Discours de M. le Président du Sénat à l’occasion des "Entretiens de Chartres"
Vendredi 9 octobre 2015


Madame la Ministre,
Monsieur le Député-Maire,
Monsieur le Président du Conseil départemental,
Chers collègues parlementaires,
Monsieur le Président de l’APCMA,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les artisans,

Merci de m’avoir convié à ces Artisanales de Chartres qui, au fil des années, sont devenues un rendez-vous incontournable de l’artisanat.

C’est un moment d’échanges et de promotion de l’artisanat. C’est aussi l’occasion de faire le point sur la situation et les problèmes auxquels peuvent être confrontés les artisans.

Président du Sénat, l’Assemblée des territoires, vous comprendrez que je suis d’abord sensible au fait que l’artisanat est, par définition, présent sur l’ensemble du territoire !

Il est également présent dans une multitude de secteurs aussi différents que les métiers de bouche ou le bâtiment. On ne peut épuiser la variété et la diversité des métiers de l’artisanat.

Ancien ministre du travail et toujours sensible aux questions d’emploi, je sais bien également le rôle que joue l’artisanat en terme de créations d’emplois dans notre pays et de formation des jeunes.

C’est d’ailleurs les deux thèmes que vous avez retenus cette année : la pénurie de maîtres d’apprentissage et la suppression du chômage dans les métiers de l’artisanat.

Alors vous me permettrez de centrer mon propos sur la question de l’apprentissage, sujet bien connu au Sénat qui organise, notamment, chaque année, des Rencontres sur ce sujet en partenariat avec les Chambres de Métiers et je salue le Président Alain Griset auquel la délégation aux entreprises consacre ses travaux actuels.

Nous savons que, non seulement l’apprentissage ne parvient pas à être une filière de formation à part entière, mais qu’en plus le nombre actuel d’apprentis plafonne autour de 400 000 avec une tendance « baissière ».

Mais une prise de conscience de la nécessité d’une réforme structurelle est, je crois, en train de se cristalliser dans notre pays. Comment pouvons-nous, en effet, continuer d’accepter qu’un jeune Français sur quatre soit hors de l’emploi ? Comment pouvons-nous continuer d’accepter qu’un jeune Français sur cinq quitte chaque année le système scolaire sans diplôme ou sans qualification ?

Et au même moment, on constate que l’apprentissage ne se développe plus et il reste encore, malgré tous les discours, considéré, par les jeunes et par leurs parents, comme une filière par défaut !

Au même moment, chez nos voisins d’outre-Rhin, et encore plus en Autriche et en Suisse, on constate qu’au contraire l’apprentissage est une voie d’excellence et largement utilisée par toutes les entreprises quelle que soit leur taille et que le taux de chômage des jeunes est bien différent du nôtre.

Un récent rapport d’information de la Commission des affaires sociales du Sénat sur l’apprentissage en Allemagne et en Autriche nous a apporté un éclairage précieux et particulièrement éclairant sur les vertus de ces modèles !

Certes, il serait absurde de vouloir copier trait pour trait ce système, tant il repose sur une culture et une organisation différentes des nôtres.

Mais nous devons nous en inspirer car nous ne pouvons nous satisfaire des chiffres que je viens d’évoquer sur le chômage des jeunes.

La solution n’est sans doute pas de mettre davantage d’argent public dans le dispositif.
Nous l’avions fait à partir de 2004, avec Jean Louis Borloo dans le cadre du Plan de cohésion sociale, et il fallait alors le faire afin d’inciter les entreprises, notamment les TPE-PME.

A l’inverse, il ne s’agit pas de vouloir faire des économies de bout de chandelle, comme, malheureusement, cela a été le cas depuis 2012, non sans allers retours un peu difficiles à comprendre et à expliquer et qui a été un signal conduisant au découragement.

Aujourd’hui la vraie question est de savoir comment rendre notre système de formation en alternance plus rationnel et plus efficace. Au même coût et surtout avec une stabilité législative, réglementaire et financière.

Pour cela, il faut placer les branches professionnelles et les entreprises au centre du dispositif. Cela signifie, très concrètement, leur « donner la main » sur le contenu des formations et des référentiels de formation. Cela peut avoir pour conséquence, à la fois de diminuer le temps de formation par rapport au temps de travail, mais aussi, peut-être, d’étendre le temps global de l’apprentissage.

En tout cas, sur ce sujet, comme sur tant d’autres, accepter des différences selon la nature des formations et ne pas plaquer des dispositifs préconçus sur des situations différentes.

Cela pourrait aussi nous amener à mettre progressivement fin au dualisme actuel entre l’apprentissage et l’enseignement professionnel scolaire.

Pourquoi ne pas prévoir que CAP et Bac pro ne puissent dorénavant être préparés que par la voie de l’apprentissage ? L’apprentissage devenant ainsi la voie normale de la préparation aux diplômes de l’enseignement professionnel secondaire. Ainsi, très progressivement, on mettrait fin au dualisme qui n’est plus justifié entre CFA et Lycée professionnel.

Cela nous conduit également à nous interroger sur la refonte du pilotage de l’apprentissage ainsi reconfiguré. Il doit être du ressort des régions, responsables non seulement des CFA, mais aussi des Lycées professionnels.

Enfin, il faut avoir un cadre juridique favorisant l’engagement des entreprises. Si l’apprentissage n’est pas attractif pour une entreprise, il ne se développera pas.

Ou alors l’on retombera dans le cercle vicieux, tellement français malheureusement, de la définition de normes, partant généralement de bonnes intentions, mais qui sont des freins, ici à l’innovation, là au développement, ou là encore à l’emploi. Et afin de compenser l’effet malthusien de ces normes, on invente des subventions…

Résultat, ça coûte cher et ça marche mal : l’apprentissage en est un « cas d’école », si j’ose dire !

Jouons gagnant-gagnant. Des formations peut être réduites, en tout cas moins académiques. Des rémunérations tenant davantage compte du temps de travail effectif, hors formation. Des aides publiques recentrées. Un parcours scolaire mieux adapté au marché du travail et conduisant par conséquent à l’emploi. C’est ce que j’appelle gagnant-gagnant !

Chacun, apprenti, entreprise, renonce à de pseudo-acquis mais gagne qui une vraie formation et un emploi, qui une main d’œuvre en formation motivée.

Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques pistes pour que l’apprentissage soit attractif pour les artisans et que l’on ne se pose plus la question de la pénurie de maîtres d’apprentissage, sujet en soi sur lequel le Sénat travaille.

Je félicite d’ailleurs l’APCMA d’avoir lancé, cette année, un jury pour récompenser les meilleurs maîtres d’apprentissage. Ils ont un rôle irremplaçable d’entrepreneur et de formateur et je tiens à leur rendre hommage.

Enfin, je crois qu’en renforçant la place de l’apprentissage avec les réformes que je viens d’évoquer, celui-ci sera plus attractif pour nos jeunes.
Ainsi, la deuxième question que vous évoquez, la suppression du chômage dans et par les métiers de l’artisanat ne se posera pas !

Je vous remercie.