Discours de M. le Président du Sénat
Le Général de Gaulle, les gaullistes et la protection sociale
lundi 4 mai 2015 - Salle Clemenceau


Monsieur le Président des sénateurs gaullistes, Cher Charles Guené,
Monsieur le Président de la Fondation, Cher Jacques Godfrain,
Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Présidents, Professeurs, Directeurs,
Mesdames et Messieurs,

Je souhaitais tout d’abord remercier Charles Guené de m’avoir convié à clôturer ce colloque consacré à la conception qu’avait le Général de Gaulle et qu’ont les gaullistes de la protection sociale. Je voudrais saluer l’action politique de l’Amicale gaulliste depuis sa création par Josselin de Rohan et qui rassemble les sénateurs et anciens sénateurs gaullistes.

L’Amicale gaulliste du Sénat, et la Fondation Charles de Gaulle ont, à juste titre, saisi l’occasion de ce 70ème anniversaire de l’ordonnance de 1945 créant notre système de sécurité sociale pour faire le point, d’abord sur l’œuvre historique de celui qui fonda la Vème République puis de ses successeurs, ensuite sur les défis auxquels est confrontée aujourd’hui notre sécurité sociale.

Cette sécurité sociale qui a été l’œuvre commune de l’ensemble des forces politiques de notre pays au sortir de la guerre et qui est maintenant le bien commun de l’ensemble de notre pays, un des piliers de notre modèle social et de notre pacte national.

La qualité des différents intervenants -universitaires, praticiens de la protection sociale, hommes et femmes politiques- témoigne, non seulement de l’intérêt que continue de susciter l’action du Général de Gaulle, mais aussi de sa méthode.

Féru d’histoire, de culture humaniste, le Général de Gaulle a toujours eu la préoccupation de la justice sociale, liée à une volonté d’efficacité économique. Elle est l’héritière, cette préoccupation, du Christianisme Social. Ce matin, cela nous a été rappelé.

Avec les forces politiques issues de la Résistance, il a donc mis en place notre système de sécurité sociale, cette « garantie donnée à chacun qu’en toute circonstance, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes ».

Jacques Chirac le soulignait à l’occasion du 50ème anniversaire, je le cite : « Sous l’impulsion du Général de Gaulle, le plan français de Sécurité sociale fut porté par des hommes et des femmes venus de tous les horizons et il fut mis en œuvre par Pierre Laroque nommé directeur général de la Sécurité sociale en octobre 1944.

Il fallait de fortes convictions, des objectifs clairs et de l'imagination, de la ténacité aussi, pour mener à bien une telle entreprise. Exemple à méditer, ajoutait Jacques Chirac, à l’heure des réformes profondes qu’appelle pour s’adapter notre protection sociale ». Oui réforme profonde.

Tout est dit ! Et c’est d’ailleurs bien le sens de votre colloque, Monsieur le Président, qui a commencé par une mise en perspective historique avant de s’interroger sur les réformes à mettre en œuvre. Réformes sur le champ des risques sociaux à couvrir. Réformes sur le financement et la gouvernance de la protection sociale. C’est à cela que nous devons travailler.

Je voudrais, avec vous, mettre l’accent sur les enjeux actuels de notre protection sociale et tracer quelques pistes pour l’avenir.

Notre système de protection sociale traverse aujourd'hui une double crise : une crise de financement mais aussi, et peut-être surtout, une crise qui reflète les contradictions profondes de notre société.

1) Une crise de financement d’abord, notre système a somme toute peut-être trop bien réussi. Avec un ratio de dépenses publiques de 57 % du PIB, avec 34 % du PIB consacrés à la protection sociale, pour une moyenne OCDE de 29 %, nous voyons bien que, sauf à augmenter indéfiniment les impôts et cotisations ou continuer à alourdir le coût du travail au point de faire tomber notre économie, il nous faut refonder le champ et le financement de la protection sociale. C’est pourquoi nous devons trouver les bons outils de régulation comme le montrent les rapports du Sénat sur les PLFSS ou les travaux de la MECSS. La CSG assise sur l’ensemble des revenus a permis de moins peser sur le coût du travail. La piste de la TVA sociale est un autre élément de réponse. Mais attention à ne pas alimenter le tonneau des Danaïdes. Des ressources nouvelles sans doute ! Un mix de cotisations, de CSG et de TVA sociale s’impose sans doute. Mais le préalable est d’abord un effort de régulation et une redéfinition du périmètre de la protection sociale. Il ne parait plus possible avec un déficit du régime général de la sécurité sociale de l’ordre de 10 milliards d’euros de faire financer par les générations à venir nos dépenses de protection sociale !

2) Deuxième élément de crise : une crise qui reflète les contradictions profondes de notre société. Dans l’esprit des fondateurs de la sécurité sociale, et je pense en premier lieu au président Laroque, la responsabilité de la gestion de la sécurité sociale devait revenir aux représentants des assurés. Ce n’était pas qu’une question de gestion paritaire par les organisations patronales et syndicales. C’était avant tout une conception philosophique marquée par l’esprit de la Résistance et l’idée selon laquelle chaque assuré ou ayant droit serait responsable de sa sécurité sociale, qu’il saurait en user à bon escient et dans l’intérêt collectif. Passons sur les vicissitudes du paritarisme de gestion et l’étatisation croissante dès 1960 de la sécurité sociale, étatisation rendue peut-être inéluctable par l’importance des sommes en jeu et l’obligation de prendre les mesures de bonne gestion.

Je ne méconnais pas pour autant le rôle que les partenaires sociaux continuent de jouer dans la gestion quotidienne de l’ensemble des caisses locales et nationales : l’implication de ces femmes et de ces hommes est le gage de l’enracinement de la sécurité sociale. Et je sais aussi combien le paritarisme reste au cœur des régimes complémentaires de retraite et de l’assurance-chômage et je le défends.

Mais mon propos est ici aussi de souligner que dans une société de plus en plus marquée par l’individualisme, l’idéal collectif de 1945 est très décalé… Et d’une certaine façon, c’est aussi dû à la sécurité sociale et ce n’est pas totalement paradoxal : en protégeant les individus, elle a aussi contribué au relâchement des liens de solidarité familiale ou locale. C’est ainsi, et je ne prône aucun retour en arrière ! Mais ayons conscience que derrière des droits, il y aussi des devoirs et qu’il faut s’attaquer aux abus, aux excès.

Et je ne suis pas certain que le tiers payant généralisé et obligatoire soit la réponse au retour à la responsabilité collective.

Quelques pistes donc : nous savons que la réforme des retraites de 2013 était très insuffisante pour ne pas dire un « leurre », que le projet de loi santé qui vient d’être voté à l’Assemblée nationale est bien léger, malgré ses 236 pages et 58 articles, en ayant fait du tiers payant obligatoire l’alpha et l’oméga et que la remise en cause des avantages familiaux est une erreur.

Notre responsabilité en tant que gaulliste, c’est de refuser les fausses solutions, et le refus des réalités. Notre responsabilité en tant que gaulliste, c’est de nommer les choses comme je l’ai dit au Président de la République dans mon rapport sur l’engagement. Alors je ne résiste pas à l’envie de vous citer ce que disait François Mitterrand à l’occasion du 40ème anniversaire de la sécurité sociale le 4 octobre 1985 : « De l’avis de tous les experts internationaux, notre système de protection sociale est, oui j’ose le dire, le meilleur du monde…. savez-vous que le droit à la retraite n’est ouvert qu’à 65 ans en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux États-Unis ?... ». Sans commentaire… ou plutôt …. regardez les comptes.

Affrontons donc la réalité sans nous griser de formules !

Nous ne pourrons éviter, en ce qui concerne les retraites, une augmentation de l’âge légal de départ en retraite. Et c’est sans doute une bonne nouvelle car cela veut dire que l’espérance de vie s’accroit ! Nous ne pourrons éviter le développement de  mécanismes complémentaires de retraites par capitalisation. Et c’est une bonne nouvelle car ces fonds de pension contribueront au financement de l’économie. Nous devons également, comme le Sénat l’avait déjà souhaité au moment de la réforme de 2010, avancer dans la mise en œuvre d’un régime unique de retraite qu’il soit par points ou en comptes notionnels comme c’est le cas en Suède.

C’est une question d’équité car rien ne justifie plus l’existence de régimes particuliers. C’est une question d’efficacité afin de permettre un pilotage en fonction de l’espérance de vie et des évolutions économiques. C’est une question de crédibilité vis-à-vis des jeunes générations qui s’interrogent sur la pérennité de nos régimes de retraite et qui n’y croient guère.

Il nous faut avoir une véritable réflexion sur la santé et l’assurance maladie. Si j’ai avec d’autres réfléchi à la création d’une agence nationale sous contrôle de l’État et dont le rôle serait de piloter le système, je sais bien que ce n’est pas, là non plus, loin de là, l’alpha et l’oméga d’une politique de santé et d’assurance maladie. D’autres points tout aussi importants sont en jeu.

Charles Descours a posé, ce matin, les questions que nous devons aborder pour garantir à chacun l’accès à un système de santé performant mais dont le financement ne repose pas sur les générations futures. Quelle articulation faut-il avoir entre couverture obligatoire et complémentaire ? Faut-il réduire le rôle de l’assurance-maladie et renvoyer la couverture de certains risques vers des régimes supplémentaires, à l’image de ce qui se fait, par exemple, au Canada ? Quel plafonnement du reste à charge pour les assurés ? Faut-il introduire une franchise à la base ? Tout cela passe-t-il par la mise en place d’un bouclier sanitaire ? Voilà pour des questions sur l’assurance-maladie.

Mais comment assurer la prise en charge de la dépendance ? Nous savons que ce sujet de la dépendance doit être traité. Ma conviction est qu’il peut nous servir de levier pour faire évoluer notre système de protection sociale. Car ne nous y trompons pas : l’heure n’est pas à la mise en place d’un cinquième risque avec un financement uniquement public, qu’il s’agisse d’impôt direct ou indirect, ou de cotisations. On voit bien que même le gouvernement actuel, si féru pourtant d’obligations nouvelles et de taxation accrue (!), y a renoncé. Difficile (même pour des socialistes) de créer un cinquième « trou » de la sécurité sociale ! Je crois qu’au contraire il faudra inventer, pour traiter la question de la dépendance, un système associant prise en charge publique, responsabilité individuelle, solidarité familiale. Cette association passe par une articulation entre la sécurité sociale et l’épargne des personnes qu’elle soit individuelle ou collective. Il y aura donc une répartition des rôles entre ce qui doit relever de la solidarité, donc de la sécurité sociale ou de l’État et ce qui doit relever de l’assurance privée que celle ci soit obligatoire ou facultative.

Se pose également la question de la place respective de la protection sociale et de l’assistance.

Enfin, vous connaissez mon attachement à la démocratie sociale et au renvoi à la négociation collective, la loi de 2007 ne m’est pas étrangère. On ne peut pas m’accuser de ne pas croire à la négociation collective ou au paritarisme de gestion. Mais comme vous le savez, et ce n’est pas un hasard, la sécurité sociale ne rentre pas dans le champ de la loi de 2007 qui ne couvre que le champ travail et emploi (!). Je le rappelle.

Décider. J’ai déjà eu l’occasion de dire qu’on ne peut demander aux partenaires sociaux de faire ce que nous n’avons pas le courage de faire. Je pensais alors au champ travail/emploi mais cela s’applique évidemment encore davantage à la sécurité sociale qui est de la compétence directe de l’État. Il faut bien entendu consulter les partenaires sociaux, avoir une vraie période de concertation et de dialogue reposant notamment sur les travaux des instances comme le COR, la Commission pour l’avenir des retraites, le Haut Conseil de l’assurance-maladie, le Haut Conseil de la famille. Mais il y a un moment où il faut agir et agir en fonction de l’intérêt général. Sans renier notre histoire sociale avec pragmatisme.

N’est-ce pas d’abord cela le gaullisme !

Pour faire évoluer notre protection sociale nous savons bien que nous aurons face à nous tous les conservatismes et tous les corporatismes de droite et de gauche : comme en 1944/1945 d’ailleurs ou comme en 1995 au moment du plan Juppé. Mais c’est notre responsabilité de citoyen et de gaulliste : une nouvelle page s’ouvre à nous pour réformer notre protection sociale !

Voilà le message que je souhaitais vous délivrer aujourd’hui.