Discours du Président du Sénat
Table ronde "Relancer l'apprentissage : une urgence pour les entreprises et pour l'emploi"
1er octobre 2015



Madame la Présidente de la Délégation aux entreprises,
M le Président Griset,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mesdames, Messieurs,

Merci, chère Elisabeth Lamure, d’avoir organisé ce matin cette table ronde sur la relance de l’apprentissage. La délégation aux entreprises que vous présidez joue ainsi, en concertation avec les commissions compétentes, Affaires sociales, Affaires économiques et Culture, pleinement son rôle d’identification des problèmes auxquels sont confrontées nos entreprises et de recherche des solutions de nature à favoriser la création d’emplois.

Le sujet de l’apprentissage est bien connu au Sénat. Nous organisons, notamment, chaque année, des Rencontres sur ce sujet en partenariat avec les Chambres de Métiers et je salue le Président Griset. Mais, au-delà de l’apprentissage dans l’artisanat, socle historique de l’apprentissage dans notre pays, le travail des commissions et de la délégation s’attache aussi à le promouvoir dans l’ensemble des secteurs et des entreprises, quelle que soit leur taille.

C’est en partant du constat que, non seulement l’apprentissage ne parvient pas à être une filière de formation à part entière, mais qu’en plus le nombre actuel d’apprentis plafonne et diminue autour de 400 000, qu’une prise de conscience, est, je crois, en train de se cristalliser dans notre pays.

Comment pouvons-nous, en effet, continuer d’accepter qu’un jeune français sur 4 soit hors de l’emploi, comment pouvons-nous continuer d’accepter qu’un jeune français sur 5 quitte chaque année le système scolaire sans diplôme ou sans qualification. Et qu’au même moment, on constate que l’apprentissage ne se développe plus et qu’il reste encore considéré, par les jeunes et par leurs parents, comme une filière par défaut !

La table ronde d’aujourd’hui a été conçue par la Délégation comme une véritable réunion de travail. Vous avez d’abord cherché à poser un diagnostic et à dégager des remèdes en partant des analyses des économistes, MM. Ferracci et Martinot ; M. Martinot qui est aussi un praticien et qui connait bien les complexités de l’action publique. Puis vous avez confronté ces analyses avec les propositions des entrepreneurs du terrain Mme Dubrac et M. Griset.
Ce diagnostic une fois posé, vous avez voulu entendre les témoignages venant d’entrepreneurs,  MM. Barki, Planchot, les témoignages d’apprentis comme Mme Gilbert ou M. Marietti ou d’un responsable d’un CFA comme M. Bensaïd.

Et vous avez aussi bénéficié du témoignage apporté par M. Forissier à la suite de la mission d’information de la commission des Affaires sociales sur le système d’apprentissage en Allemagne et en Autriche. Témoignage éclairant sur les vertus du modèle germanique !

Nous avions déjà eu, l’an passé, un colloque très instructif sur l’apprentissage en Autriche à l’initiative du Sénateur Trillard président du groupe d’amitié France Autriche. Et j’ai, moi-même, eu l’occasion d’entendre le ministre helvétique de la formation M. Dell’Ambroggio à l’université d’été du MEDEF, en août dernier.

Il serait absurde de vouloir copier, trait pour trait, ces systèmes tant ils reposent sur une culture et une organisation différente de la nôtre. Mais nous devons nous en inspirer car nous ne pouvons nous satisfaire des chiffres que je viens d’évoquer sur le chômage des jeunes. Et comment ne pas être sensible au fait que, comme vous l’avez rappelé, il y a trois fois plus d’apprentis en Allemagne qu’en France alors que les aides publiques sont sensiblement moins généreuses….

Enfin, la politique de gribouille menée depuis 2012, dans un contexte économique certes défavorable, a conduit à une baisse sensible des entrées en apprentissage. Impossible, par conséquent, de rester les bras croisés et d’accepter le statu quo. Et cela d’autant plus, comme je l’ai dit, qu’une prise de conscience de la nécessité d’une réforme structurelle se produit, et cela sans esprit partisan.

Je souhaite dégager plusieurs conclusions à partir de tous les échanges de ce matin, et ce faisant, dresser quelques pistes de réformes.

1) La solution n’est pas de mettre davantage d’argent public dans le dispositif. Nous l’avons fait à partir de 2004, avec Jean-Louis Borloo, et il fallait le faire afin d’inciter les entreprises, notamment les TPE-PME. Mais aujourd’hui la question est de savoir comment rendre notre système de formation en alternance plus rationnel et plus efficace. Au même coût !

2) Pour cela il faut placer les branches professionnelles et les entreprises au centre du dispositif. Cela signifie, très concrètement, leur donner la main sur le contenu des formations et des référentiels de formation. Cela peut avoir pour conséquence, à la fois de diminuer le temps de formation par rapport au temps de travail, mais aussi, peut-être, d’étendre le temps global de l’apprentissage. En tout cas sur ce sujet, comme sur tant d’autres, accepter des différences selon la nature des formations et ne pas plaquer des dispositifs préconçus sur des situations différentes.

3) Cela nous amène aussi à mettre progressivement fin au dualisme actuel entre l’apprentissage et l’enseignement professionnel scolaire. Pourquoi ne pas prévoir que CAP et Bac pro ne puissent dorénavant être préparés que par la voie de l’apprentissage ; l’apprentissage devenant ainsi la voie normale de la préparation aux diplômes de l’enseignement professionnel secondaire. Ainsi, très progressivement, on mettrait fin au dualisme qui n’est plus justifié entre CFA et lycée professionnel.

4) Cela nous conduit également à nous interroger sur la refonte du pilotage de l’apprentissage ainsi reconfiguré. Il doit être du ressort des régions, responsables, non seulement des CFA mais aussi des lycées professionnels.

5) Enfin,  il faut avoir un cadre juridique favorisant l’engagement des entreprises. Si l’apprentissage n’est pas attractif pour une entreprise, il ne se développera pas. Ou l’on retombera dans le cercle vicieux, tellement français malheureusement, de la définition de normes, partant généralement de bonnes intentions, mais qui sont des freins ici à l’innovation, là au développement ou là encore à l’emploi. Et afin de compenser l’effet malthusien de ces normes, on invente des subventions… Résultat, ça coûte cher et ça marche mal : l’apprentissage en est un cas d’école, si j’ose dire ! Alors jouons gagnant-gagnant. Des formations peut-être réduites, en tout cas moins académiques. Des rémunérations tenant davantage compte du temps de travail effectif, hors formation. Des aides publiques recentrées. Un parcours scolaire mieux adapté au marché du travail et conduisant par conséquent à l’emploi. C’est ce que j’appelle gagnant-gagnant ! Chacun, apprenti, entreprise, renonce à de pseudo-acquis mais gagne qui une vraie formation et un emploi, qui une main d’œuvre en formation motivée.

Voilà quelques pistes qui n’épuisent pas le sujet. Et qui, ne nous y trompons pas, remettent en cause bien des habitudes, pour ne pas dire des préjugés, ainsi que bien des avantages acquis. Mais elles méritent d’être lancées dans le débat politique. Et c’est pourquoi, je souhaite que nos collègues sénateurs se saisissent de ce sujet et déposent, sur les bases que vous avez partagées et que je viens d’évoquer, une PPL qui puisse être examinée dans le courant 2016 et ainsi enrichir le débat public.

Je vous remercie.