutionnelle (proposition n° 12 : « Renforcer, à l’article 72-2 de la Constitution, les garanties d’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales »).

Au Sénat, nous défendrons les principes de libre administration et d’autonomie financière des collectivités territoriales, car sans respect de ces principes, il n’est pas de décentralisation véritable. Mais sans respect des élus locaux, de leur rôle et de leurs fonctions, il n’y a pas non plus de réelle décentralisation.

Ce message, nous le portons auprès du Président de la République et du Gouvernement, qui doit retrouver la voie d’un dialogue serein et confiant avec les élus locaux.

On ne peut pas réformer notre pays sans ni contre les élus locaux ! Le Sénat agira donc pour permettre ce dialogue serein et confiant, qui est dans l’intérêt de notre pays. La décentralisation est une chance pour la République, il faut maintenant des actes !

J’espère que ce colloque permettra d’y contribuer !


Seul le prononcé fait foi