Intervention de M. le Président du Sénat
« Le poids du Sénat dans la prise de décision parlementaire »
Association des Sénats d’Europe
21 octobre 2016


     
Monsieur le Président du Conseil des Etats, cher Raphaël Comte,
Mesdames les Présidentes,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
     
Le bicamérisme est une caractéristique essentielle de la Vème République française.
Il contribue à l’équilibre du système institutionnel imaginé par le Général de Gaulle dès la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Dans son discours de Bayeux, le 16 juin 1946, le Général de Gaulle affirmait sa foi dans le bicamérisme : « Il est clair et entendu que le vote définitif des lois et des budgets revient à une Assemblée élue au suffrage universel et direct. Mais le premier mouvement d’une telle Assemblée ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième Assemblée, élue et composée d’une autre manière, la fonction d’examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets ».
     
Par-delà les alternances, par-delà le rythme quinquennal de la majorité présidentielle, auquel nous ne sommes pas soumis, le Sénat joue un rôle essentiel de poids et de contrepoids dans la prise de décision parlementaire.
Ce rôle est étroitement lié à sa composition différente de celle de l’Assemblée nationale : nous sommes les élus des élus, essentiellement territoriaux, donc élus au suffrage universel indirect, et le Sénat constitue l’Assemblée représentant les territoires de la République (article 24 de notre Constitution).
     
C’est notre légitimité démocratique, car si nous ne sommes pas fédéralistes, notre République est en vertu de la Constitution une « République décentralisée ».
     
Plusieurs éléments confirment la réalité du poids du Sénat.
    

Même si le bicamérisme est inégal pour les lois ordinaires, « asymétrique » pour reprendre la formule du Président du Sénat espagnol, le Sénat possède les mêmes attributions que l’Assemblée nationale, tant en matière de législation que de contrôle de l’action du Gouvernement. Son influence en matière d’élaboration de la législation est déterminante, quelle que soit la situation politique.
     
Depuis ma réélection en 2014 à la Présidence du Sénat, les deux assemblées n’ont pas les mêmes sensibilités politiques.
Pour autant, nous avons souhaité aller vers une « opposition constructive », sans rompre les fils du dialogue avec les exécutifs, Gouvernement et Présidence de la République :
Quelques chiffres pour la session 2015-2016 :

- environ trois quarts des textes sont adoptés définitivement dans les mêmes termes par les deux assemblées,  soit au fil de la navette soit après accord de la commission mixte paritaire ;
. la procédure du « dernier mot », qui permet au Gouvernement de demander à l’Assemblée nationale de trancher un différend entre les deux chambres, ne concerne depuis 1958 que 10 % des textes, 20% actuellement ;    
- les amendements adoptés par le Sénat sur les textes législatifs en discussion sont très majoritairement repris par l’Assemblée nationale - le Sénat est à l’origine de nombreux textes de loi : sur l’année parlementaire écoulée, soit près de 20 % des textes définitivement adoptés.

Ces quelques données illustrent la « moisson du bicamérisme ».

Au-delà de cet aspect purement quantitatif, le Sénat pèse par l’adoption de dispositions législatives novatrices.
Deux exemples seulement :

1) - dans le cadre de la loi sur la « biodiversité » adoptée l’été dernier, le Sénat a été à l’origine de l’introduction dans le code civil d’un régime de responsabilité du fait des atteintes à l’environnement, visant à répondre aux problématiques soulevées par la « marée noire » du navire Erika sur la côte Atlantique en 1999 ;

2) - je pense également aux différents textes relatifs à la lutte contre le terrorisme. Le Sénat a introduit des mesures volontaristes dans ces différents textes, qui ont ensuite été acceptées par l’Assemblée nationale. Le taux de reprise a avoisiné les 90 %....
Par ailleurs, le Sénat, garant traditionnel des libertés fondamentales, tempère les « aspérités » de l’Assemblée nationale.

Ajoutons que la voix du Sénat porte également dans le cadre de la diplomatie parlementaire.

Nous sommes appelés à autoriser, avec l’Assemblée nationale, la prolongation des interventions des forces armées à l’étranger, comme ce fut le cas dernièrement pour l’intervention de nos forces aériennes en Irak et en Syrie.

Mais la diplomatie parlementaire ne se limite pas à ce rôle institutionnel. Elle complète, soutient les efforts, apporte son langage propre aux relations diplomatiques, sans entrer en contradiction pour autant avec la diplomatie d’Etat à Etat. Elle est parfois devancière : la visite officielle que j’ai accomplie en Iran au mois de décembre 2015 était la première de ce niveau depuis la révolution islamique de 1979 et visait à préparer la visite officielle en France du Président Rohani.

Les secondes chambres font aussi de la diplomatie par l’exemple : dans nombre de crises au Proche-Orient ou en Afrique sub-saharienne, mais aussi en Europe, la recherche d’une solution politique passe souvent par une meilleure articulation entre la nécessaire reconnaissance de l’unité nationale et la prise en compte de la diversité des revendications, sur des bases territoriales. En Côte d’Ivoire et au Mali, en Syrie peut-être demain, l’institution de secondes chambres peut répondre à ces besoins.

Lorsqu’une seconde chambre n’existe pas, son expertise peut être mise à contribution pour mieux conjuguer diversité territoriale et unité de la Nation : c’est ce que nous avons entrepris avec la Rada ukrainienne, afin de partager notre expérience de la décentralisation et pour réussir l’accord de Minsk  II.

Le Sénat est reconnu pour l’attention qu’il porte à la qualité de la loi. C’est d’ailleurs l’une de mes priorités.

Monsieur le Président du Conseil des Etats : Dans vos propos introductifs, vous avez souhaité savoir les évolutions récentes du rôle du Senat. Pour le Sénat de la République française, elles sont liées soit à des révisions constitutionnelles ou à des nouvelles pratiques.

Avec la réforme de 1995, nous sommes passés d’un parlement « à éclipses », deux sessions de trois mois à un parlement à temps complet pour mieux suivre les politiques européennes et veiller au principe de subsidiarité. De six mois a neuf mois sans compter la ou les sessions extraordinaires. Cela rend plus continue notre fonction de contrôle.

Réforme de 2000. C’est le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral : Les élections législatives ne sont que la réplique de l’élection présidentielle. Le Sénat lui n’est pas soumis au rythme du quinquennat. Avec un mandat de six ans et le renouvellement par moitié, le Senat peut affirmer son autonomie et la continuité de la République par-delà les alternances quinquennales. Je pense aux propos de notre collègue tchèque sur la continuité.

Réforme de 2003 : priorité d’examen par le Senat d’examen des textes sur les collectivités territoriales ; c’est le premier mot donné au  Senat ;

La révision de 2008. Très importante. Le Senat délibère désormais sur le texte de la commission, sauf les textes financiers, la révision constitutionnelle et l’état de crise.

Les rôles du gouvernement et du Senat sont inversés.

J’y ajoute le partage de l’ordre du jour : 2 semaines gouvernementales, 1 semaine de contrôle, 1 semaine d’initiative parlementaire,

- La consultation des commissions par vote sur les principales désignations du président de la République.
- Au-delà de quatre mois, la prolongation des interventions armées à l’extérieur du territoire doivent être autorisées par le Senat et l’Assemblée nationale, avant même toute opération extérieure, un débat est organisé au Senat.

La réforme interne de nos méthodes de travail en 2014-2015.

Siéger moins en séance pour mieux délibérer, valoriser la fonction législative des commissions avec notamment une procédure d’examen en commission, renforcer et diversifier le contrôle du gouvernement. Comme l’a souligné le Président du Bundesrat allemand, M. Stanislaw Tillich, nous sommes appelés à légiférer plus vite, encore que nous légiférons trop.  

Chaque semaine, nous avons une séance de questions d’actualité retransmise sur la télévision publique, la chaine parlementaire et les réseaux sociaux, ce qui nous donne plus de visibilité.

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Tous ces éléments illustrent, Mesdames les Présidentes, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, le poids du Sénat dans la prise de décision parlementaire et son rôle de contrepoids et d’équilibre.

Nous jouons ce rôle de balancier stabilisateur de la République, car nous sommes à l’écoute attentive des 550 000 élus locaux et de l’ensemble des citoyens, avec par exemple plus de 10 000 contributions sur la thématique de la simplification des normes d’urbanisme.

Pour le futur :

Afin de renforcer cette écoute, nous allons  mettre en place une plateforme de dialogue citoyen sur les textes législatifs les plus importants, ainsi que sur les questions d’actualité.

La semaine prochaine, notre Bureau délibèrera sur un plan d’action numérique : « Plus de numérique pour un Sénat mieux connecté et pour un dialogue citoyen plus interactif ».

Je crois à la démocratie  représentative, mais cela n’empêche nullement une participation plus large des citoyens.

C’est, me semble-t-il, la meilleure réponse démocratique aux dérives du populisme.

C’est ma conviction profonde : les secondes chambres, souvent contestées dans leur légitimité, doivent conserver et renforcer le contact, le lien avec le « terrain », avec la « base » de la démocratie locale, avec les élus des territoires, qui nous permettent de mieux comprendre et de mieux satisfaire les attentes de nos concitoyens.

Je vous remercie.