Discours de M. le Président du Sénat
à l’occasion de la commémoration de la 10ème journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition
Jardin du Luxembourg - Dimanche 10 mai 2015


Monsieur le Premier ministre,
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Madame la Présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, (Mme Myriam COTTIAS)
Mesdames, Messieurs,

Nous sommes réunis, aujourd’hui, pour commémorer la dixième Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition.

Cette cérémonie revêt, cette année, un caractère particulier, puisque le Président de la République, qui, traditionnellement préside cette manifestation, est à Pointe-à-Pitre pour l’inauguration du Mémorial ACTe où mon collègue Michel Magras, Sénateur de Saint-Barthélémy, Président de la Délégation à l’outre-mer, m’a représenté car j’ai tenu à être, ici, parmi vous.

Voulue par le Président Jacques Chirac, cette Journée nationale est intimement liée au Sénat.

D’abord, par le jour retenu pour cette commémoration, puisque le 10 mai, c’est la date où notre Haute assemblée a solennellement qualifié la traite et l’esclavage de crimes contre l’humanité. Bien sûr, je n'oublie pas que cette date évoque également le 10 mai 1802 et l'émouvante proclamation de Basse-Terre de Louis Delgrès.

Ensuite, par le choix du jardin du Luxembourg comme lieu de mémoire et où a été érigé dès 2007 une sculpture de Fabrice Hybert, intitulée « Le cri et l’écrit », montrant ainsi qu’au cri des opprimés répondait l’écrit des lois. En effet, où mieux que dans cette enceinte, pouvait-on, par cette sculpture, rendre hommage aux esclaves se révoltant pour leur liberté, mais aussi à ceux qui se sont illustrés, à leurs côtés, dans le combat en faveur des droits de l’Homme, à travers l’adoption de textes libérateurs.

Je pense en particulier à deux illustres sénateurs : l’Abbé Grégoire, homme d’église, pour qui tous les hommes sont créés à l’image de Dieu et qui, par là même, doivent être égaux.
L'abbé Grégoire arrachera à la Convention, au prix de nombreux efforts, le 4 février 1794, l’abolition de l’esclavage.

Par ce vote, la France devient le premier pays abolitionniste. Hélas, l’abolition ne durera que jusqu’en 1802 où l’esclavage sera rétabli, prouvant ainsi que rien n’est irréversible, que rien n’est définitivement acquis.

Je pense également à un autre sénateur qui reprend, quelques années plus tard,  le combat avec autant de détermination et de passion : Victor Schœlcher.

En effet, Victor Schœlcher, pour qui la résignation est une vertu d’invalide, obtiendra de haute lutte, en 1848, du Gouvernement provisoire de la 2ème République, l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies et possessions françaises.

Ainsi, par deux fois, c’est au nom des valeurs qu’incarne la République, liberté, égalité, fraternité, que le combat abolitionniste est avéré.

Ce moment de mémoire partagée ne doit cependant pas être un simple rappel d’évènements historiques, mais doit être, pour nous, outre un facteur de cohésion nationale, l’occasion de rappeler que l’esclavage et la traite négrière trouvent leur justification intellectuelle et morale dans le racisme et dans l’idée d’une race inférieure en contradiction totale avec notre idéal républicain.

Enfin, elle doit être également pour nous l’occasion de montrer que la lutte contre l’asservissement est malheureusement toujours d’actualité.

En effet, comment tolérer en 2015 que dans certaines parties du monde, des formes d’asservissement perdurent, comme celui des femmes ?

Rien ne distingue le visage d’une jeune africaine victime de la traite négrière au 18ème siècle de celui d’une jeune chrétienne ou d’une jeune yézidie réduite en esclavage sexuel par Daech ou Boko Haram aujourd’hui.

Les mêmes larmes coulent de leurs yeux ! Partout le même désespoir, la même souffrance, la même agonie !

Pire, à l’exploitation d’une force de travail s’ajoute une exploitation sexuelle, comme si la confiscation de leurs bras ne suffisait pas. Ces barbares s’en prennent à leur corps et à leur intimité… C’est-à-dire à leur âme.

Parmi les millions de personnes victimes de l’esclavagisme dans le monde, recensées par les Nations Unies, combien de générations de familles enchaînées dans la servitude, combien de jeunes filles vendues pour être livrées au mariage forcé et à la prostitution ?

Aujourd’hui, l’Etat islamique, en Syrie et en Irak, et Boko Haram, principalement au Nigeria, utilisent l’esclavagisme sexuel comme une tactique de terreur contre la population civile.

Cette forme d'esclavagisme s’inscrit dans une persécution méthodique des minorités ethniques et religieuses et dans l’éviction de populations entières qui s’opposent au fondamentalisme. Nombre de jeunes femmes des communautés chrétiennes et yézidies, pour la plupart âgées de 8 à 35 ans, préfèrent la mort à la soumission.

Plus de 2 000 femmes et fillettes ont été enlevées par le groupe islamique Boko Haram. L’enlèvement, en avril 2014, de plus de 200 lycéennes nigérianes a marqué le début de cette sinistre besogne. Où sont-elles aujourd’hui ? Entre quelles mains maléfiques ? Notre devoir est de ne jamais les oublier !

L’esclavage sexuel est un crime contre l’humanité. L’ONU, quant à elle, considère ces violences sexuelles comme élément constitutif d’un génocide.

Ces crimes ne devront pas rester impunis et ces barbares devront être traduits devant la Cour Pénale Internationale.

Mais ce nouvel esclavagisme ne s’arrête pas là, les migrants qui traversent aujourd’hui la Méditerranée dans les cales de navires vétustes aux mains de passeurs sans scrupules pour qui la vie humaine est quantité négligeable, ressentent la même souffrance, la même angoisse du lendemain, la même peur de la mort que tous ceux qui, pendant des siècles, furent victimes du commerce transatlantique d'êtres humains.

Le sens d’une commémoration comme la nôtre, c’est aussi de ne pas oublier ces enfants, ces femmes et ces hommes qui font l’objet d’une telle exploitation barbare. C’est l’affirmation de l’universalité et de l’indivisibilité de l’espèce humaine. C’est le sens de cette exposition consacrée à la traite, à l'esclavage et au travail forcé des Africains du 16ème au 19ème siècle pour combattre l’esclavage contemporain.

Mesdames et Messieurs, je vous demande de résister à toute facilité, à tout abandon, et à toute forme d’assujettissement de votre capacité à penser, à agir et à imaginer. Je crois, pour ma part, que c’est la splendeur de l’humanité toute entière qui s’est affirmée dans la résistance à l’esclavage et dans le combat abolitionniste.

Héritiers de Victor Schœlcher, d’Olympe de Gouge, cette féministe qui, dès 1788, dénonçait l’esclavage, nous sommes aujourd’hui les dépositaires de ce moment de la conscience humaine où la France brisa les chaînes des esclaves.

Puisse cet esprit inspirer nos prochains combats en Syrie, en Irak, au Nigeria et en Libye, pour rendre toujours plus effectifs les droits de ces enfants, de ces femmes et de ces hommes.

Il en va de notre dignité et de notre courage.

Je vous remercie.