Allocution du Président du Sénat
Association des Maires de la Charente-Maritime
Vendredi 2 octobre


Madame la Préfète,
Cher Dominique Bussereau,

Je voudrais commencer mon propos en saluant le renouveau que vous incarnez à la tête de l’Assemblée des Départements de France. Vous arrivez à un moment particulièrement crucial pour la collectivité départementale. Après avoir été menacés dans leurs existences même, sans raison et sans succès heureusement, les départements se trouvent aujourd’hui confrontés au défi financier le plus lourd qu’ils n’aient jamais connu. Votre connaissance de l’action publique, qu’elle soit locale ou nationale, et la confiance que vous accorde tous vos pairs seront des atouts lors des négociations difficiles qui s’annoncent.

Monsieur le Président (Michel Doublet) qui nous accueillez, membre de la commission des affaires sociales, à vos débuts, puis des affaires économiques, puis de celle du développement durable et de l’aménagement du territoire à partir 2012, vous avez exercé quasiment toutes les facettes du métier de Législateur.

Chers collègues Sénateurs, Corinne Imbert et Daniel Laurent, outre votre rôle actif à la commission des affaires sociales, pour l’une, et à celle des affaires économiques pour l’autre, vous êtes également, tous deux, membres d’un des cercles les plus éminents et les plus convoités du Sénat : le groupe d’étude sur la vigne et le vin !

Je salue également Claude Belot, une des grandes voix du Sénat. Depuis votre fameux rapport sur l’évolution et l’organisation des collectivités territoriales, en 2009, je me dis, tous les jours, que les Gouvernements successifs auraient mieux fait de vous écouter !

Cette quasi-réunion de familles entre sénateurs et anciens sénateurs, ne fait pas oublier Didier Quentin, qui a trouvé, à l’Assemblée Nationale, le prolongement naturel de son métier de diplomate au sein de la commission des affaires étrangères.

Mesdames et Messieurs les Maires, chers collègues,
Chers amis,

Je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre invitation à intervenir aujourd'hui à l’occasion de l’assemblée générale des maires de la Charente-Maritime. Laissez-moi vous dire combien je suis heureux d’être parmi vous.

J’ai remis, le 15 avril dernier, un rapport au Président de la République sur l’engagement républicain qui, pour moi, est indéfectiblement lié à la restauration de notre cohésion nationale face au communautarisme.

J’ai abordé un certain nombre de sujets ; je vous en parlerai dans un instant. Mais au moment même où la mode était à célébrer « l’engagement associatif », « le service civique », « l’engagement citoyen », j’ai commencé par rappeler au chef de l’État que l’engagement républicain, l’engagement au service des autres, c’est d’abord l’engagement électif.

Et cela fait 150 ans que cela dure !

Les 550 000 élus que compte notre pays, qu’ils soient municipaux ou départementaux, constituent une trame irremplaçable pour notre pays et notre démocratie, pour le lien social et pour le maintien d’un aménagement concerté du territoire. C’est vers vous que l’on se tourne chaque fois que le pays va mal.

La caractéristique des élus locaux, et tout particulièrement des maires, c’est qu'ils sont « à portée d’engueulade » des Français. Ce n’est pas le cas de tout le monde !

C’est inconfortable, mais tellement essentiel !

Car si le maire, si l'élu municipal, est à « portée d’engueulade », c’est bien parce qu’il est identifié et sur le terrain, à proximité des concitoyens.

Pourtant, malgré cela, jamais dans notre histoire les collectivités territoriales n’auront connu un tel bouleversement : 4 lois en moins de 5 ans, un poids de la règlementation de plus en plus lourd et un jeu de dupes sur les finances publiques locales.

Les finances publiques locales et la baisse des dotations

Je commencerai par ce premier sujet. Vous avez souligné combien la baisse des dotations était durement ressentie par les acteurs locaux, communes et départements.

Au sein des quelque 1 200 Md€ de dépenses publiques, nul ne peut raisonnablement affirmer qu'il n'y a pas des dépenses sur lesquelles on ne peut peser. C'est incontestable.

Mais ces efforts doivent être réalisés ensemble et non pas les uns contre les autres.

Ce n'est pas en opérant des reports de charges entre l’État et les collectivités territoriales que nous parviendrons à améliorer la situation d'ensemble.

La baisse programmée des dotations annuelles de 12,5 Md€, entre 2014 et 2017, soit 28 Md€ en cumulé, est particulièrement brutale et injuste. Elle n’est pas acceptable !

Le Sénat l’a dit lors de la loi de finances pour 2015, il l’a réaffirmé lors du débat sur la loi NOTRe et nous travaillons ensemble, avec l’Association des Maires de France et l’Assemblée des Départements de France que préside Dominique Bussereau, pour que l’Exécutif entende ce message.

Je récuse, d’ailleurs, l’argumentation du Gouvernement qui justifie l’ampleur de cette baisse par le fait que les autres ressources des collectivités, comprenez les impôts locaux, augmenteraient suffisamment pour la compenser.

Étrange raisonnement, à un moment où la pression fiscale, quelle que soit sa nature, pèse lourdement sur les ménages et sur les entreprises, que d’affirmer que le contribuable local va financer les économies que réalise le contribuable national... C’est un raisonnement digne du Sapeur Camember !

Les conséquences de cette baisse programmée des dotations, vous les connaissez car vous les vivez au quotidien.

La première conséquence : c’est un risque d’effet récessif majeur, se traduisant par une baisse de l’épargne brute, et donc de l’investissement public local. En 2014, l’investissement public local a baissé de près de 5 Md€, soit 8,5 %.

D’aucuns ont prétendu que ce « trou d’air » n’était que la conséquence du cycle électoral et que le niveau d’investissement des collectivités reprendrait son cours normal en 2015.

Malheureusement, comme l’a montré le rapport remis par les sénateurs Guené, Mézard et Dallier, en juillet 2015, l’investissement public local en 2015, non seulement ne s’est pas redressé mais a diminué encore de 4 Md€ supplémentaires.

Or, en dehors des grands centres urbains, où les entreprises investissent spontanément, l’investissement public joue un rôle de levier majeur pour l’économie. C’est typiquement le cas dans un département comme le vôtre.

À terme, les études économiques ont montré que cette diminution de l’investissement public local, si elle n’est pas jugulée, fera perdre 0,6 % de PIB pour le pays. C’est une situation grave.

En énonçant simplement ces chiffres, on conçoit aisément que les augmentations ponctuelles de la DETR, un meilleur remboursement du FCTVA ou que le fonds annoncé récemment par l’Exécutif ne seront pas à la hauteur de l’enjeu et de la situation que va connaître l’économie locale.

La deuxième conséquence est la fragilisation structurelle d’un grand nombre de collectivités, notamment parmi les communes. À l’horizon 2018, Michel Klopfer, un des cabinets les plus réputés en matière de finances locales, estime que bon nombre des communes, et la moitié des départements français, seront dans le rouge.

Là encore, attention aux raccourcis faciles qui laisseraient croire que la situation financière des collectivités est le fruit d’une gestion trop dispendieuse. Tout au contraire, les collectivités ont montré leur sens des responsabilités.

Car les faits et les chiffres sont là : le même rapport Mézard/Guené/Dallier a montré que 63 % des collectivités ont voté, en 2015, une diminution des dépenses de fonctionnement. Et pour près de 40 % d’entre elles, cette baisse se situe entre 2 et 5 %. Quand on connaît la rigidité des dépenses de fonctionnement, on mesure pleinement l’importance de l’effort accompli.

Comme l’ont rappelé l’ensemble des associations d’élus, « en ce qui concerne les dotations aux collectivités, il y a donc urgence à tout revoir : le calendrier, la méthode et le volume de la baisse ».

Que fait, pendant ce temps, le Gouvernement pour réformer les politiques d’aides individuelles de solidarité (les aides sociales que verse le Département) dont le coût explose : Rien !

Que fait le même Gouvernement pour stopper une inflation normative, toujours plus coûteuse et tatillonne, alors que les acteurs n’ont qu’une envie, c’est d’agir pour leurs concitoyens : Rien !

Et ceux, qui, à Paris, dressent un réquisitoire contre la gestion des collectivités, et notamment des communes, sont les mêmes qui demandent sans cesse à ces dernières de financer ou de cofinancer toujours plus de politiques publiques : les rythmes scolaires, la vie associative, les politiques sociales, l’accueil des demandeurs d’asile, les infrastructures de transport…

Dans ces conditions, faut-il donc s’étonner que la journée de contestation du samedi 19 septembre ait eu un tel succès, dans ce département comme partout en France ?
Non content de cela, le Gouvernement vient de rajouter du trouble à la confusion, en insérant à la va-vite une réforme de l’architecture de la DGF communale dans le projet de loi de finances pour 2016.

J’ai demandé solennellement au Premier Ministre, hier matin, que soient communiquées, dans les plus brefs délais, les conséquences de cette réforme pour chaque commune et chaque EPCI.

Car cette réforme de la DGF va se traduire par une baisse supplémentaire de dotation –c’est-à-dire en plus de celle qui s’impute déjà sur vous- pour 12.580 communes dans notre pays, c’ est à dire pour une commune sur trois.

Le poids de la règlementation

A cette épreuve s’en rajoute une autre, celle de l’hypertrophie de la règlementation qui revient à imposer aux collectivités une double peine en leur demandant, à la fois, de faire des économies à marche forcée, et en reportant sur leurs épaules le poids de nouvelles règlementations ou de nouvelles politiques publiques.

Le poids normatif, la tutelle que crée le flot incessant de règlementations nouvelles, est devenu un handicap majeur, non seulement pour les collectivités, mais pour la croissance elle-même.

Cette règlementation coûte également très cher aux collectivités et au contribuable local : 1,3 Md€ supplémentaire en 2013, selon les propres chiffres de la DGCL !

Plus de 30 ans après la décentralisation de 1982, les collectivités ne veulent plus être infantilisées par l’État. Elles souhaitent une relation professionnelle et confiante avec ce dernier, et demandent plus de liberté et de souplesse dans leurs actions quotidiennes.

Cependant, je prends acte de la volonté de ce Gouvernement de réduire le coût de la règlementation et le Sénat l’aidera, sincèrement, dans cette tâche.

Pour ma part, j’ai voulu que la réduction de la règlementation devienne un objectif politique et quantifiable du Sénat.

D’ailleurs, je me suis engagé personnellement dans ce combat pour réduire l’inflation législative, dont quelques lois récentes sont les meilleurs, ou je devrais plutôt dire les pires, exemples.

Car, à chaque texte important, nous revivons l’Acte 4 du Cid.

La loi Macron : « Nous partîmes avec 106 articles (…). Nous nous vîmes plus de 300 en arrivant au port » (dont 75 % introduits par le Gouvernement ou sa majorité en cours de discussion). La loi portant diverses dispositions pénales, présentée par Madame Taubira : « Nous partîmes avec 8 articles (…). Nous en vîmes 39 en arrivant au port ». Et le Conseil constitutionnel en censura 27…

J’exercerai désormais personnellement le contrôle de conformité de l’article 41 de la Constitution qui permet à un Président d’Assemblée parlementaire d’écarter, avant même sa discussion, tout amendement parlementaire qui ne présente pas un caractère législatif. Il y en a eu 50 dans l’actuel projet de loi Santé…

Je suis le premier Président d’une Assemblée à faire cela.

Le projet de loi NOTRe

Je voudrais également vous dire quel a été l’état d’esprit du Sénat lors de la discussion de la loi NOTRe.

Le nouveau Sénat, élu en septembre 2014, a hérité d’un projet de réforme territoriale assez confus, où, pour reprendre les mots du Président Mézard, « le Gouvernement a oublié que la ligne droite était le meilleur chemin pour aller d’un point à un autre… ».

 Quelques exemples ont illustré l’état de confusion dans lequel a été élaboré ce texte.

Le premier a concerné la clause de compétence générale des départements et des régions, que la loi de 2010 avait supprimé. La loi Métropole l’a rétablie en janvier 2014, et au même moment, le Gouvernement a annoncé de nouveau sa suppression.

Le second exemple est le nombre incroyable d’allers-retours sur l’avenir des conseils départementaux et sur leur rôle.

Supprimés en avril 2014, lors de la déclaration de politique générale du Premier Ministre, rétablis en octobre par le même Premier Ministre devant le Sénat, affirmés « mais pour un temps » par le Président de la République lors de ses vœux, et au final confirmés dans la plupart de leurs compétences (les « routes », les collèges, les ports maritimes…) comme l’a obtenu le Sénat.

Mais ce qui a été probablement le plus grave, dans ces errements, ce furent les « innovations » (sic) de l’Assemblée nationale sur le bloc communal que le Gouvernement a soutenues un temps, avant de renoncer à certaines d’entre elles.

Le Sénat s’est opposé avec la plus grande vigueur à tout ce qui pouvait déstabiliser la place de la commune dans notre édifice institutionnel.

À commencer par l’élection au suffrage universel direct et sans fléchage des élus intercommunaux. Le Sénat a d’ailleurs fait de ce sujet une des conditions non négociables pour une issue positive en commission mixte paritaire. C’était l’avenir des communes qui se jouait sur cette question.

En matière d’intercommunalité, le Sénat a obtenu que le seuil minimal « de droit commun » soit abaissé de 20 000 habitants à 15 000 habitants, et qu’il puisse être adapté en fonction d’un critère de densité afin de prendre en compte la problématique des territoires ruraux.

Mais le Sénat a également désapprouvé le principe même du seuil considérant que les collectivités doivent rester maîtres de leurs destins ; destins qu’elles ont bien souvent pris en main toutes seules. La Charente-Maritime en est le meilleur exemple, avec une pratique déjà longue et apaisée de l’intercommunalité. Telle la Communauté des Communes de la Haute-Saintonge de Claude Belot, célèbre pour être, depuis longtemps, celle de France qui a le plus de communes membres.

La logique d’uniformisation du Gouvernement a également une conséquence plus profonde sur ces mêmes intercommunalités. Elle impose désormais comme modèle des intercommunalités à fiscalité propre gestionnaires, alors que beaucoup d’entre elles ont été créées sous la forme d’intercommunalité de projets, afin de ne pas faire flamber les dépenses publiques.

Cette question se pose de manière cruciale pour les compétences d’eau et d’assainissement où le Gouvernement semble avoir fait abstraction de l’existant. Les rapporteurs ont eu beau rappeler à quelques esprits parisiens que les contours d’un bassin versant, l’implantation d’une usine de traitement d’eau ou d’épuration, ne se décidaient pas en fonction de contours administratifs mais d’une réalité physique et économique : ce fut peine perdue.

Nous avons seulement pu obtenir un délai jusqu’en 2020. Mais cette question fait partie de celles qui seront examinées par la commission des Lois du Sénat dans le cadre de son « droit de suite ».

Comme vous pouvez le constater, tout au long de la discussion parlementaire, la Haute Assemblée est restée fidèle à la formule de Gambetta qui désignait le Sénat comme « le grand conseil des communes de France ».

Non pas par habitude, ou par conservatisme, mais parce que la commune est un repère institutionnel pour les Français.

Lorsque j’ai préparé le rapport, que j’ai remis au Président de la République, j’ai pu constater qu’une partie importante des Français, « silencieux », ont le sentiment d’être oubliés.

Ce que je nomme « la France d’à côté » - et que le géographe Christophe Guilluy appelle « la France périphérique » -, c’est-à-dire cet ensemble sociologique qui s'étend des marges périurbaines les plus fragiles des villes jusqu'aux espaces ruraux, en passant par les petites villes et villes moyennes, se trouve mise à l’écart des grandes régions et des métropoles mondialisées, qui regroupent les centres villes et leurs banlieues.

Cet espace n’est pas marginal et ne se réduit pas au seul espace « hyper-rural ». Il représente au moins la moitié des Français.

Dans cette « France d’à côté », il y a le besoin d’une collectivité, proche, visible pour ceux qui ont le sentiment d’être oubliés et qui se sentent trop souvent invisibles.

Pour ces derniers, la commune n’est pas une option. C’est une nécessité !

Nous devons donc remettre au cœur des préoccupations matérielles, politiques, mais aussi symboliques de la Nation, cette part essentielle de la France à laquelle appartiennent vos territoires.

Nous devons réinventer une politique d’aménagement du territoire qui viendra appuyer toutes les démarches de revitalisation ou de développement.

La création des nouvelles grandes régions ne doit pas se traduire par un nouvel éloignement des services publics pour nos concitoyens. En particulier, leur création ne doit pas être un prétexte pour réduire encore plus la présence de l’État là où elle est pourtant nécessaire.

Nos politiques publiques, comme nos lois, sont de plus en plus conçues pour les espaces urbains.

Mais l’unicité de la Nation ne signifie pas la déclinaison uniforme de la norme et de nos politiques sur tous les territoires, notamment en matière socio-économique. Nous devons savoir adapter nos lois aux territoires, prendre en compte ses spécificités, ses fragilités mais aussi ses atouts.

En un mot, nous devons donner le jour à une politique volontariste ciblée vers les territoires qui ne seront pas demain dans les grandes métropoles mais qui constituent le cœur battant de notre pays.

Mesdames et messieurs les maires, chers amis,
Monsieur le Président de l’association des maires,

Lorsque l’on doute parfois de nos collectivités, il suffit, pour se rassurer, d’écouter les Français. La commune demeure l'institution publique dans laquelle ils ont le plus confiance.

L'étude rendue par le CEVIPOF, en février dernier, le démontre clairement : la commune arrive loin en tête, suivie d'ailleurs par la collectivité départementale, devant les institutions nationales, régionales et européennes.

Au moment où nos concitoyens ont précisément besoin d’unité et de repères institutionnels pour faire face aux troubles économiques, sociaux et géopolitiques que connaît notre pays, ce serait une grave erreur que de vouloir affaiblir celle des institutions dont ils se sentent le plus proche.

Alors, oui : l’institution communale, qui est le lieu naturel du lien républicain et de la proximité de l’action publique, a un avenir.

Ce n’est pas l’institution dépassée, que se plaisent à caricaturer quelques contempteurs parisiens ; mais au contraire un des piliers vivants de notre République.
Je pense même que c’est une « idée neuve » dont on va redécouvrir, dans les temps à venir, la modernité, les mérites et l’utilité pour notre Pays.

Je vous remercie.