Cher Jean-Pierre Gratien, chère Chantal Didier,
Mesdames et Messieurs, membres de l’Association des Journalistes Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,


Je suis heureux de vous accueillir à la présidence du Sénat pour cette conférence de presse de début d’année.
J’ai une pensée, ce midi, pour Sophie Huet qui a partagé avec nous tant de moments d’échanges.
J’adresse à chacune et chacun d’entre vous mes meilleurs vœux pour cette année 2018.
L’actualité législative, comme l’actualité politique, est fournie en ce début d’année. Je constate, votre présence aussi nombreuse l’atteste, que le Parlement suscite un réel intérêt et je m’en réjouis !
Permettez-moi de revenir en quelques mots sur l’actualité législative.
2018 sera l’année de réformes significatives dans le domaine social : assurance chômage, formation professionnelle, apprentissage, nous pourrons ainsi, je l’espère, offrir aux jeunes, aux salariés, aux demandeurs d’emploi, des outils d’une insertion professionnelle et d’un retour plus rapide sur le marché du travail.
La France, dans le contexte économique que nous connaissons en Europe, ne peut rester à des niveaux si élevés de demandeurs d’emplois.
La question des migrations pose un vrai défi à notre pays et à l’Union européenne. Elle est aussi « miroir » de l’état du monde ! Nous savons que c’est un problème majeur auquel nous devons trouver des réponses. Entre drames humains, respect du droit d’asile, immigration économique qu’il faut contrôler, exigences d’intégration, et co développement indispensable, il nous faut donc tracer la voie. Nous aurons à aborder ce sujet notamment lors de la discussion du Projet de loi asile et immigration, ce devra être sans fard.
Le projet de loi sur l’asile et l’immigration, qui devrait être déposé par le Gouvernement fin février, présente des enjeux majeurs.
Le Sénat, notamment sous l’impulsion de la commission des lois, a beaucoup travaillé sur ces questions.
Ce sera aussi un sujet avec nos collègues des Parlements nationaux de l’Union européenne. L’Europe qui occupera une place particulière dans cet agenda 2018 avec les grands dossiers :
Brexit, politique agricole, convergence sociale et fiscale, Europe de la défense… Tout en étant plus proche des citoyens par le renforcement de la subsidiarité.
La cohésion de notre pays, c’est l’équilibre des territoires. Un principe que j’ai réaffirmé au Président de la République en lui rappelant que les collectivités territoriales ne sont pas « un problème mais une chance pour la France ! ».
En matière de fiscalité locale, le groupe de travail créé par la commission des finances fera des propositions de réforme de la fiscalité locale garantissant l’autonomie financière des collectivités territoriales. Je me suis exprimé en ce sens lors de la dernière Conférence Nationale des Territoires à Cahors.
Cet équilibre des territoires, le Sénat le défend à travers la mission de contrôle et de suivi des lois de réforme territoriale qui se penche sur la question essentielle de la place de l’échelon communal mais aussi sur le suivi de la mise en place de la loi Métropole, de la loi NOTRe et des différents statuts des collectivités.
Nous avons engagé également une réflexion sur le statut des élus locaux, c’est un chantier qu’il faudra conduire sans tarder. Nous restons enfin très attentifs au devenir du département qui n’est pas la nostalgie d’une organisation post révolutionnaire mais un échelon de proximité indispensable.
Si cet équilibre des territoires passe, comme nous l’avons proposé, par une plus grande liberté accordée à nos territoires, cela doit se faire sans fracturer la République. Le Président de la République a proposé que l’article 72 de notre Constitution puisse être enrichi pour permettre aux collectivités de pérenniser une expérimentation réussie, sans que celle-ci ait vocation à être généralisée au plan national. Il a aussi proposé d’approfondir les différentiations. Ceci rejoint des propositions que nous avions faites.
Nous serons, là encore, force de propositions.
Le Sénat sera attentif à la défense des valeurs républicaines, mais aussi de la culture et de la langue française qui doivent être un moyen de renforcer l’appartenance à la communauté nationale et le rayonnement de valeur universelle tout en tenant compte de la diversité culturelle de nos territoires.
Sur ces questions notamment de l’évolution de l’article 72, j’ai rencontré hier Messieurs Simeoni, Président du Conseil exécutif de Corse, et Talamoni, Président de l’Assemblée de Corse, et c’est le sens de la proposition que je leur ai faite notamment autour de l’article 72 et de son évolution en partant notamment d’une délibération votée très largement par l’Assemblée territoriale de Corse il y a 4 ans (et votée par eux deux).
Le Sénat poursuivra son action en vertu des pouvoirs constitutionnels qui lui sont confiés : représenter les territoires, nos élus et nos concitoyens, mieux faire la loi, être plus efficace dans ses missions d’évaluation et de contrôle, c’est une priorité pour moi. Nous aurons aussi à examiner le projet de loi sur le logement et la loi organique.
Cet examen s’inscrira dans le prolongement de la conférence de consensus sur le logement qui se tient depuis mi-décembre au Sénat. Les acteurs du logement se sont pleinement mobilisés pour y participer, on le constate à chaque réunion thématique. La dernière aura lieu ce jeudi, puis la conclusion interviendra au Sénat le 8 février. Je pense que l’apport de la conférence de consensus sera important et je souhaite que le Gouvernement en tienne pleinement compte, lors de la finalisation du projet de loi puis tout au long de la discussion parlementaire.
S’agissant de la révision de la loi bioéthique, je vous rappelle que les états généraux de la bioéthique ont débuté et doivent se poursuivre jusqu’à l’été. Le Sénat apportera sa contribution à ces états généraux.
Voilà ce qui est à notre programme du semestre qui s’ouvre.
Parlons Constitution : nous allons fêter son 60ème anniversaire le 4 octobre 2018, c’est le pacte fondamental qui unit tous les Français.
Le Général de Gaulle, lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964, expliquait qu’« une Constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique ». Il faudra se souvenir de ce triptyque dans les semaines qui viennent.
Mieux faire la loi, mieux contrôler l’action du Gouvernement, réconcilier les citoyens avec le Parlement : « Pour une révision constitutionnelle utile à la France. »
Tel est bien le fil conducteur que nous avons suivi, avec le groupe de travail qui réunit tous les groupes politiques de notre Assemblée, pour aborder cette réforme dont j’ai fait remettre ce matin les propositions au Président de la République après l’avoir rencontré hier.
Devant le Parlement réuni en Congrès, c’était le 3 juillet 2017, le Président de la République a annoncé son intention de procéder à une révision constitutionnelle.
Il a fixé plusieurs objectifs : réduire le nombre de parlementaires, limiter le nombre de mandats consécutifs dans le temps, réformer la procédure législative, renforcer la fonction de contrôle du Parlement et adapter certaines juridictions.
Je suis toujours prudent quand il s’agit de toucher à la Constitution, elle nous a permis de traverser bien des crises et deux cohabitations.
Mais, si réviser la Constitution a pour objectif de mieux faire la loi, de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens, de réconcilier nos compatriotes avec leurs parlementaires, de préserver la représentation des territoires, alors nous devons l’aborder positivement.
En revanche, si cette réforme devait se résumer in fine à un « artifice » politique sans lendemain, qui affaiblirait le rôle du Parlement, ou fragiliserait la représentation des territoires, elle serait contraire aux principes même qui guident mon engagement.
La plupart des sujets de révisions constitutionnelles annoncées par le Président de la République au Congrès : Conseil supérieur de la magistrature, présence des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel ou suppression de la Cour de justice de la République, ne sont pas nouveaux.
Ce sont des débats, pour certains, que nous avons eus en 2008. Ils ne présentent pas de difficultés, à mon avis, insurmontables.
Le Président de la République a voulu aussi qu’une réflexion s’engage concernant la « fabrique de la loi » et le travail parlementaire.
Je partage cette volonté. C’était une des orientations que j’avais proposées dans mon projet pour le triennat.

Nous avons donc retenu 4 axes pour nos travaux :
1-    Assurer la représentation au Parlement de tous les territoires de la République, dans leur diversité ;
2-    Rénover le travail parlementaire au service de la qualité de la loi et de la lutte contre l’inflation normative ;
3-    Renforcer la fonction de contrôle et d’évaluation du Parlement au service d’une démocratie plus exigeante ;
4-     Encadrer le pouvoir exécutif.


Vous avez, dans le dossier de presse qui vous a été remis, l’ensemble des propositions remises ce matin au Président de la République.
Je souhaite en évoquer quelques-unes qui illustrent l’esprit de notre démarche et la philosophie de notre approche.
Le cœur battant de la démocratie, c’est le Parlement. Le premier tour de l’élection présidentielle a montré une France divisée en quatre dans un contexte de crise de la démocratie.
Pour répondre à cette crise, qui est d’abord une crise de confiance, je pense qu’il faut être plus proche des préoccupations de nos concitoyens.
Il ne faut rien céder à la vague d’antiparlementarisme et à la montée des populismes qui abiment notre modèle Républicain.

De la représentation
•    La réduction du nombre de parlementaires n’est pas la condition d’un meilleur fonctionnement démocratique. Mais si on peut en accepter le principe, un certain nombre de règles doivent être posées et en premier lieu pouvoir débattre du nombre même de sièges de parlementaires : il est, à mes yeux, indispensable de préserver le lien entre les parlementaires et les territoires et pour cela, il faut « un certain nombre ».
Un parlementaire hors-sol, c’est un parlementaire affaibli, c’est un parlementaire dépourvu de la matière brute qui lui permet d’éclairer les travaux de contrôle et les travaux législatifs.
Il nous faut concilier la démocratie du nombre et la démocratie des territoires et de représentation des citoyens qui y vivent. C’est la raison pour laquelle nous proposons de préserver l’ancrage territorial des parlementaires en prévoyant, à l’article 24 de la Constitution, l’élection d’au moins un député et un sénateur par département, par collectivité territoriale à statut particulier ou par collectivité d’outre-mer.
Pour l’élection des députés, l’introduction de la proportionnelle sera-t-elle nationale, régionale… ? Elle participe également à l’érosion du lien entre le parlementaire et le territoire. Je suis attaché au maintien du scrutin majoritaire, pour l’ancrage territorial qu’il favorise et pour la stabilité des majorités qu’il dégage. Si la volonté du Président de la République est d’introduire une part de proportionnelle pour les députés, alors cette part ne peut qu’être minoritaire et significativement inférieure aux propositions de l’Assemblée nationale.
La loi sur le non cumul des mandats a déjà entamé le lien entre le parlementaire et le territoire au quotidien. Vient s’ajouter le non cumul des mandats dans le temps des élus locaux et des parlementaires qui ne paraît pas acceptable en l’état pour une majorité du groupe de travail.
- À mes yeux, à ceux de notre rapporteur François Pillet, il porte atteinte à la liberté de choix des électeurs qui découle des principes de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ;
- Il ne trouve pas d’équivalent dans la plupart des grandes démocraties ;
- Et il serait de fait inutile car le renouvellement des assemblées n’a pas attendu cette réforme pour s’opérer (à ce titre 7 sénateurs sur 348 seraient aujourd’hui concernés par la disposition).


Le deuxième axe de travail que nous avons privilégié est la rénovation du travail parlementaire au service de la qualité de la loi et de la lutte contre l’inflation normative.
Il ne nous faut jamais perdre de vue ce qui est le cœur de notre mandat : faire la loi.
Les Français se plaignent d’être submergés par trop de lois peu lisibles qui compliquent leur quotidien et découragent les initiatives. Tous les gouvernements s’engagent à simplifier, aucun ne le fait. Il faut donc mieux faire la loi.
Mieux faire la loi n’est pas sacrifier la qualité de la loi au nom de la célérité. Il est indispensable de préserver le temps du débat parlementaire et le droit d’amendement.
La procédure accélérée, qui a tendance à devenir la règle (85,2 % en 2015-2016 et 100 % en 2016-2017) en 10 ans, on est passé de 50 % à près de 90 %, doit être mieux encadrée, le bicamérisme respecté :
La France n’est pas un État fédéral, le Bundesrat n’est donc pas notre modèle bicaméral.
Nous ne pouvons accepter, en cas d’échec de la CMP, que le Gouvernement puisse donner directement le dernier mot à l’Assemblée nationale. Prétexter la nécessité de raccourcir les délais pour accélérer la fabrique de la loi est un leurre et cette mesure briserait l’équilibre bicaméral. Les citoyens pâtissent davantage des délais d’adoption des mesures d’application de la loi par le Gouvernement que des délais de discussion parlementaire (nous y reviendrons).
Mieux faire la loi c’est aussi lutter contre les lois inutiles. Il faut mieux protéger le domaine de la loi en posant pour principe que les amendements qui sont du domaine du règlement ou n’ont pas de caractère normatif seront déclarés irrecevables par les commissions compétentes et inscrire dans la Constitution « le principe de nécessité » des normes.
Enfin, le Gouvernement doit prendre sa part de responsabilité et s’aligner sur les pratiques des parlementaires. Il convient de soumettre les amendements du Gouvernement comme pour les parlementaires à un délai limite, d’encadrer le temps de parole du Gouvernement dans l’hémicycle comme pour les parlementaires, d’exiger des amendements du Gouvernement, qui prévoient des mesures nouvelles, qu’ils soient soumis à l’avis du Conseil d’État et assortis d’une étude d’impact et enfin, d’obliger le Gouvernement à mieux planifier l’organisation de ses travaux au Parlement en inscrivant dans la Constitution l’obligation de présenter deux fois par an à chaque assemblée son programme de travail.

Notre troisième axe de travail est le renforcement de l’évaluation et du contrôle parlementaire.
Le Sénat a une responsabilité particulière car il ne dépend pas de l’élection présidentielle. Il n’en est pas la réplique systémique. Il est plus autonome, moins dépendant notamment du fait majoritaire.
Nous ne pouvons limiter notre activité de contrôle aux seules politiques publiques. Il nous faut l’étendre au contrôle des lois.
Nous devons doter le Parlement d’instruments lui permettant de contraindre le Gouvernement à prendre les mesures d’application des lois. Le retard pris dans l’application des lois est un des principaux dysfonctionnements de notre République. Il faut donc inscrire dans la Constitution l’obligation de prendre les mesures réglementaires d’application des lois en consacrant le rôle du Parlement dans ce contrôle et permettre aux présidents des deux assemblées ainsi qu’à soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil d’État en l’absence de publication des mesures réglementaires d’application d’une loi dans un délai raisonnable.
Nous souhaitons également doter les commissions parlementaires de pouvoirs d’investigation renforcés, par exemple, permettre des enquêtes parlementaires sur des sujets qui font par ailleurs l’objet d’investigations judiciaires.
Mais la réforme des institutions ne peut s’arrêter aux seules portes du Parlement.
Une large majorité a proposé, dans un souci de plus grande efficacité de l’exécutif, de fixer un nombre maximum de membres du Gouvernement à 20.
Nous souhaitons également garantir une composition paritaire du Gouvernement et étendre aux membres du Gouvernement les incompatibilités électives applicables aux parlementaires.

Nous allons poursuivre le travail sur l’environnement législatif de cette révision (lois organiques, lois ordinaires).

Un programme législatif donc important au plan social, au plan du logement, un travail de fond sur l’alternative de la fiscalité locale.
Des réflexions sur une organisation différente de l’examen des lois de finances, lois de règlement.
La mise en place d’une dynamique d’évaluation et de contrôles.
L’expérimentation d’une procédure d’alerte sur les éventuelles surtranspositions à la suite des directives européennes.
Bien sûr, la procédure de révision constitutionnelle.
Le projet de loi « Pour un état au service d’une société de confiance » dit « droit à l’erreur » qui sera examiné par le Sénat au mois de mars.